Les propriétaires d’entreprise à la recherche d’occasions d’achat ou de vente avaient bon espoir de voir le volume d’opérations de fusion-acquisition augmenter en 2025, mais en raison des tarifs douaniers annoncés par le gouvernement des États-Unis et de la riposte canadienne, on assiste plutôt à un ralentissement général dans le secteur. L’incertitude commerciale et économique se ressent sur l’intensité de l’activité transactionnelle, les approches des parties et la structure des opérations.

Cet article fait un survol des considérations stratégiques que nous portons à l’attention de nos clients (acheteurs et vendeurs) cherchant à réaliser des opérations, des premières étapes de planification à la négociation des documents définitifs. On y présente des pensez-y-bien et des positions que les vendeurs et les acheteurs devraient respectivement défendre (ou s’attendre à entendre de la part de l’autre partie) en ce qui a trait à la gestion des risques liés aux tarifs douaniers et des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement. Dans cet article, nous appellerons « vendeurs » les actionnaires vendant une société canadienne et « acheteur » l’acquéreur potentiel de cette société.

1. Planification initiale

  • Du point de vue des vendeurs – Lorsqu’ils se préparent à vendre leur société, les vendeurs devraient faire une évaluation préliminaire des risques associés aux tarifs douaniers, en s’attardant notamment au pourcentage du volume de ventes qui est destiné aux États-Unis et au coût des intrants (biens et services) provenant des États-Unis. Ils devraient aussi se pencher sur la façon de présenter ces risques dans un prospectus ou une note confidentielle destinée à l’acheteur. Il faudrait aussi penser à trouver d’autres clients ou fournisseurs qui pourraient remplacer les partenaires actuels si d’autres tarifs douaniers ou perturbations dans la chaîne d’approvisionnement devaient mettre ces relations en péril.
  • Du point de vue de l’acheteur – L’acheteur devrait étudier l’information à sa disposition (aussi limitée soit-elle) pour comprendre les risques que la société cible présente sur les plans des tarifs douaniers et de la logistique, et faire une comparaison avec d’autres cibles potentielles ou des concurrents de cette société. Les entreprises qui dépendent du mouvement d’intrants manufacturiers et de produits finis sont particulièrement vulnérables aux tarifs douaniers et aux perturbations dans l’infrastructure de transport, alors que les entreprises de services s’en sortent généralement mieux.

2. Sommaire des modalités/lettre d’intention

  • Du point de vue des vendeurs – Lorsqu’ils négocient le prix d’achat au début du processus, les vendeurs devraient faire valoir que le bénéfice (ou le BAIIA) de l’entreprise demeurera inchangé peu importe ce qui se passera du côté des tarifs douaniers. Certains vendeurs préféreront insérer dans la lettre d’intention un énoncé général sur les attentes et les intentions des parties quant aux risques associés aux tarifs douaniers et à la chaîne d’approvisionnement, et d’autres estiment que l’enjeu mérite un examen plus approfondi et choisiront d’attendre, pour parler du libellé précis, que l’acheteur progresse dans sa vérification diligente et ait une meilleure idée des relations et des risques de la société cible. Les vendeurs doivent tout de même s’attendre à ce que l’acheteur ait des propositions créatives quant au prix, par exemple : (1) ajout d’une clause d’indexation sur les bénéfices futurs lui offrant une certaine protection si les bénéfices diminuent ou ne croissent pas autant que prévu après la clôture; (2) entiercement ou retenue de sommes pour pallier la hausse des coûts de production due aux tarifs douaniers des États-Unis, à la riposte canadienne et aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement, ou aux changements qui devront être apportés aux affaires après l’acquisition en raison de changements annoncés ou futurs à la politique commerciale.
  • Du point de vue de l’acheteur – L’acheteur doit faire une offre alléchante tout en se protégeant contre une potentielle baisse du bénéfice ou du BAIIA. Outre une baisse, une clause d’indexation sur les bénéfices futurs, un entiercement ou une retenue, l’acheteur peut moduler le prix d’achat en introduisant d’autres mécanismes de recouvrement dans les documents de l’opération (déclarations et indemnités liées aux tarifs douaniers, par exemple). L’acheteur est libre de signaler son désir de prévoir des indemnités précises dans la lettre d’intention, mais rares sont celles qui seront pleinement négociées dès cette étape, car les parties ont encore bien des détails à régler avant de définir la répartition du risque. Il serait inaccoutumé que l’acheteur exige des déclarations et des garanties précises sur les tarifs douaniers à cette étape du processus.

