Dans l’affaire Stamford Kiwanis Non-Profit Homes Inc. v. Municipal Property Assessment Corporation, la Cour d’appel de l’Ontario a rompu avec ses pratiques habituelles en invalidant une décision qu’elle avait elle-même rendue des décennies auparavant. 

Son commentaire a principalement porté sur les conséquences de l’affaire sur les fournisseurs de logements abordables ou sur l’approche élargie adoptée par la Cour à l’égard de l’exemption d’impôt foncier en cause. 

(Complément d’information : L’article publié par David Tang et l’équipe Droit immobilier de Miller Thomson au sujet de cette décision dans un bulletin Perspectives juridiques fournit de l’information complémentaire à ce sujet ainsi que des précisions sur l’affaire.)

Cette décision devrait cependant encourager tous les organismes de bienfaisance, pas uniquement ceux qui exercent leurs activités dans le secteur du logement ou qui souhaitent bénéficier de cette exemption.  Cette décision du plus haut tribunal de l’Ontario et l’annulation de la décision rendue antérieurement dans l’affaire Religious Hospitallers donnent beaucoup d’espoir à tous les organismes de bienfaisance.

Quel effet l’affaire Stamford Kiwanis a-t-elle eu?

L’affaire Stamford Kiwanis concernait une exemption d’impôt foncier prévue à l’alinéa 3(1)(12)(iii) de la Loi sur l’évaluation foncière de l’Ontario. En vertu de cette disposition, « une société de bienfaisance philanthropique à but non lucratif constituée pour venir en aide aux pauvres, si cette société est financée en partie par des fonds publics », est exemptée de la taxe municipale.

En quoi le cas de Religious Hospitallers était-il problématique?

Il y a près de trois décennies, un organisme de bienfaisance, Religious Hospitallers of St. Joseph Housing Corp., s’est vu refuser sa demande d’exemption à l’égard de ses logements au motif qu’il possédait uniquement ces logements.  Religious Hospitallers n’effectuait aucune activité de financement et payait une entité de bienfaisance liée, l’Order of the Religious Hospitallers of St. Joseph (l’Ordre), pour gérer les biens. En 1998, la Cour d’appel a estimé que la non-participation de Religious Hospitallers à la gestion active des logements ou aux activités de financement pour la réalisation de ses propres objectifs jouait un rôle déterminant dans la demande d’exemption. Elle a fait fi des activités menées par l’Odre, qui y était manifestement lié.   Le plus haut tribunal de l’Ontario a plutôt énoncé un critère juridique distinct, à savoir la nécessité pour « l’organisme de faire une action quelconque qui permettrait d’apporter l’aide en cause ».   

La décision rendue dans Stamford Kiwanis a-t-elle réellement donné lieu à un revirement de jurisprudence?

Récemment, Stamford Kiwanis Non-Profit Homes Inc. s’est heurté au même problème. Trois immeubles résidentiels de Stamford Homes étaient loués à des locataires à faible revenu, et l’organisme bénéficiait de financement public.  Cependant, il faisait appel à un gestionnaire immobilier à but lucratif pour la gestion quotidienne des biens.

Liés par la décision rendue précédemment par la Cour d’appel dans l’affaire Religious Hospitallers, deux tribunaux inférieurs de l’Ontario ont refusé la demande d’exemption de taxe municipale de Stamford Homes.

La décision d’un jury de la Cour d’appel formé de cinq juges d’invalider la décision rendue antérieurement par le jury de cette même Cour dans l’affaire Religious Hospitallers et d’accorder l’exemption a donc créé toute une surprise.  Le jury a estimé que l’alinéa 3(1)(12)(iii) de la Loi n’exige pas « une action distincte ni la preuve d’une activité de financement privé » et que la décision rendue dans l’affaire Religious Hospitallers était erronée « en limitant la portée [de l’exemption] et en évoquant l’élément extrinsèque de l’action ».  Pour ce faire, il a dû effectuer un certain nombre de constatations pour justifier son choix radical d’infirmer la décision rendue dans Religious Hospitallers.  Ces délibérations démontrent à quel point la Cour estimait important de corriger l’approche adoptée dans l’interprétation de la loi qui exempte les organismes de bienfaisance d’impôt.

Reconnaissance et soutien sans équivoque des actions sociales menées par les organismes de bienfaisance

Nous décrivons ci-dessous trois « gains » que tous les organismes de bienfaisance et à but non lucratif du Canada peuvent attribuer à la décision de la Cour d’appel de l’Ontario.

