Le 15 mai 2025, le gouvernement provincial a publié son budget de 2025, sans donner quelque signe que ce soit d’une réévaluation générale des impôts fonciers. Dans un avenir prévisible, les évaluations foncières en Ontario demeureront fondées sur la date d’évaluation du 1er janvier 2016. Cependant, après l’application de la même date d’évaluation durant près d’une décennie à ce jour, une décision de la Commission de révision de l’évaluation foncière (« CRÉF ») suscite un débat autour du nombre de dates d’évaluation existant dans le système d’évaluation foncière de l’Ontario.

Selon l’interprétation de la CRÉF dans l’affaire General Motors of Canada Company v Municipal Property Assessment Corporation Region 23, 2024 CanLII 55068 (ON ARB) (« General Motors »), la Loi sur l’évaluation foncière prescrit des dates d’évaluation différentes pour les évaluations omises et supplémentaires effectuées au cours du cycle d’évaluation. Si elle est maintenue, cette interprétation pourrait faire grimper considérablement l’impôt à payer des contribuables de l’Ontario.

La progression des dates d’évaluation multiples

Une évaluation omise est effectuée aux termes de l’article 33 de la Loi sur l’évaluation foncière pour remédier à une omission du rôle d’imposition (c.-à-d. que la valeur d’un bâtiment absente du rôle d’imposition y est maintenant inscrite). Une évaluation supplémentaire est effectuée aux termes de l’article 34 de la Loi sur l’évaluation foncière pour tenir compte de certaines circonstances énumérées dans cet article (c.-à-d. que la valeur imposable a augmenté par suite d’une amélioration).

Selon l’interprétation de la CRÉF dans l’affaire General Motors, les articles 33 et 34 de la Loi sur l’évaluation foncière prescrivent des dates d’évaluation différentes de la date d’évaluation de la réévaluation générale, soit le 1er janvier 2016. Autrement dit, tandis que les biens en Ontario demeurent généralement évalués au 1er janvier 2016, selon l’interprétation donnée par la CRÉF dans General Motors, si un bien fait l’objet d’une évaluation supplémentaire ou omise, celle-ci sera assortie d’une date d’évaluation autre que la date d’évaluation de la réévaluation générale du 1er janvier 2016.

Dans l’affaire General Motors, la CRÉF fait remarquer que l’article 34 renvoie implicitement à deux dates d’évaluation :

  1. la date à laquelle la construction d’une amélioration est achevée;
  2. la date à laquelle une amélioration commence à servir.

La CRÉF n’indique toutefois pas quelle date d’évaluation s’applique aux évaluations omises effectuées aux termes de l’article 33.

Cette interprétation n’est pas entièrement nouvelle. Elle rappelle les conclusions énoncées dans l’affaire National Car Rental (Canada) Inc. v Municipal Property Assessment Corporation, Region 15, 2022 CanLII 53352 (ON ARB) :

[Traduction]
« Toutefois, seuls les articles 33 et 34 prévoient que la valeur actuelle peut être déterminée en fonction d’un jour d’évaluation qui suit le jour de l’évaluation de la réévaluation générale prescrit par l’article 19.2 de la Loi. » (National Car, paragraphe 229)

Quoique cette interprétation des articles 33 et 34 remonte à plusieurs années, les conclusions de la CRÉF ne sont devenues que récemment matière à controverse dans des appels relatifs à l’évaluation. À notre connaissance, au moment de rédiger le présent article, la CRÉF a inscrit des requêtes sur cette « question » dans au moins deux instances. Dans un cas, toutes les parties à la procédure d’appel en matière d’évaluation conviennent qu’un seul jour d’évaluation s’applique à toutes les évaluations effectuées au cours du cycle d’évaluation actuel, à savoir le 1er janvier 2016.

Les dates d’évaluation multiples : une nouvelle question à résoudre quant à l’évaluation?

L’orientation croissante de la CRÉF vers la reconnaissance de jours d’évaluation multiples dans le cycle d’évaluation soulève des questions importantes et complexes quant à l’évaluation qui sera faite des biens à l’avenir, en particulier alors que nous en sommes au milieu de la neuvième année d’un cycle d’évaluation qui devait compter quatre ans.

Le scénario suivant permet d’illustrer certaines complications possibles :

Un immeuble de bureaux est évalué à 30 000 000 $ pour les années d’imposition allant de 2017 à 2024, et sa valeur est établie à la date d’évaluation du 1er janvier 2016 aux termes de l’article 19.2 de la Loi sur l’évaluation foncière. Le 1er janvier 2025, le propriétaire de l’immeuble apporte une amélioration, entraînant une évaluation supplémentaire par la Société d’évaluation foncière des municipalités (« SEFM »). Selon les motifs énoncés dans l’affaire General Motors, l’amélioration doit être évaluée au 1er janvier 2025, tandis que le reste de l’immeuble doit demeurer évalué au 1er janvier 2016.

D’importantes questions en découlent :

  • La SEFM peut-elle évaluer les composants d’un bien en fonction de dates d’évaluation différentes?
  • L’équité peut-elle être assurée si des biens comparables sont évalués selon des dates d’évaluation différentes?
  • La Loi sur l’évaluation foncière prévoit-elle vraiment diverses dates d’évaluation au cours du même cycle d’évaluation?
  • Une fois que le rôle est déposé annuellement aux termes de l’article 36, les dates d’évaluation des évaluations supplémentaires sont-elles rétablies au 1er janvier 2016 pour l’année d’imposition suivante?

Nous pensons que ces questions recevront des réponses définitives dans le cadre des procédures de la CRÉF ou peut-être d’instances judiciaires dans un proche avenir.

Malgré les conclusions récentes, le site Web de la SEFM continue de faire ressortir une date d’évaluation uniforme :

« La date d’évaluation fixée pour 2025 demeure le 1er janvier 2016 » et « L’évaluation de 2025 correspond au prix de vente de la propriété le 1er janvier 2016 — dans son état actuel, y compris tout changement majeur depuis. Considérez-la comme le prix de la propriété à cette date. »

Reste à voir si le statu quo sera modifié et si une nouvelle ère de reconnaissance de dates d’évaluation multiples sera confirmée. Les contribuables qui reçoivent des évaluations supplémentaires ou omises devraient prendre note que leurs biens pourraient être assujettis à des dates d’évaluation multiples si l’évaluation faisait l’objet d’un appel et d’une audience sur le fond devant la CRÉF. Les évaluations supplémentaires ou omises assorties de dates d’évaluation postérieures au 1er janvier 2016 pourraient faire grimper considérablement l’impôt à payer.

À mesure que se poursuit l’évolution du système d’imposition et d’évaluation foncières, la collaboration et la clarté revêtent une importance croissante; le temps est venu de s’engager, de se préparer et de mener la conversation.