Nombreux sont les lecteurs qui savent que le gouvernement canadien interdit, depuis le 1er janvier 2023, l’achat d’immeubles résidentiels au Canada par des non-Canadiens. La Loi sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens (la « Loi »)[1] elle-même remonte au 23 juin 2022, mais il lui manquait son règlement d’application pour qu’elle produise tous ses effets. Celui-ci est maintenant en vigueur.

En gros, la Loi s’attaque aux problèmes d’abordabilité et de disponibilité du logement en interdisant aux non-Canadiens d’acheter des logements en vue d’en augmenter le nombre à la disposition des Canadiens.  Les exceptions à cette interdiction ayant déjà fait couler beaucoup d’encre, le présent article ne les décrira pas. L’article suivant de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (« SCHL ») est un bon point de départ pour se renseigner sur les principales dispositions de la Loi et de son règlement : « S’assurer que le marché de l’habitation demeure accessible aux Canadiens ».

Notre article analyse trois concepts centraux de la Loi et de son principal règlement, DORS/2022-250[2], qui est entré en vigueur le 1er janvier 2023. Le Règlement définit ce qui constitue un bien immobilier assujetti à l’interdiction.  Cela dit, l’approche privilégiée par le Règlement causera de sérieux maux de tête à bon nombre de nos clients étant donné la portée plus large qu’attendu de l’interdiction d’achat d’immeubles dont la vocation n’est pas immédiatement ou manifestement résidentielle.  Le Règlement établit également les critères de détermination du degré de contrôle étranger qui assujettit un acheteur à l’interdiction, dont la portée est aussi plus large que prévu.  Cet article traite également du potentiel de poursuites à l’encontre de toute personne qui aide une autre personne, qui peut ou non être canadienne, à acheter un immeuble résidentiel.  Malheureusement, le libellé actuel du Règlement porte sérieusement à confusion et a des conséquences indésirables.  L’auteur principal de cet article et d’autres à Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. participent à une initiative qui vise à dissiper cette confusion et, nous l’espérons, à corriger les conséquences indésirables. Miller Thomson tiendra les lecteurs informés de l’évolution de ce dossier.

Immeuble résidentiel : une définition trop large

L’interdiction d’achat s’applique aux « immeubles résidentiels », que la Loi définit assez clairement : logements en copropriété (et parties communes) et immeubles qui comprennent au plus trois locaux d’habitation, c’est-à-dire, essentiellement, les maisons individuelles, les duplex et les triplex. Cela dit, le Règlement ajoute à l’interdiction l’achat d’« un fonds zoné pour usage résidentiel ou mixte, qui ne contient pas de logement habitable et qui est situé dans une agglomération de recensement ou dans une région métropolitaine de recensement. »

Le Règlement semble donc interdire l’achat d’un terrain vacant ou d’immeubles commerciaux, industriels ou institutionnels situés sur un fonds zoné pour « usage résidentiel ou mixte ». Il n’y a aucune exemption claire pour les immeubles à seule vocation commerciale, industrielle ou institutionnelle dans les zones mixtes où un usage résidentiel peut s’implanter, que ce soit dans l’immédiat ou à la suite d’un réaménagement important, comme c’est le cas pour les immeubles résidentiels à plusieurs locaux d’habitation. Aux termes du Règlement, il suffit qu’il y ait un local d’habitation sur le fonds. Dans la majorité des cas, les immeubles de bureau, les usines et les entrepôts n’en contiennent aucun. Ce n’est probablement pas l’effet recherché étant donné que la SCHL, que le gouvernement a consultée avant d’adopter le Règlement, indique dans son communiqué de presse que l’interdiction s’applique aux « terrains vacants qui ne comportent pas de logements habitables, qui sont zonés à usage résidentiel ou mixte », bien que le Règlement ne contienne pas le terme « vacant ».

Même si l’interdiction ne vise que les terrains vacants, elle est applicable même aux terrains devant être réaménagés pour des immeubles à locaux d’habitation multiples (appartements à louer, copropriété). Il reste que si ces immeubles existaient déjà, la propriété serait exemptée. Tout réaménagement qui contribue à l’augmentation du nombre de logements disponibles au Canada devrait être considéré comme s’alignant sur les objectifs de la Loi. L’interdiction d’acheter des terrains vacants pour la construction d’immeubles à locaux d’habitation est un effet imprévu de la Loi, un effet qui est même contraire à son esprit.

Le terme « usage mixte » appliqué aux fonds zonés dans le Règlement est déplorablement ambigu. À notre avis, le gouvernement canadien, malgré le manque de clarté, entendait par « usage mixte » le zonage où l’usage résidentiel est l’un des usages permis. La grande majorité des municipalités effectuent le zonage de terrains pour un usage commercial, institutionnel et industriel tout en y interdisant l’usage résidentiel. Il n’est pas clair si le terme « usage mixte » s’applique à ce type de terrain. Il y a même des règlements de zonage qui permettent un usage résidentiel rigoureusement encadré – par exemple, pour le gardien de grandes installations industrielles –, ce qui, même dans le cadre d’une interprétation téléologique de la disposition, assujettirait ce type de terrain à l’interdiction.

