L’esclavage moderne est de plus en plus une source de préoccupation pour les entreprises canadiennes qui doivent composer avec des chaînes d’approvisionnement complexes. Selon l’Organisation internationale du travail, en 2021, environ 49,6 millions de personnes étaient victimes d’esclavage moderne. [1]L’Australie, le Royaume-Uni et la Californie ne sont que quelques-uns des territoires qui ont adopté des lois visant à lutter contre ce fléau en imposant à certaines entreprises des obligations de faire rapport. [2]Le Canada a également pris des mesures en ce sens en adoptant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement (la « Loi canadienne sur l’esclavage moderne » ou la « Loi »), en vigueur depuis le 1er janvier 2024. [3]Sécurité publique Canada (« SPC ») a récemment publié des lignes directrices concernant les exigences de la Loi (les « lignes directrices »). [4]Consultez l’article précédent de Miller Thomson pour en savoir plus sur les lignes directrices. 

La Loi vise à modifier la loi Tarif des douanes[5] dans le but d’interdire l’importation de marchandises dont la fabrication ou la production, en tout ou en partie, découle du travail forcé ou du travail des enfants. Selon la Loi, le « travail des enfants » comprend le travail ou les services fournis ou offerts par une personne de moins de 18 ans, ce qui contrevient aux lois du Canada, dans des circonstances mentalement, physiquement, socialement ou moralement dangereuses ou qui nuisent à leur scolarisation. Le « travail forcé » est réputé inclure le travail ou les services fournis ou offerts par une personne dans des circonstances dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elles lui fassent croire que sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît serait compromise si elle ne fournissait pas ou n’offrait pas le travail ou les services en question.

La Loi introduit également l’obligation pour certaines entités de transmettre des rapports annuels au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile au plus tard le 31 mai 2024. Cette obligation de rapport vise à imposer à ces entités une obligation de transparence concernant les risques ou la présence de travail forcé et de travail des enfants dans leurs opérations et dans leurs chaînes d’approvisionnement en déclarant les mesures prises au cours de leur exercice financier précédent à des fins de prévention et de réduction des risques ou du travail forcé et du travail des enfants dans la production de marchandises au Canada ou de marchandises importées au Canada par l’entité et en incluant toute autre information exigée par la Loi. Consultez l’article précédent de Miller Thomson pour examiner ce que la Loi considère comme une « entité » ayant une obligation de rapport et pour passer en revue les exigences connexes. Notons que certains seuils monétaires doivent être atteints et certaines activités commerciales doivent être entreprises pour que l’entreprise soit considérée comme une « entité » ayant une obligation de rapport en vertu de la Loi.

Les lignes directrices précisent les mesures que toute entité déclarante doit prendre avant le 31 mai 2024, notamment :

  1. Préparer un rapport répondant à l’ensemble des exigences de la Loi. 
  2. Obtenir l’approbation du rapport par le corps dirigeant approprié qui a l’autorité légale d’engager l’entité ou les entités et joindre au rapport une attestation signée dans le format prescrit.
  3. Remplir le questionnaire obligatoire en ligne en tenant compte des renseignements fournis dans le rapport.
  4. Télécharger le rapport dûment rempli en format PDF avant de soumettre le questionnaire en ligne.
  5. Publier le rapport sur le site web de l’entité à un endroit bien en vue. 

Secteur du transport et de la logistique

La Loi pourrait toucher directement ou indirectement les entreprises qui fournissent des services de transport et de logistique. Tout d’abord, elles pourraient être directement touchées si elles répondent à la définition d’« entité déclarante » aux fins de la Loi. Par ailleurs, même s’ils ne sont pas tenus de présenter un rapport, leurs clients peuvent être des entités déclarantes, auquel cas ces clients peuvent s’adresser à ces fournisseurs de services pour recueillir des informations sur leurs pratiques et procédures, afin de s’assurer que le client produit un rapport complet et précis sur l’ensemble de sa chaîne d’approvisionnement. Par conséquent, les fournisseurs de services de transport et de logistique pourraient être amenés, en temps et lieu, à instaurer leur propre politique en matière de lutte contre l’esclavage moderne, et devraient anticiper les questions de leurs parties prenantes, de leurs clients et des entreprises partenaires à ce sujet.

Même si la Loi ne prévoit pas de définition explicite des termes « vente », « distribution » et « importation », ces termes ne sont pas destinés à prendre en compte les services qui soutiennent uniquement la production, la vente, la distribution ou l’importation de marchandises. Les lignes directrices prévoient expressément que les services de marketing, les services administratifs, les services financiers et les services techniques pour les logiciels sont des exemples de services non compris dans la définition de vente, de distribution et d’importation.

Les lignes directrices considèrent qu’une entité « importe » des marchandises au Canada si elle est responsable du rapport en détail de ces marchandises en vertu de la Loi sur les douanes[6].L’achat de marchandises produites à l’étranger auprès d’un tiers, lorsque ce dernier est considéré comme l’importateur officiel aux fins de la Loi sur les douanes, n’est pas considéré comme une importation de marchandises.

En d’autres termes, lorsqu’un fournisseur de services de logistique n’est pas responsable du rapport en détail de ces marchandises, la Loi ne s’applique pas à lui. Toutefois, chaque chaîne d’approvisionnement peut être structurée différemment. Par exemple, lorsqu’un fournisseur de services de logistique a accepté d’agir en tant qu’importateur officiel à des fins douanières ou éventuellement à d’autres fins industrielles réglementées (p. ex., s’il détient une licence d’exploitation de Santé Canada), ces activités peuvent entraîner des obligations de rapport pour le fournisseur de services s’il atteint les autres seuils prévus dans la définition d’« entité déclarante ».

