Le gouvernement du Canada a apporté des modifications importantes à la loi fédérale en matière d’insolvabilité, rehaussant la priorité à accorder au financement du déficit d’un régime de retraite à prestations déterminées lors de la distribution des actifs d’un débiteur. Le projet de loi C-228, la Loi sur la protection des pensions (la « Loi »), vise à modifier la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI »), la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC ») et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension. La Loi oblige les employeurs insolvables à payer certains droits liés aux régimes de retraite à prestations déterminées en priorité par rapport aux réclamations des créanciers garantis. En fait, la Loi aurait pour effet d’élargir l’éventail actuel des prestations de retraite qui bénéficient d’une « priorité absolue » par rapport aux réclamations de certains créanciers. Même si la Loi protège les régimes de retraite à prestations déterminées des employés et des retraités en cas d’insolvabilité de leur employeur, elle ajoute un niveau supplémentaire de risque et de complexité pour les prêteurs garantis et les débiteurs.

À l’heure actuelle, les engagements de retraite suivants (la « charge de retraite actuelle ») bénéficient d’un statut prioritaire par rapport aux autres créances, droits, charges ou garanties sur les actifs du débiteur, à l’exception de certaines exclusions limitées, dans le cadre des procédures d’insolvabilité au Canada :

  1. Les montants déduits du salaire d’un employé pour être versés à la caisse de retraite, qui doivent être remis au plus tard 30 jours après la fin du mois pour lequel les cotisations sont prélevées;
  2. Les cotisations pour services courants impayées par l’employeur, que celui-ci est généralement tenu de verser au plus tard 30 jours après la fin du mois auquel les cotisations se rapportent.

Le tribunal peut approuver une restructuration en continuité d’exploitation au moyen d’un plan en vertu de la LACC ou d’une proposition en vertu de la LFI si la charge de retraite actuelle est payée dans son intégralité ou si un accord est conclu avec les bénéficiaires de la caisse de retraite, accord qui est également approuvé par l’organisme concerné en matière de réglementation des régimes de retraite. La charge de retraite actuelle est présentement jugée prioritaire dans les procédures de liquidation, de faillite et de mise sous séquestre en vertu de la LACC par l’octroi d’une charge sur tous les actifs du débiteur, à l’exception d’exclusions limitées.

Majoration de la charge de retraite en vertu de la Loi

La Loi majore (la « majoration de la charge de retraite ») la charge de retraite actuelle pour y ajouter ce qui suit :

  1. Les « paiements spéciaux » que l’employeur est tenu de verser au fonds pour la liquidation d’un déficit. Ces montants sont présentés dans un rapport actuariel sous la forme d’échéancier de paiements étalés sur des périodes allant de cinq à quinze ans. La majoration de la charge de retraite vise à réduire l’ensemble de cet échéancier de paiements, accélérant ainsi la date d’exigibilité de ce passif.
  2. Toute somme requise pour la liquidation de tout autre passif non capitalisé ou déficit de solvabilité du fonds établi au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. Cette disposition prévoit que le montant requis pour financer entièrement le régime de retraite selon l’approche de solvabilité évaluée au moment des faits fait partie de la majoration de la charge de retraite.

Ces deux points contribuent à l’expansion de la charge de retraite actuelle. Toutefois, le deuxième point en particulier risque d’imposer des montants supplémentaires importants et inconnus dans le cadre de la majoration de la charge de retraite, ce qui aurait pour effet de reléguer à un degré de priorité inférieur les prêteurs garantis.

Les principaux points de distinction entre les qualités de la charge de retraite actuelle et celles de la majoration de la charge de retraite présentées ci-après pourraient être une source de préoccupation pour les prêteurs :

