Les locateurs ontariens sont sur le point de connaître l’un des plus importants changements apportés à la réglementation au cours des dernières années. Avec son projet de loi 10, Loi de 2025 pour protéger l’Ontario en rendant les rues plus sûres et les collectivités plus fortes (le « projet de loi »), dont la sanction royale[1] a été reçue le 5 juin 2025, la province a fait connaître son intention de lutter contre les activités illégales liées à la drogue en imposant de nouvelles responsabilités d’exécution aux propriétaires fonciers. 

L’annexe 8 du projet de loi, Loi de 2025 sur les mesures visant les lieux où se déroulent des activités illégales liées à la drogue (la « Loi »), introduit l’imposition d’obligations inédites aux locateurs, qui doivent prendre des mesures actives pour empêcher que des activités illégales liées à la drogue soient exercées sur leur bien. 

La Loi fournit cependant peu de précisions sur les mesures que les locateurs sont réellement tenus de prendre. Comment les locateurs peuvent-ils éviter de mettre en jeu leur responsabilité lorsque leurs locataires agissent de manière indépendante? Qu’entend-on par « mesure raisonnable » de prévention? Le présent article explique ce que nous savons jusqu’à maintenant et ce que les locateurs peuvent faire d’ores et déjà pour régler les problèmes de conformité avant qu’ils ne surviennent.

Conséquences légales du non-respect de la loi : ce que les locateurs doivent savoir

En attendant l’entrée en vigueur de la Loi, les locateurs devraient faire le nécessaire dès maintenant pour comprendre les conséquences possibles du non-respect de la Loi. Les peines et sanctions financières potentielles sont lourdes et de large portée :

  • Amendes : maximum de 1 000 000 $ pour les locateurs institutionnels (première infraction) et maximum de 250 000 $ pour les particuliers (première infraction). Des amendes quotidiennes peuvent s’appliquer en cas d’infractions subséquentes.
  • Emprisonnement : Les contrevenants s’exposent à une peine d’emprisonnement maximale de deux ans moins un jour.
  • Responsabilité personnelle des administrateurs et dirigeants : Les locateurs institutionnels ne sont pas à l’abri – les décideurs individuels peuvent être tenus personnellement responsables.
  • Fermeture immédiate des lieux commerciaux: Si une accusation est portée contre un locataire pour la commission d’une infraction désignée et que la police a des motifs raisonnables de croire que le bien a été utilisé dans le cadre de la commission de l’infraction reprochée, l’agent de police peut ordonner :
    • la fermeture immédiate du lieu; et
    • l’évacuation des personnes qui s’y trouvent.

    Ces conséquences soulignent l’importance d’une bonne préparation, de la mise à jour des politiques internes et de la consultation d’un conseiller juridique avant l’entrée en vigueur de la Loi.[2]

    Tenter de se conformer à l’aveuglette : Que signifie réellement « raisonnable »?

    Comment un locateur peut-il donc éviter ces lourdes conséquences?  En vertu de la Loi, même si une infraction désignée a été commise sur le bien d’un locateur, ce dernier peut éviter de se voir imposer des amendes et des peines s’il démontre qu’il a pris des « mesures raisonnables » pour empêcher la commission de l’infraction[3]

    Malheureusement, le terme « mesures raisonnables » n’est pas défini dans la Loi, et son règlement clarifiant cette définition n’a pas encore été publié. Par conséquent, les locateurs ont plus de questions que de réponses :

    • Le fait d’inclure dans le bail des dispositions interdisant les infractions désignées est-il suffisant?
    • Un locateur a-t-il l’obligation formelle d’inspecter régulièrement un bien loué afin de s’assurer du respect de ces dispositions?
    • Le fait de confier ces responsabilités en sous-traitance à un gestionnaire immobilier compétent est-il suffisant, ou le locateur doit-il procéder à une surveillance plus étroite?
    • Est-il nécessaire de déclarer une activité suspecte à la police, ou peut-on simplement résilier la location dans ces circonstances?

    Bien qu’elles ne soient pas définitives, certaines précisions sur la notion de « mesures raisonnables » peuvent être tirées de la jurisprudence portant sur l’interprétation de ce même terme dans le contexte de régimes législatifs analogues.  Par exemple, dans l’affaire Toronto (City) v. 2694605 Ontario Inc., 2024 ONCJ 725, la Cour de justice de l’Ontario (la « Cour ») a clarifié le sens de « mesures raisonnables » en vertu de l’article 13(2) de la Loi de 2017 sur le contrôle du cannabis :

    • Dans cette affaire, des accusations ont été portées contre un locateur pour avoir permis qu’un locataire vende illégalement du cannabis sur son bien.
    • En appel, la Cour a confirmé que le terme « mesures raisonnables » ne comprend pas l’obligation pour un locateur d’épuiser toutes les mesures de prévention possibles. Le terme « mesures raisonnables » signifie plutôt qu’un locateur est tenu de prendre des mesures concrètes et proportionnelles lorsqu’il est informé d’une activité potentiellement illégale.
    • La Cour a entériné la conclusion selon laquelle le locateur avait pris des mesures raisonnables après avoir appris que des activités illégales liées au cannabis étaient exercées sur le bien. Il a notamment vérifié la nature des activités, consulté un conseiller juridique, émis des avis d’éviction et changé les serrures à plusieurs reprises. La Cour a reconnu que le locateur ne participait pas de façon volontaire ou passive aux activités illégales et a rejeté l’argument voulant qu’une action en justice plus musclée, telle qu’une demande judiciaire, était nécessaire.