3. Vérification diligente

  • Du point de vue des vendeurs – En préparant leurs réponses aux demandes de vérification diligente de l’acheteur, les vendeurs devraient continuer d’évaluer activement les secteurs de risque de leur entreprise et anticiper les préoccupations de l’acheteur. Par exemple, avec leurs conseillers, les vendeurs devraient déterminer lesquels parmi leurs contrats commerciaux permettent à leur entreprise de refiler les tarifs douaniers au cocontractant et préparer des plans de croissance visant à accroître les relations en dehors des États-Unis. Les vendeurs devraient s’assurer que les opérations de leur société respectent la réglementation sur le commerce, mettre à jour ses procédures de conformité en matière d’importation et d’exportation, vérifier sa conformité fiscale, confirmer l’exactitude de ses documents douaniers et vérifier si elle profite d’un traitement tarifaire préférentiel aux termes de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique ou d’autres accords de libre-échange. Ils doivent aussi s’assurer que leurs pratiques de tenue de documents fiscaux et commerciaux sont pleinement conformes aux lois applicables.
  • Du point de vue de l’acheteur – En plus de tous les aspects d’une vérification diligente classique, l’acheteur devrait s’attarder aux risques associés aux tarifs douaniers ainsi qu’aux vulnérabilités dans la chaîne d’approvisionnement. Tout dépendra de la nature de la société cible, mais il faudra généralement penser à la résilience aux tarifs douaniers, à la dépendance à certains partenaires commerciaux, à l’absence de redondance dans les chaînes, à la clientèle et à la capacité d’absorber une hausse des coûts ou de la refiler aux clients. L’acheteur devrait cibler une société qui a démontré qu’elle respectait ses obligations douanières, qui dispose d’une souplesse opérationnelle et de bons plans de secours faisant intervenir d’autres fournisseurs, et qui est présente dans plusieurs marchés ou a plusieurs options pour la fabrication. Dans une acquisition stratégique, l’acheteur devrait aussi voir comment ses propres opérations peuvent l’aider à réduire les risques associés aux tarifs douaniers au moment de l’intégration post-clôture (par exemple en transférant les ventes ou les approvisionnements de la société vers ses propres clients ou fournisseurs qui ne sont pas aux États-Unis).

4. Convention d’achat

a) Déclarations et garanties

  • Du point de vue des vendeurs – Les vendeurs doivent s’attendre à ce que l’attention accrue accordée par l’acheteur aux questions tarifaires se traduise par des déclarations et garanties dans les documents transactionnels définitifs. Ils pourraient être contraints de transmettre de l’information détaillée sur la clientèle et les chaînes d’approvisionnement qui va bien au-delà des listes de « top 20 » qu’on retrouve habituellement dans ces documents. Les vendeurs devraient aussi réaliser un rigoureux processus de vérification interne pour s’assurer de l’exactitude de leurs déclarations, mais se garder de se prononcer sur d’éventuels changements dans les lois ou sur des lois étrangères pour lesquelles ils n’ont pas reçu d’avis.
  • Du point de vue de l’acheteur – L’acheteur devrait travailler étroitement avec ses conseillers pour déterminer si les déclarations habituelles peuvent servir à atténuer ses préoccupations sur les risques tarifaires et si des déclarations inusitées sont nécessaires pour répondre à d’autres risques repérés lors de la vérification diligente. L’acheteur devrait scruter à la loupe les déclarations sur les principaux clients et fournisseurs, les états financiers et le passif non mentionné, et se demander si la définition de « contrat important » devrait obliger les vendeurs à déclarer les contrats selon lesquels la société cible doit absorber le coût des tarifs douaniers sans possibilité de résiliation ou de renégociation à court terme.