  1. Capacité à quantifier. Les montants constituant une éventuelle charge de retraite actuelle sont quantifiables et établis par les dispositions du régime de retraite, par un rapport actuariel ou par les deux. Ces montants peuvent être connus au moment de la décision d’octroyer le prêt. Le montant constituant la majoration de la charge de retraite ne sera pas quantifié en amont, et sera imprévisible et inconnu au moment de la décision d’octroyer le prêt. Il dépendra des aléas des marchés financiers et des taux d’intérêt en vigueur au moment de la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité.
  2. Relation par rapport au cours normal des activités. Les montants couverts par la charge de retraite actuelle sont liés aux services actuels des employés, seraient inclus dans les projections de flux de trésorerie et les budgets de l’employeur et devraient être payés chaque mois par l’employeur dans le cours normal de ses activités. Les montants couverts par la majoration de la charge de retraite ne sont pas liés aux dépenses engagées dans le cours normal des activités. Ces montants sont liés aux engagements au titre des services passés, déterminés par les marchés financiers et les taux d’intérêt.
  3. Risques non vérifiables soumis à des contraintes légales. Les cotisations doivent généralement être versées avec un arriéré maximal d’un mois. Par conséquent, la charge de retraite actuelle sera généralement égale à un mois de ces montants. Pour que la charge de retraite actuelle soit supérieure à ce montant probable, l’employeur doit s’écarter de la fréquence des versements exigée par la loi. Il s’agirait alors d’une violation de la législation en vigueur en matière de retraite, d’une violation probable des engagements pris dans le cadre d’un contrat de prêt et d’une éventuelle mise en cause de la responsabilité personnelle des administrateurs et des dirigeants participants. L’ampleur probable d’une éventuelle majoration de la charge de retraite n’est pas non plus limitée ou vérifiable, car elle varie selon les marchés financiers et les taux d’intérêt.
  4. Maintenant une source de retard. Les montants de la charge de retraite actuelle peuvent être quantifiés rapidement au début de toute procédure d’insolvabilité et, de ce fait, ils ne retarderont pas la procédure. En revanche, la majoration de la charge de retraite entraînera des retards, car le calcul du déficit de solvabilité au moment du dépôt de la demande nécessitera la collecte et la mise à jour des données relatives aux bénéficiaires, ainsi que la réalisation d’une nouvelle évaluation actuarielle. Dans la plupart des cas, il faudra un minimum de trois mois pour mener à bien le processus de calcul de la majoration de la charge de retraite, voire plus pour les régimes d’envergure plus complexes. Par ailleurs, ce calcul pourrait être actualisé à mesure de la liquidation du régime à prestations déterminées, ce qui retarderait la procédure d’insolvabilité de près d’un an.
  5. Source de litiges. Les litiges relatifs aux montants de la charge de retraite actuelle sont extrêmement rares, car ces montants sont quantifiables et relativement peu élevés. Toutefois, l’interprétation de la majoration de la charge de retraite est susceptible de donner lieu à des litiges importants en raison de l’ambiguïté considérable de certaines dispositions essentielles de la Loi, ce qui pourrait également entraîner une intrusion dans les champs de compétence des provinces.

Pour un prêteur garanti, la loi rendra la souscription de prêts plus difficile et diminuera les chances d’un recouvrement total contre les débiteurs insolvables (avec des engagements de retraite à prestations déterminées) en réduisant dans les faits le bassin de fonds disponibles pour le recouvrement. La priorité absolue élargie accordée aux droits à prestations déterminées protégés signifie qu’un montant potentiellement important du capital du débiteur peut être hors de portée des prêteurs garantis cherchant à se faire rembourser. De plus, comme indiqué ci-dessus, les montants précis des prestations payables par un employeur au titre d’un régime à prestations déterminées sont indéterminés au moment de l’emprunt, car ces montants sont susceptibles d’évoluer dans le temps selon divers facteurs. La détermination de l’encours du passif d’un débiteur est un point essentiel à prendre en considération lors de la négociation des dispositions commerciales d’un prêt. Toute incapacité de la part d’un prêteur garanti d’évaluer efficacement ces montants augmentera le risque, le temps et les frais engagés par les prêteurs garantis qui cherchent à accorder un crédit à un débiteur disposant de régimes de retraite à prestations déterminées.

Les dispositions qui précèdent pourraient également avoir une incidence particulière sur les débiteurs et les prêteurs garantis dans le domaine des prêts adossés à des actifs dans le cadre desquels les décisions de prêt sont évaluées par rapport à une base d’emprunt, un calcul parfois complexe qui utilise la valeur de certains actifs d’un débiteur. Les montants garantis par des privilèges légaux, comme ceux visés par la Loi, communément désignés « montants à payer prioritaires », peuvent avoir un rang supérieur à celui des prêteurs garantis et, par conséquent, ces montants seraient déduits de la base d’emprunt dans le cadre du calcul de la base d’emprunt du prêteur garanti. Un débiteur aurait alors une capacité d’emprunt réduite à un coût potentiellement plus élevé.

Transition et prochaines étapes

Pour les entreprises dont les régimes de retraite sont en vigueur au 27 avril 2023 (date à laquelle la Loi a reçu la sanction royale), les dispositions de la Loi n’entreront pas en vigueur avant quatre ans. Toutefois, à cette date, les dispositions de la Loi s’appliqueront pleinement à tout accord de prêt garanti alors en vigueur. Ainsi, tout accord de garantie qui sera encore en vigueur quatre ans après la date d’entrée en vigueur de la Loi sera subordonné à la majoration de la charge de retraite en vertu de la Loi.

La Loi obligera les emprunteurs, les prêteurs garantis et leurs conseillers respectifs à discuter de la manière la plus efficace de traiter les effets de la Loi sur leurs activités et leurs besoins d’emprunt actuels et futurs. Certains des effets de la majoration de la charge de retraite peuvent être atténués par des clauses particulières relatives au financement et à l’investissement d’un régime de retraite à prestations déterminées. Les prêteurs voudront passer en revue leurs portefeuilles pour déterminer quels seraient les emprunteurs visés par la Loi, et de quelle manière atténuer ou traiter au mieux les risques accrus que cela représente pour certains employeurs. L’hypothèse sous-jacente de la Loi est que lorsqu’un employeur n’est pas en mesure de financer un régime de retraite à prestations déterminées, les prêteurs garantis le feront au moyen de procédures de recouvrement réduites en cas d’insolvabilité. L’efficacité de cette approche n’a pas encore été démontrée.

Si vous avez des questions ou des commentaires, n’hésitez pas à communiquer avec un membre des équipes Services financiers ou Régimes de retraite, avantages sociaux et rémunération des cadres supérieurs de Miller Thomson.