  1. Exemptions fiscales : Non une échappatoire fiscale, mais un moyen de mener des actions sociales

      La décision de la Cour met intentionnellement l’accent sur la nécessité d’appliquer le principe d’interprétation utile établi dans une décision antérieure à l’affaire Religious Hospitallers rendue par la Cour suprême du Canada.  Ce principe à double objectif reconnaît que les lois fiscales visent deux buts distincts :

      • générer des recettes pour le gouvernement; et
      • servir à des fins d’intervention sociale et économique.

      Ces deux buts peuvent entrer en conflit et, au lieu de supposer que les lois fiscales servent principalement à générer des recettes, il faut également prendre en considération le deuxième but et ne pas le réduire à une simple composante du premier.  La Cour d’appel de l’Ontario a mis en évidence l’importance d’appliquer cette approche d’interprétation en la qualifiant d’« interprétation à double objectif prescrite par la Cour suprême [du Canada] » (soulignement et gras ajoutés).

      Cette approche a permis à la Cour d’infirmer la décision rendue dans l’affaire Religious Hospitallers, du fait qu’elle avait omis de tenir compte de cette règle en 1998.  Il était également fait clairement mention d’une décision subséquente rendue en 2004 et explicitement approuvée, reposant sur le principe d’interprétation à double objectif pour conclure à une autre exemption de l’impôt foncier et recommander implicitement de continuer à s’appuyer sur cette approche.  La Cour d’appel confirme implicitement que les exemptions fiscales ne constituent pas des échappatoires à exploiter, mais plutôt des choix politiques délibérés permettant aux organismes de bienfaisance de consacrer les économies d’impôt réalisées aux actions d’intérêt public. 

      Cette importante reconnaissance judiciaire confirme que l’objectif de l’exemption fiscale accordée en vertu de la loi à certaines organisations vise à aider ces dernières à consacrer une plus grande part de leurs ressources limitées à leurs actions sociales. Cette décision encouragera les organismes de bienfaisance canadiens qui s’interrogent sur la pertinence de demander diverses exemptions fiscales.

      2. La place des sociétés de portefeuille

      Nous fournissons souvent des conseils à des organismes sans but lucratif et de bienfaisance partout au Canada sur la meilleure façon de mettre à profit une structure organisationnelle complexe composée de plusieurs entités, y compris des sociétés de portefeuille immobilières à vocation unique. Le recours à plusieurs entités et sociétés de portefeuille s’explique par de bonnes raisons pratiques, par exemple pour répartir et gérer le risque de responsabilité ou pour séparer les activités d’une organisation des actifs qu’elle détient.

      Entre 1998 et le moment d’instruire l’affaire Stamford Kiwanis, certaines organisations en Ontario devaient s’évertuer à remplir le critère relatif à l’action et bénéficier de l’exemption de l’impôt foncier. En s’engageant activement et directement dans des activités comme la gestion immobilière ou la collecte de fonds, ces organismes misaient davantage sur l’admissibilité à l’exemption fiscale que sur la bonne gouvernance, la gestion des risques ou l’efficacité opérationnelle, laissant du coup la question de la fiscalité l’emporter sur le reste.

      Les organisations ontariennes qui viennent en aide aux pauvres n’ont désormais plus à choisir entre une bonne gouvernance et une exemption fiscale, laquelle peut faire la différence entre la viabilité économique du programme de bienfaisance et sa non-faisabilité. Ces organisations peuvent désormais choisir la structure de fiducie ou d’entreprise qui répond le mieux à leurs objectifs en matière d’exploitation, de responsabilité et de fiducie sans être contraintes de recourir à une structure artificielle dont le seul but est de remplir le critère relatif à l’action.

      Les organismes de bienfaisance pourraient discuter dès maintenant avec leur avocat (peut-être pour une nouvelle fois) de la possibilité de modifier leur structure afin de recourir à des sociétés de portefeuille immobilières, même si ces sociétés n’exercent pas directement d’activités ou ne mettent pas directement en œuvre de programmes.

      3. Suivre le courant

      La décision de la Cour d’appel reflète la reconnaissance croissante du rôle essentiel que joue le secteur bénévole au sein de la société civile et l’inutilité des obstacles artificiels qui entravent son action.  L’un de ces obstacles est le raisonnement qui sous-tend la décision rendue en 1998 par la Cour d’appel dans l’affaire Religious Hospitallers, à savoir le principe qui veut que les organismes de bienfaisance doivent mener activement leurs propres activités.  Voilà en bref ce qu’exige réellement le critère relatif à l’action.