b) Engagements

  • Du point de vue des vendeurs – Dans les opérations ayant une période intermédiaire considérable, les vendeurs doivent trouver l’équilibre entre l’obligation contractuelle usuelle de gérer l’entreprise selon le cours normal des affaires pendant cette période et le droit d’apporter des changements pour réagir aux politiques tarifaires qui évoluent sans le consentement exprès de l’acheteur. Par exemple, les vendeurs pourraient vouloir se réserver le droit de modifier des contrats importants hors du cours normal des affaires pour répondre à des risques liés aux tarifs douaniers de la même façon que plusieurs vendeurs ont négocié le droit de le faire en réaction aux mesures sanitaires adoptées pendant la pandémie de COVID-19. Les vendeurs devraient aussi se réserver le droit d’apporter d’autres changements en lien avec ces risques et prévoir des exceptions à l’obligation d’agir dans le cours normal des affaires pour les mesures raisonnables sur le plan commercial ou pour les cas où l’acheteur ne répond pas en temps utile à une demande de consentement.
  • Du point de vue de l’acheteur – De son côté, l’acheteur veut être en mesure, pendant la période intermédiaire, d’approuver toute mesure qui sort du cours normal des affaires et qui pourrait changer l’entreprise qu’il a décidé d’acquérir au terme d’une vérification diligente. À cette fin, il devrait tenter de préciser les engagements en matière d’exploitation pendant la période intermédiaire en ajoutant des restrictions particulières sur la capacité des vendeurs à modifier leurs relations avec leurs principaux clients et fournisseurs ou à apporter d’autres changements majeurs relatifs aux politiques tarifaires sans consentement.

c) Conditions de clôture

  • Du point de vue des vendeurs – Généralement, les vendeurs veulent autant que possible avoir la certitude que l’opération aura bien lieu. Ils devraient donc négocier pour limiter dans les accords définitifs les conditions préalables précises liées aux tarifs douaniers et tout ce qui les empêcherait de réitérer des déclarations et garanties pour refléter la situation à la clôture. Pour ce qui est des conditions préalables, les vendeurs devraient insister pour que celle sur la stabilité du marché vise les changements défavorables importants qui ont un effet réel sur la société (la simple annonce de tarifs douaniers, dont les effets ne sont pas immédiatement connus, ne serait donc pas visée). Si les parties conviennent de traiter des tarifs douaniers dans les dispositions sur les changements défavorables importants, les vendeurs devraient tenter d’établir un libellé circonscrit, de façon à rassurer l’acheteur sans pour autant lui permettre d’abandonner l’opération pour un rien. Pour ce qui est des déclarations et garanties, les vendeurs devraient demander qu’il y ait des réserves liées à l’importance relative dans les exigences de mise à jour, de sorte qu’en cas de changement aux politiques tarifaires, les accrocs mineurs aux déclarations et garanties ne donneront pas le droit à l’acheteur de refuser de procéder à la clôture.
  • Du point de vue de l’acheteur – De son côté, l’acheteur veut avoir la possibilité de réévaluer l’opération si des changements en particulier sont annoncés pendant la période intermédiaire. Il devrait négocier pour qu’il y ait une condition de clôture selon laquelle il ne serait pas forcé de procéder à la clôture si, pendant la période intermédiaire, des changements sont apportés à la législation tarifaire applicable pouvant raisonnablement mener à une augmentation importante des coûts ou diminuer le rendement financier de la société cible. L’acheteur devrait, si possible, tenter d’établir sa propre définition de ce qui constitue une augmentation des coûts ou un changement financier important pour éviter toute remise en doute des intentions des parties quant à la question de l’importance relative.

d) Indemnités

  • Du point de vue des vendeurs – Les vendeurs devraient plaider avec véhémence que l’ajout d’une nouvelle indemnité particulière n’est pas justifié, et que l’acheteur devrait se rabattre sur sa vérification diligente et sur les déclarations et garanties négociées.
  • Du point de vue de l’acheteur – L’acheteur veut protéger les attentes incontournables qui sous-tendent son offre d’achat. Dans la mesure où la volonté de l’acheteur de conclure des accords définitifs dépend du fait, par exemple, que la relation avec un certain fournisseur demeurera inchangée après la clôture ou que les droits de douane et autres taxes resteront au même seuil pendant une période donnée, l’acheteur devrait faire assumer ce risque aux vendeurs, et si les parties sont incapables d’atténuer ces risques par d’autres moyens (y compris les déclarations et garanties), l’acheteur pourrait vouloir établir des indemnités particulières. Avant de faire toute proposition à ce sujet, l’acheteur devrait s’assurer d’anticiper les attentes des vendeurs quant aux limitations (temps, sommes maximales, exigences en matière d’assurance et protections contre les réclamations mineures).

