Quand une clause standardisée devient un obstacle à la justice
Les clauses d’arbitrage sont couramment utilisées dans les contrats commerciaux pour offrir un mode de résolution des différends rapide et confidentiel. Mais que se passe-t-il lorsqu’une telle clause, bien que validement rédigé, devient un obstacle déraisonnable à l’accès à la justice pour l’une des parties?
C’est la question qu’a tranchée récemment la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Hydro-Québec c. Terrassement St-Louis inc., 2025 QCCA 900.
Cette décision fournit des enseignements pratiques pour les entreprises, particulièrement en ce qui concerne la rédaction et l’application des clauses d’arbitrage dans les contrats d’adhésion.
Résumé du litige : entre clause d’arbitrage et accès à la justice
Terrassement St-Louis inc. (« TSL »), une PME régionale, a conclu un contrat avec Hydro-Québec pour la réhabilitation environnementale d’un site contaminé. Lorsqu’un différend est survenu, TSL a intenté un recours devant la Cour supérieure dans le district de Chicoutimi pour une réclamation au montant de 253 128 $. Hydro-Québec a alors invoqué une clause d’arbitrage et a demandé le renvoi en arbitrage, ou à défaut, un transfert dans le district judiciaire de Montréal.
En première instance, la juge a rejeté la demande de renvoi d’Hydro-Québec, estimant que la clause d’arbitrage, imposée sans négociation dans un contrat d’adhésion par Hydro-Québec, était abusive et constituait un obstacle déraisonnable à l’accès à la justice pour TSL. En d’autres mots, la juge de première instance analyse la proportionnalité de la clause et le réalisme économique des parties. La juge de première instance a également déterminé que la clause de lieu de passation du contrat était également abusive, notamment en ce qu’elle impose une concentration indue des litiges à Montréal alors qu’Hydro-Québec possède de nombreuses places d’affaires ailleurs au Québec.
En appel, la Cour a partiellement infirmé ce jugement : elle a confirmé le caractère abusif de la clause d’arbitrage, mais a néanmoins ordonné que le dossier soit transféré devant la Cour supérieure du district de Montréal, en jugeant que clause de lieu de passation du contrat était valide. La Cour d’appel estime que l’enjeu de la concentration des litiges à Montréal ne saurait être suffisant pour établir le caractère abusif de la clause[1].
En révisant la clause d’arbitrage en litige, la Cour d’appel fourni plusieurs enseignements pertinents à retenir lors de la rédaction d’une telle clause.
Enseignement nº1 : L’arbitrage ne doit pas être une barrière économique
L’arbitrage est souvent perçu comme un mécanisme avantageux : flexibilité, rapidité, confidentialité, expertise des arbitres, décision finale, mais il peut aussi comporter des coûts importants, notamment lorsque trois arbitres sont exigés, comme c’était le cas en l’espèce.
Autant en première instance que devant la Cour d’appel, il est déterminé que la clause d’arbitrage en litige était valablement rédigé. Cependant, elle a été jugée abusive compte tenu de la réclamation monétaire relativement limitées de TSL, laquelle se verrait vraisemblablement anéantir par les frais d’un arbitrage à Montréal, devant trois arbitres, en plus des frais d’avocats. Il existait donc, aux yeux du tribunal, une difficulté de proportionnalité ce qui rendait la clause déraisonnable.
En pratique : Lorsqu’on prévoit recourir à l’arbitrage comme mode de résolution des différends, il est souhaitable de prévoir une formulation modulable ou une procédure d’arbitrage accélérée ou simplifiée, laquelle trouverait application selon la valeur en litige. Une clause d’arbitrage trop rigide ou qui permet aux arbitres de déterminer la procédure applicable pourrait être jugée abusive par un tribunal.
Enseignement nº2 : Un contrat d’adhésion impose des responsabilités particulières
La juge de première instance ainsi que la Cour d’appel rappellent qu’un contrat d’adhésion, c’est-à-dire un contrat dont les stipulations essentielles sont imposées sans négociation, est soumis à un contrôle judiciaire plus strict.
Dans le cas de TSL et Hydro-Québec, les stipulations essentielles du contrat, y compris les clauses d’arbitrage et de juridiction, avaient été imposées par Hydro-Québec à TSL. La Cour d’appel confirme que cette situation répond à la définition d’un contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 C.c.Q.
En pratique : Lorsqu’un contrat intervient sans négociation et qu’il est imposé par l’une ou l’autre des parties, la caractère raisonnable et équitable des clauses devraient être une considération importantes et des mécanismes d’ajustement sont à envisager.
En résumé, à retenir :
- Une clause d’arbitrage, valide dans sa rédaction, peut être déclarée abusive si elle impose des coûts excessifs à une partie contractante vulnérable, dans le cadre d’un contrat d’adhésion.
- Les contrats d’adhésion sont soumis à un contrôle plus strict des clauses limitant l’accès à la justice.
- Les clauses d’arbitrage devraient être flexibles: prévoir un seul arbitre ou une procédure accélérée selon le contexte.
- Les entreprises doivent adapter leurs modèles contractuels pour éviter des litiges inutilement coûteux ou la nullité de leurs clauses.
Bonnes pratiques contractuelles à adopter :
Voici quelques pistes concrètes pour éviter les situations similaires :
- Prévoir des options hybrides en modulant le nombre d’arbitres selon la valeur en litige (ex. : un seul arbitre pour les litiges de moins de 500 000 $).
- Inclure une procédure simplifiée ou accélérée (par exemple : durée limitée, délais fixes, arbitrage à distance par vidéoconférence, documentation écrite uniquement, etc.).
- Prévoir des lieux d’arbitrage alternatifs selon le siège social des parties ou la localisation du projet.
- Documenter les discussions et la négociation : une trace écrite d’une discussion lors de la conclusion ou négociation d’un contrat ou d’une entente de principe, même minimale, pourrait s’avérer utile afin de soulever un doute quant à la qualification du contrat d’adhésion.
En conclusion : une vigilance accrue dans vos clauses types
L’affaire Hydro-Québec c. Terrassement St-Louis est un rappel clair : une clause d’arbitrage standardisée n’est pas à l’abri du contrôle judiciaire, surtout si elle crée un déséquilibre contractuel entre les parties.
Notre équipe en litige commercial accompagne les entreprises non seulement dans les processus d’arbitrage, mais également en amont, lors de la négociation, la rédaction et la révision stratégique de leurs contrats. Contactez-nous pour sécuriser vos pratiques contractuelles, éviter les écueils judiciaires et protéger vos droits dès la formation de vos ententes.
[1] Pour arriver à cette dernière conclusion, la Cour d’appel se fonde principalement sur une décision antérieure de sa Cour rendue en 2014 qui avait traité spécifiquement de la question de clause de lieu de passation de contrat dans le cadre des contrats d’Hydro-Québec. Voir : Hydro-Québec c. Canmec Industriel inc. (2014 QCCA 919).