      Les lecteurs qui connaissent bien le cadre de réglementation que l’Agence du revenu du Canada a toujours appliqué aux organismes de bienfaisance enregistrés reconnaîtront la similitude de ce concept avec l’insistance de l’ARC à exiger que les organismes de bienfaisance enregistrés consacrent uniquement leurs ressources à des donataires reconnus (principalement d’autres organismes de bienfaisance enregistrés) ou à leurs « propres activités » et les distinctions établies entre les utilisations passives et actives des actifs des organismes de bienfaisance.  L’insistance de l’ARC à préconiser les activités non passives et la recherche de telles activités par la Cour dans l’affaire Religious Hospitallers découlent du même raisonnement : les organismes de bienfaisance ont une valeur sociale uniquement s’ils exercent activement certaines activités.  

      Le Parlement a décidé de modifier la loi en réponse aux demandes du secteur qui réclame des réformes et une plus grande flexibilité.  En juin 2022, la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) a été modifiée de façon à permettre aux organismes de bienfaisance de financer d’autres organisations d’une autre façon. Ces nouvelles règles régissant les versements admissibles permettent aux organismes de bienfaisance enregistrés de faire des dons à des donataires non admissibles, lesquels sont pris en compte dans le calcul du contingent annuel des versements de l’organisme et à l’égard desquels ce dernier n’est pas tenu d’assurer activement la direction et le contrôle de l’utilisation.

      Dans Stamford Kiwanis, la Cour d’appel a délibérément décidé d’invalider ce raisonnement suivant le point de vue adopté par l’ARC vers 2025 : les organismes de bienfaisance et philanthropiques ne sont pas tenus de mener eux-mêmes directement leurs activités pour être admissibles à des incitatifs fiscaux.

      Bien qu’une analyse approfondie de la décision unanime rendue par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Catholic Charities Bureau, Inc. v. Wisconsin Labor and Industry Review Commission[MGM1] , publiée à peu près à la même époque, dépasse de loin le cadre du présent article, cette décision évoque en quelque sorte la même intention de ne pas tenir compte uniquement des activités menées par une seule entité au moment d’examiner les activités de bienfaisance pertinentes.  Bien que cette décision repose manifestement sur des critères totalement différents, il est permis de penser que ce principe transparaît dans l’opinion concordante du juge Thomas, qui conteste le choix de distinguer les actions de l’organisme de bienfaisance de celles du diocèse catholique romain de Superior, dans le Wisconsin, qualifiant le Catholic Charities Bureau de « simple bras » du diocèse.

      Mot de la fin : Trois fois bravo

      Puisque la décision dans l’affaire Stamford Kiwanis a été rendue par le plus haut tribunal de l’Ontario, elle est exécutoire dans cette province. Elle constitue également une source convaincante dans d’autres provinces à l’égard de dispositions similaires en matière d’exemption d’impôt foncier.

      Cependant, il s’agit d’une décision à caractère persuasif, influente et digne de mention à d’autres égards.

      En retirant le test relatif à l’action de la loi, la Cour d’appel de l’Ontario n’a pas seulement éliminé un obstacle à la fourniture de logements abordables dans sa province.

      1. Elle a rétabli et renforcé l’approche à deux volets en matière d’interprétation des lois fiscales.
      2. Elle rend la loi conforme au mode d’exploitation et de détention d’actifs de nombreuses organisations modernes.
      3. Elle confirme que les organismes de bienfaisance et à but non lucratif n’ont pas l’obligation de mener directement des activités pour atteindre d’importants objectifs à caractère social – et bénéficier du traitement fiscal préférentiel qui en découle.

      Voilà trois bonnes raisons pour lesquelles les organismes de bienfaisance et à but non lucratif qui exercent leurs activités au Canada devraient saluer la décision Stamford Kiwanis.

      Vous avez des questions sur le présent article? Vous avez besoin de conseils en matière de structuration, d’une opinion sur l’admissibilité de votre organisation à l’exemption de la taxe municipale ou d’un avis sur les options de financement d’autres entités? Les membres du groupe primé Organismes de bienfaisance et à but non lucratif de Miller Thomson se feront un plaisir de vous aider. Nous vous encourageons également à vous abonner à nos publications pour recevoir de l’information juridique pertinente.