    Se conformer sans tarder : mesures essentielles à prendre par les locateurs

    Alors, quelles précautions les locateurs devraient-ils prendre dès maintenant pour bien se protéger des graves conséquences du non-respect de la Loi?

    1. Procéder avant tout à une vérification préalable judicieuse des locataires. Il est plus important que jamais que les locateurs effectuent avant tout une vérification préalable judicieuse des locataires potentiels.  Dès qu’un bail d’habitation est signé, les locataires bénéficient d’importantes protections en vertu de la Loi de 2006 sur la location à usage d’habitation (la « LLUH »), et la capacité d’un locateur de modifier les dispositions du bail ou d’entamer des procédures d’éviction est extrêmement limitée. Il est donc essentiel d’appliquer un rigoureux processus de demande.
    2. Adopter des pratiques de filtrage efficaces. La mise en place de pratiques telles que la vérification du revenu et de la solvabilité, l’examen des antécédents en matière de logement et la réalisation d’enquêtes raisonnables sur le mode de vie (dans le respect de la LLUH ou du Code, défini ci-dessous) peut aider les locateurs à limiter au maximum le risque de commission d’une infraction désignée dans un bien loué.
    3. Rédiger les baux en précisant clairement les attentes. Lors de la rédaction du bail, le locateur doit absolument préciser clairement les attentes en ce qui concerne les activités non permises sur les lieux (c.-à-d. les infractions désignées) et les conséquences en cas de manquement à ces conditions (p. ex., droits de résiliation et d’éviction).  Il est également important que le bail procure au locateur des droits d’inspection unilatéraux étendus afin que ce dernier (directement ou par l’intermédiaire d’un gestionnaire immobilier) puisse surveiller les activités exercées dans le bien loué. S’il s’agit d’un exercice de rédaction simple dans un contexte de location commerciale, les locateurs d’habitation ont moins de latitude pour modifier les baux en vertu de la LLUH et doivent plutôt s’en remettre aux droits d’inspection et d’accès qu’elle prévoit (p. ex., en prévoyant des rendez-vous réguliers pour l’entretien ménager qui permettent au locateur d’entrer dans les lieux et de les examiner).

    Risques et droits : les devoirs du locateur en vertu du Code des droits de la personne

    Avant d’opter pour l’une ou l’autre des stratégies ci-dessus, les locateurs doivent garder en tête leurs obligations en vertu du Code des droits de la personne (le « Code »), qui a préséance sur la LLUH et la Loi. Le Code interdit la discrimination en matière de logement fondée sur des motifs illicites, y compris un handicap. Il est important de reconnaître que la consommation de substances psychoactives et la dépendance peuvent être considérées comme un handicap en vertu du Code. Les locateurs doivent veiller à ce qu’un refus de louer ne soit pas fondé uniquement sur un droit de la personne protégé.  Autrement dit, le simple fait de soupçonner qu’une personne puisse être un consommateur de drogue illicite ne peut, en soi, justifier un refus de lui louer un logement.

    Les locateurs doivent également être conscients du risque d’outrepasser les limites en tentant de prendre des « mesures raisonnables » et de s’exposer à d’éventuelles poursuites judiciaires de la part de locataires, par exemple pour violation de la LLUH, du Code, du bail ou autre. Un locataire peut prétendre que le locateur a porté atteinte à son droit de jouissance paisible des lieux, ou que la conduite du locateur a été influencée par des préjugés ou des stéréotypes liés à un droit humain protégé en vertu du Code.

    Autre exemple : un locateur bien intentionné signale une infraction soupçonnée à la police, une démarche qui amène le locataire à déposer une plainte pour souffrance morale.  Par conséquent, les locateurs doivent user de prudence pour s’assurer que les efforts qu’ils déploient pour se conformer à la Loi n’enfreignent pas par inadvertance les droits des locataires prévus par la loi ou ne sont pas incompatibles avec des obligations concurrentes imposées par d’autres lois.

    La mise en place de la Loi représente un changement majeur dans le paysage réglementaire de l’Ontario, car elle impose aux locateurs des obligations inédites leur enjoignant de surveiller et d’empêcher les activités liées à la drogue sur leurs biens. Compte tenu du risque d’écoper de lourdes amendes, de voir la responsabilité des personnes morales, ainsi que de leurs administrateurs et dirigeants mise en jeu et de subir d’éventuelles sanctions pénales, les locateurs doivent agir de manière proactive pour évaluer et gérer leur risque.

    Les locateurs doivent agir dès maintenant. Les propriétaires sont invités à commencer leur préparation en évaluant leur risque potentiel et en prenant des mesures de protection, comme l’examen des baux types et des protocoles de vérification des locataires en collaboration avec un conseiller juridique. Ils devraient également informer leur conseil d’administration, leurs employés et leurs gestionnaires immobiliers au sujet des modifications apportées à ce régime. Notre groupe Copropriétés peut vous aider à vous préparer adéquatement pour être en mesure de respecter les nouvelles obligations qui vous incombent en vertu de la Loi.


    [1] https://www.ola.org/fr/affaires-legislatives/projets-loi/legislature-44/session-1/projet-loi-10

    [2] https://www.ola.org/fr/affaires-legislatives/projets-loi/legislature-44/session-1/projet-loi-10#BK10, article 7(1) de l’annexe 8

    [3] https://www.ola.org/fr/affaires-legislatives/projets-loi/legislature-44/session-1/projet-loi-10#BK10, article 2(2) de l’annexe 8