Les sociétés par actions et l’importance du « contrôle »

Les sociétés par actions et autres entités sont assujetties à l’interdiction si elles répondent à la définition de « non-Canadien » à l’article 2 de la Loi. Les sociétés par actions constituées sous le régime des lois canadiennes peuvent être assujetties à l’« interdiction ». Le premier critère consiste à déterminer si la société ou l’entité est contrôlée par une entité non canadienne. Le Règlement définit la notion de « contrôle » :

  1. propriété directe ou indirecte d’actions ou de titres de participation qui représentent 3 % ou plus de la valeur des capitaux qui lui sont propres, ou lui conférant 3 % ou plus des droits de vote; ou
  2. contrôle de fait de la société ou de l’entité, directement ou indirectement, par l’intermédiaire de la propriété, d’un accord ou autrement.

Parce que le seuil de propriété directe ou indirecte d’une société canadienne par une entité non canadienne est extrêmement bas (3 % des droits de vote ou des capitaux propres), beaucoup d’acheteurs potentiels sont frappés d’interdiction.

Le second critère, le « contrôle de fait », n’étant défini ni dans la Loi ni dans le Règlement, beaucoup d’acheteurs devront soumettre leur projet d’achat d’un immeuble résidentiel à l’analyse rigoureuse de leur conseiller juridique pour qu’il détermine s’il contrevient à la Loi. Le sens de « contrôle de fait » est établi selon les particularités de chaque cas, même si la jurisprudence et les interprétations antérieures du paragraphe 256(5.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu et d’autres dispositions de la Loi sur Investissement Canada donnent quelque orientations, dans la mesure où le terme est utilisé dans des circonstances similaires.

Pénalités pour les collaborateurs et l’acheteur

 La Loi évite d’invalider les ventes qui sont en contravention et privilégie plutôt les pénalités et autres mesures à l’encontre de l’acheteur. En effet, elle prévoit explicitement la non-invalidation de la vente en contravention pour éviter l’avalanche de problèmes qui en résulteraient.

Toute contravention est passible d’une amende maximale de 10 000 $; cela dit, la disposition s’applique largement à « toute personne ou entité qui conseille, incite, aide ou encourage ou tente de conseiller, d’inciter, d’aider ou d’encourager un non-Canadien à acheter, directement ou indirectement, un immeuble résidentiel, tout en sachant que la présente loi en interdit l’achat à ce dernier ». Les personnes occupant un poste de gestionnaire ou de superviseur, ainsi que les « hauts fonctionnaires », dirigeants, administrateurs, agents ou mandataires de l’entité, sont individuellement responsables.  Une amende de 10 000 $ a un réel pouvoir dissuasif en ce qui a trait à l’achat du type de propriétés que la Loi entend rendre plus accessibles aux familles canadiennes.

Par contre, en plus des amendes financières, le paragraphe 7(1) de la Loi habilite un tribunal à ordonner la vente d’une propriété résidentielle qui a été achetée par un non-Canadien, en contravention de la Loi. Nous nous attendons à ce que ce recours soit le principal outil de la Loi dans le cas des transactions importantes. Cette approche donne au gouvernement une certaine latitude pour utiliser le recours, en fonction des circonstances de l’achat.  La Loi exige une analyse judiciaire plus poussée de la valeur ou du mérite de l’application de cette mesure draconienne. Le tribunal qui ordonne la vente doit être convaincu « que l’incidence d’une ordonnance de vente ne serait pas disproportionnée par rapport à la nature et à la gravité de la contravention ». Une fois émise, par contre, l’ordonnance pénalise l’acheteur non-Canadien en déduisant les frais de la vente, les frais engagés par le ministre pour présenter la demande d’ordonnance et toute amende impayée par le non-Canadien du produit de la vente, et en octroyant la plus-value sur le prix d’achat au receveur général. Si la vente est ordonnée, elle entraînera la perte de la viabilité commerciale de l’achat.

Le principal élément d’incertitude à l’heure actuelle est de savoir qui d’autre peut être passible de poursuite pour sa participation à un tel achat. La portée du libellé d’accusation est très large. Il inclut probablement toute personne agissant pour le compte de l’acheteur dans le cadre d’une relation de mandataire (ex. : agent immobilier), et connaissant le statut de celui-ci. Il est beaucoup plus difficile de savoir si d’autres personnes (avocats, courtiers hypothécaires, prêteurs, y compris le vendeur de la propriété et ses mandataires) sont visées par l’article 6 de la Loi et si des poursuites rigoureuses sont possibles. Il faudra examiner les faits avec soin pour établir le risque dans bien des cas.

Bien que les conseillers juridiques puissent offrir à ces acteurs des outils et des solutions pour réduire le risque de poursuite, il reste à savoir si ces mesures constitueront une barrière déraisonnable aux transactions. Dans le cas particulier d’une transaction qui s’alignait sur l’esprit de la Loi, c’est-à-dire d’améliorer l’accès au logement (ex. : achat de terrains vagues à zonage résidentiel pour la construction de nouveaux logements), il reste à savoir si les risques seront un obstacle important à ces transactions.

Conclusion

Ce ne sont que quelques exemples des questions et difficultés soulevées par l’interprétation et l’application de la Loi. Heureusement, le gouvernement a indiqué qu’il répondrait à toute question qui sera soulevée. Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. fait partie d’une initiative pour encourager le gouvernement à préciser certaines parties de la Loi et des ses règlements, et nous fournirons plus d’information à mesure qu’elle devient disponible. Nous surveillerons tout problème relatif à la constitutionnalité du régime en ce qui concerne la séparation des pouvoirs entre le fédéral et les provinces.

Pour toute question sur ces difficultés, des exemptions particulières ou les règles de la Loi sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens, communiquez avec un membre du groupe Droit immobilier.

[1]L.C. 2022, ch. 10, art. 235

[2] Règlement sur l’interdiction d’achat d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens, DORS/2022-250 (le « Règlement »).