Introduction

En 2016, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu sa décision dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Hôtels Fairmont Inc. 2016 CSC 56 (« Fairmont »), dans laquelle elle restreignait la possibilité d’octroyer une rectification, c’est-à-dire une réparation en equity par laquelle le tribunal corrige une ou plusieurs erreurs dans les modalités d’un accord par écrit. Dans l’arrêt Fairmont, la CSC a statué que la rectification ne peut annuler des planifications fiscales uniquement parce que celles-ci entraînent des conséquences fiscales imprévues.

Plus récemment, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust, 2022 CSC 26 (« Collins »), la CSC a confirmé cette décision, estimant que d’autres réparations en equity, telles que l’annulation, c’est-à-dire une réparation en equity par laquelle le tribunal annule rétroactivement une opération ou un accord, ne sont plus offertes aux parties cherchant à défaire une planification fiscale uniquement parce que celle-ci entraîne des conséquences fiscales défavorables.

La rectification est généralement utilisée pour corriger des erreurs dans des accords écrits lorsque l’intention des parties a été mal rédigée, tandis que l’annulation est généralement utilisée pour l’annulation des accords écrits dans leur intégralité.

Canada (Procureur général) c. Collins Family Trust

Dans l’affaire Collins, deux parties avaient mis en place une planification fiscale dans le but de réduire leurs obligations fiscales. Cette planification permettait à la société exploitante de transférer d’importantes sommes d’argent dans une société de portefeuille qui était également le disposant et le bénéficiaire d’une fiducie familiale nouvellement créée (la « planification »).

La planification reposait sur une interprétation courante de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») au moment de la création de la planification, en particulier sur le fait que le paragraphe 75(2) de la LIR pouvait être utilisé par les sociétés pour éviter l’impôt sur les dividendes lorsque ceux-ci étaient versés à une fiducie familiale. Toutefois, après la mise en œuvre de cette planification, la Cour canadienne de l’impôt a rendu sa décision dans l’affaire Sommerer c. La Reine, 2011 CCI 212[1], confirmée par l’appel 2012 CAF 207 (« Sommerer ») après une interprétation différente du paragraphe 75(2) et a conclu que les règles d’attribution prévues au paragraphe 75(2) de la LIR ne sont pas applicables lorsqu’un bien est vendu à la fiducie à sa juste valeur marchande, plutôt que de faire l’objet d’un don à la fiducie[2]. À la suite de la décision rendue dans l’affaire Sommerer, les planifications fiscales fondées sur l’interprétation antérieure du paragraphe 75(2) n’ont plus atteint leurs objectifs et l’Agence du revenu du Canada a commencé à réexaminer ces opérations.

Dans l’affaire Collins, la CSC a adopté l’interprétation du paragraphe 75(2) de la LIR confirmée dans l’arrêt Sommerer et a rejeté la demande d’annulation, estimant que les contribuables doivent être imposés sur leurs actes réels et non sur ce qu’ils auraient souhaité faire a posteriori. L’arrêt Collins confirme l’interdiction d’une planification fiscale rétroactive.

Autres limitations des réparations en equity

Le cœur de la question dans l’affaire Collins était de savoir si les contribuables pouvaient bénéficier de la réparation en equity que constitue l’annulation, bien que la rectification ne soit pas possible en vertu de l’arrêt Fairmont. Les juges ont estimé à la majorité que les conséquences fiscales défavorables ne relevaient pas du domaine de l’equity, car il n’y a rien d’abusif ou d’injuste dans l’application d’une loi fiscale ou dans des opérations librement consenties.

La CSC a adopté les principes de l’affaire Fairmont comme des principes d’application générale qui excluent toute réparation en equity de quelque nature que ce soit lorsqu’il s’agit d’éviter une obligation fiscale imprévue résultant de l’application normale des lois fiscales à des opérations librement consenties.

Application récente de l’arrêt Collins

L’arrêt Collins a récemment été adopté en Colombie-Britannique. Dans l’affaire Williams Moving & Storage (B.C.) Ltd. (Re), 2023 BCSC 205, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a examiné la question de savoir si une ordonnance de faillite pouvait faire l’objet d’une rectification afin de supprimer la formulation restrictive de la définition du « créancier non concerné » (unaffected creditor), car elle entraînait des conséquences fiscales défavorables. Le tribunal a appliqué l’arrêt Collins et confirmé que la rectification ne devrait pas être accordée dans les situations où une partie souhaite modifier un instrument simplement parce qu’elle a découvert qu’il occasionne des obligations fiscales défavorables et imprévues[3].

Exceptions dans des circonstances particulières

Bien que la CSC ait désormais clairement établi que les réparations en equity que sont la rectification et l’annulation sont limitées en matière de planification successorale et fiscale, certaines exceptions à cette règle ont été reconnues.

Dans l’affaire Royal Trust Corporation of Canada c. Horner, 2022 BCSC 859, le tribunal a examiné la question de savoir s’il fallait rectifier un document de fiducie qui n’avait pas été signé par le disposant de la fiducie. En effet, les avocats du disposant avaient préparé sept documents à signer concernant la planification successorale, mais seuls six ont été signés, car l’un d’eux était un double. Lorsque cette erreur a été découverte, le disposant n’avait plus la capacité de gérer sa situation financière.

Le tribunal a estimé que l’absence de signature du document par le disposant constituait une erreur par inadvertance qui, en l’absence de toute correction, entraînerait la distribution des biens de manière contraire à la volonté testamentaire. Afin de remédier à cette possible injustice, le tribunal a autorisé la rectification du document de fiducie, considérant qu’il avait été signé par le disposant[4].

Même si cela n’est pas explicitement mentionné dans cette cause, cette situation est différente de l’affaire Collins et de l’affaire Fairmont du fait qu’il ne s’agit pas de modifier rétroactivement une décision de planification successorale, mais simplement de procéder à la rectification des documents afin de confirmer ce que les parties concernées avaient réellement l’intention de faire. Dans l’affaire Fairmont, il a été reconnu que la rectification permet à un tribunal de donner effet aux véritables intentions des parties, plutôt qu’à une transcription erronée de ces intentions. Dans le cas présent, il s’agissait simplement d’accorder la portée juridique nécessaire aux véritables intentions du disposant au moment de la signature des documents de planification successorale, et le tribunal était donc en mesure d’accorder la rectification.

Principaux points à retenir

Maintenant que la CSC a clairement établi que certaines réparations en equity, y compris la rectification et l’annulation, ne sont pas permises pour les personnes physiques ou morales qui tentent de réviser rétroactivement leur planification fiscale, il est extrêmement important que les contribuables et les avocats fassent preuve d’une attention particulière lors de la structure des opérations. Les contribuables peuvent gérer leurs finances comme ils l’entendent pour réduire leurs obligations fiscales. Toutefois, si cela entraîne des conséquences fiscales défavorables pour eux, ils devront en assumer la responsabilité.

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[1] Affirmé en appel dans Sommerer c. Canada, 2012 CAF 207

[2] Ibid, paragraphes 57 et 58.

[3] Williams Moving & Storage (B.C.) Ltd. (Re), 2023 BCSC 205, paragraphe 64.

[4] Royal Trust Corporation of Canada c. Horner, 2022 BCSC 859, paragraphe 6.