Les organismes de bienfaisance œuvrant auprès des populations aux prises avec des difficultés économiques pourront désormais bénéficier de l’une des exemptions fiscales les plus étendues accordées par le gouvernement de l’Ontario sans avoir à structurer artificiellement leurs activités. En effet, la Cour d’appel de l’Ontario (la « Cour » ou la « Cour d’appel ») a pris la décision inhabituelle d’infirmer sa propre décision de 1998 et de supprimer un critère en décalage avec l’« interprétation à double objectif » des lois fiscales.
Dans un prochain article, nous présenterons une analyse détaillée des principes juridiques en jeu, de leur interaction avec d’autres domaines du droit des organismes de bienfaisance et avec les notions de l’Agence du revenu du Canada, ainsi que les recommandations pour une structure plus efficace des organismes de bienfaisance.
Dans le présent article, nous examinons comment ce changement juridique ouvre de nouvelles perspectives aux organismes de bienfaisance qui avaient peu d’espoir d’obtenir une exemption de l’impôt foncier du fait de leur situation. Cette nouvelle jurisprudence permet aux organismes soutenant les populations vulnérables de bénéficier d’un allègement fiscal, même dans les situations où de telles demandes étaient auparavant vouées à l’échec.
Le « critère d’effort » du gouvernement de l’Ontario et ses effets sur l’accès des organismes de bienfaisance à l’allègement fiscal foncier
L’article 3(1)12(iii) de la Loi sur l’évaluation foncière (la « Loi ») prévoit une exemption pour ce qui suit :
Les biens-fonds dont est propriétaire et qu’utilise et occupe une société de bienfaisance philanthropique à but non lucratif constituée pour venir en aide aux pauvres, si cette société est financée en partie par des fonds publics.
Toutefois, pendant plusieurs dizaines d’années, des organismes de bienfaisance légitimes ont été privés de cet allègement fiscal foncier en raison d’une application restrictive et artificielle de cette exemption.
L’affaire Religious Hospitallers
La décision Religious Hospitallers of St. Joseph Housing Corp. c. Regional Assessment Commissioner (« Religious Hospitallers ») rendue en 1998 par la Cour d’appel de l’Ontario a établi l’exigence de ce qui porte parfois le nom de « critère d’effort » pour déterminer si une société est « constituée dans le but de venir en aide aux pauvres ».
Dans cette affaire, la société immobilière requérante possédait 59 logements pour personnes âgées attribués conformément à un programme de location approuvé par le ministère des Affaires municipales et du Logement. La majorité des logements étaient destinés à des ménages ayant des « besoins essentiels importants » et 20 % étaient loués au prix courant. Les objectifs caritatifs de la société se limitaient à fournir des logements à des personnes à revenus faibles ou modérés.
La Cour n’a pas statué sur la question de savoir si ces faits étaient suffisants pour déterminer si les locataires pouvaient être considérés comme « pauvres », mais a plutôt appliqué un critère distinct pour déterminer si la société était « constituée pour venir en aide aux pauvres ». Selon la Cour, [traduction] « c’est à la société, par quelque forme d’effort de sa part, d’accorder l’allègement en question ».
La Cour a estimé que cette exigence n’était pas remplie dans la mesure où la société se contentait de posséder les propriétés et ne participait pas à des collectes de fonds ni à la gestion active des opérations du complexe résidentiel. Le fait que les logements étaient fournis grâce aux loyers ou aux frais payés par les locataires et aux fonds publics a été jugé insuffisant pour satisfaire au critère de « constitution pour venir en aide aux pauvres ».
Interprétation rejetée et infirmée
Dans l’affaire Stamford Kiwanis Non-Profit Homes Inc. c. Municipal Property Assessment Corporation (« Stamford Kiwanis »), l’interprétation restrictive a été réexaminée par un nouveau panel de juges et infirmée dans la décision de la Cour d’appel rendue en juin 2025. Cette mesure est inhabituelle. Dans le respect des règles de la Cour d’appel relatives à la révision de ses propres décisions, le panel de cinq juges a conclu à l’unanimité à une erreur de jugement dans l’affaire Religious Hospitallers.
Dans l’affaire Stamford Kiwanis, le juge saisi de la demande et la Cour divisionnaire se sont retrouvés liés par le « critère d’effort » de l’affaire Religious Hospitallers et ont rejeté l’exemption demandée par la requérante, un fournisseur de logements abordables, même si la Cour divisionnaire a estimé que le jugement prononcé dans l’affaire Religious Hospitallers était inadéquat. Seul un renversement formel de cette décision serait suffisant.
La Cour d’appel a effectivement infirmé la décision Religious Hospitallers estimant que le champ d’application et l’objectif de l’article 3(1)12(iii) de la Loi avaient été indûment limités par l’ajout d’une exigence inexistante, inutile et vague de « certains efforts ».
Au paragraphe 93, la Cour a statué ce qui suit :
[traduction] Outre son erreur sur le fond, cette décision compromet la finalité et l’objectif appréciables de l’article 3(1)12(iii) de la Loi, en restreignant son champ d’application et en introduisant un élément extérieur d’effort.
Et ce qui suit au paragraphe 95 :
[traduction] Aucun effort distinct ni aucune preuve de collecte de fonds privée n’est nécessaire.
Accès simplifié à l’allègement fiscal foncier : nouvelle norme juridique pour les organismes de bienfaisance de l’Ontario
À la suite de l’affaire Stamford Kiwanis, le critère d’exemption prévu à l’article 3(1)12(iii) de la Loi exige désormais que le requérant démontre ce qui suit :
- qu’il est propriétaire et qu’il utilise et occupe le terrain;
- qu’il est une société de bienfaisance philanthropique à but non lucratif;
- qu’il est constitué pour venir en aide aux pauvres, ce qui signifie : a) que l’objet principal ou l’utilisation principale du bien en question est de venir en aide aux pauvres, et b) que l’organisme exerce, du moins en partie, ses activités dans le but de venir en aide aux pauvres. Les finalités de l’organisme peuvent servir de référence aux points a) et b), sans toutefois être déterminantes. Les bénéficiaires auxquels s’adresse l’organisme doivent présenter une certaine précarité ou vulnérabilité économique.
- le requérant doit être en partie subventionné par des fonds publics (entendus jusqu’ici comme des fonds d’origine gouvernementale).
Quelles sont les répercussions pour les organismes de bienfaisance et les OBNL?
L’arrêt Stamford Kiwanis ouvre l’accès à un plus grand nombre d’organismes pouvant être admissibles à un allègement fiscal foncieren vertu de l’article 3(1)12(iii) de la Loi. Le « critère d’effort » ambigu ne s’applique plus.
Tout organisme qui vient en aide (même partiellement) à des personnes ou à des collectivités locales en situation de précarité ou de vulnérabilité économique peut désormais bénéficier de cet allègement fiscal, même en cas de refus antérieur.
Pour discuter de l’admissibilité de votre OBNL ou organisme de bienfaisance à l’allègement fiscal foncier, communiquez avec les membre des équipes Évaluation immobilière et impôt foncier ou Organismes de bienfaisance et à but non lucratif de Miller Thomson.