5. Autres considérations relatives à la clôture pour l’acheteur

a) Police d’assurance des déclarations et garanties (ADG)

  • Si la souscription d’une assurance des déclarations et garanties est envisagée (que ce soit par l’acheteur ou par les vendeurs), la partie qui sera titulaire de la police devrait voir si celle-ci peut couvrir les risques associés aux tarifs douaniers. Le souscripteur de la police doit s’attendre à se faire poser des questions sur les tarifs douaniers pendant l’appel de souscription et être prêt à démontrer à l’assureur que même s’ils peuvent avoir un effet sur l’entreprise, les parties ne considèrent pas qu’ils représentent un risque important. Si la vérification diligente révèle que des tarifs douaniers pourraient mener à un manquement à une déclaration, l’assureur pourrait ajouter une exception réputée à cette déclaration plutôt que d’exclure le risque. Toutefois, lorsque l’incertitude plane quant à l’incidence des tarifs douaniers potentiels, les assureurs ont tendance à exclure les pertes qui y sont liées. L’approche des assureurs varie de dossier en dossier, mais vu les exclusions excessivement larges imposées en réponse à la pandémie de COVID-19, le souscripteur devrait autant que possible s’opposer aux exclusions générales liées à la conjoncture macroéconomique. Il devrait plutôt tenter d’obtenir des exclusions plus circonscrites visant les conséquences directes (plutôt qu’indirectes) des changements aux tarifs douaniers, comme l’augmentation des prix des fournisseurs. La probabilité que des exclusions du genre figurent dans la police dépend du type d’opération : elle est beaucoup plus élevée lorsque l’opération vise des importateurs ou exportateurs de biens.

b) Services de transition

  • L’acheteur devrait aussi penser à demander à un des vendeurs de rester à l’emploi de la société ou de lui fournir des services de consultation après la clôture dans le cadre de sa stratégie de gestion des risques associés aux tarifs douaniers. Par exemple, l’acheteur pourrait demander aux vendeurs de poursuivre les discussions entamées avec des fournisseurs de remplacement potentiels ou de développer de nouveaux marchés en dehors des États-Unis pour recevoir leur paiement au titre d’une clause négociée d’indexation sur les bénéfices futurs.

c) Baux avec des parties liées

  • Si l’acheteur reprend des baux immobiliers conclus avec des sociétés affiliées ou des parties liées des vendeurs, il devrait étudier la possibilité de les modifier afin d’obtenir un droit de résiliation anticipée dans l’éventualité où il serait contraint, en raison de changements à la législation tarifaire, de relocaliser la production après la clôture.

Conclusion

Les vendeurs et les acheteurs confrontés à l’incertitude commerciale et économique ont des priorités et des stratégies différentes pour la planification des opérations de fusion-acquisition et pour l’attribution de la responsabilité liée aux perturbations dans la chaîne d’approvisionnement et des risques liés aux tarifs douaniers. Il n’y a pas de solution universelle, et l’approche à privilégier dépend largement du secteur concerné. Le paysage des fusions et acquisitions continuera d’évoluer en réponse aux changements dans les politiques tarifaires. Les vendeurs et les acheteurs doivent se tenir au courant des nouveaux risques et de leur incidence sur la structuration d’opérations.

Notre équipe a tout ce qu’il faut pour vous accompagner dans la structuration de vos opérations de fusion-acquisition et vous proposer des solutions sur mesure. Pour en savoir plus sur les risques associés aux tarifs douaniers dans le contexte de ces opérations, n’hésitez pas à communiquer avec l’un des auteurs ou un autre membre du groupe Fusions et acquisitions de Miller Thomson