Une autre situation à prendre en compte est lorsque le fournisseur de services de logistique s’engage dans des activités d’importation pour son propre compte et déclare en détail ces marchandises. À titre d’exemple, un transporteur routier qui achète et importe régulièrement des véhicules électriques pour remplacer sa flotte, ou des dispositifs de consignation électronique ou des tablettes lorsqu’il engage de nouveaux conducteurs et véhicules, ou qui revient dans le pays avec ses propres palettes et son propre bois de fardage. Parmi les autres exemples, on peut citer un entreposeur qui achète des systèmes de rayonnage dans un autre pays et les importe au Canada, ou un transporteur aérien qui achète des avions neufs ou remis à neuf dans d’autres pays et les fait venir au pays. Du moment que ces fournisseurs de services logistiques agissent en qualité d’importateurs officiels pour ces activités et qu’ils répondent par ailleurs aux seuils imposés à titre d’« entité déclarante », ils peuvent être tenus de se conformer à la Loi.

Il existe toutefois une exception pour les transactions très mineures. En effet, nous pouvons affirmer que lorsqu’un fournisseur de services de transport et de logistique n’importe pas et ne déclare pas régulièrement en détail des marchandises, il n’est pas un « importateur » aux fins de la Loi et cette législation ne devrait pas s’appliquer à lui. Toutefois, aucune directive spécifique n’a été publiée jusqu’à présent concernant l’exception relative aux transactions mineures, qui permettrait de valider cette analyse. Il est important d’examiner attentivement la Loi et les lignes directrices pour évaluer si elles s’appliquent à votre entreprise.

En outre, les entreprises actives dans le secteur du transport et de la logistique doivent savoir qu’il peut être plus difficile d’obtenir les renseignements requis (pour leurs propres rapports ou pour répondre aux questions de leurs clients) selon la longueur et la complexité de leurs chaînes d’approvisionnement et du type de sous-secteur dans lequel leurs partenaires d’approvisionnement opèrent. Plus le nombre de partenaires d’approvisionnement est élevé, plus la responsabilité s’amplifie concernant les obligations de faire rapport, ainsi qu’en matière de prévention et de réduction des risques liés à la présence de situations d’esclavage moderne.

Lois concernant la chaîne d’approvisionnement dans d’autres territoires

Lorsqu’une entité déclarante est également assujettie à des obligations de faire rapport en vertu des lois concernant la chaîne d’approvisionnement dans un autre territoire, l’entité peut utiliser des renseignements qui se recoupent dans le rapport exigé par la Loi, à condition que tous les renseignements exigés soient fournis. S’il y a lieu, à des fins de transparence, l’entité déclarante doit indiquer dans son rapport si elle est assujettie à des obligations de rapport en vertu d’une autre loi concernant la chaîne d’approvisionnement dans un autre territoire.

Le gouvernement du Canada a l’intention de publier des directives supplémentaires. D’ici là, lorsque certains sujets ne sont pas abordés dans les lignes directrices, les entreprises peuvent s’appuyer sur les normes industrielles et les lois comparables à l’étranger pour appuyer leurs actions.

L’effet d’entraînement : incidence indirecte sur d’autres entités

Comme indiqué ci-dessus, les entreprises qui ne sont pas considérées comme des « entités déclarantes » par la Loi peuvent être touchées indirectement par la législation du fait de l’application de la Loi aux clients, parties prenantes ou partenaires d’une entité. La Loi est destinée à agir comme un moteur de changement au sein des chaînes d’approvisionnement des entités, tout en touchant d’autres entreprises et partenaires d’approvisionnement, locaux et internationaux.

Alors que certaines entreprises ne seront pas dans l’obligation de produire des rapports annuels en vertu de la Loi, certaines entités telles que des banques, d’autres institutions financières et des détenteurs d’actions complexes, pourraient encore exiger la production de ces rapports. Les entreprises peuvent décider de modifier leurs accords en vigueur et nouveaux pour exiger contractuellement des autres parties : i) qu’elles attestent de leur conformité aux lois de lutte contre l’esclavage moderne, et ii) qu’elles démontrent qu’elles préviennent l’esclavage moderne dans leurs chaînes d’approvisionnement respectives. Les entreprises peuvent décider de mettre fin à leurs relations avec les partenaires d’approvisionnement qui ne peuvent pas ou ne veulent pas remédier à l’esclavage moderne dans leurs opérations.

Il est également important de tenir compte de la possibilité que certaines entreprises deviennent des entités déclarantes en vertu de la Loi en raison de leur croissance naturelle ou de l’élargissement par voie réglementaire de la définition du terme « entité » à d’autres sociétés, fiducies et sociétés de personnes. Par conséquent, il sera important pour les entreprises de surveiller si la loi s’applique à elles à long terme.

Que faire maintenant

Les entreprises doivent rapidement déterminer si elles sont tenues de présenter un rapport en vertu de la Loi et, de manière générale, évaluer le niveau de risque auquel elles sont exposées directement en ce qui concerne leurs propres opérations et indirectement en ce qui concerne leurs chaînes d’approvisionnement.

Nous rappelons aux entreprises que le public examinera attentivement leurs rapports annuels. Si un consommateur ou le grand public ne croit pas que l’entité appuie sans réserve l’élimination de l’esclavage moderne de ses chaînes d’approvisionnement, la réputation de l’entité auprès de ses partenaires d’approvisionnement et des consommateurs pourrait être ternie.

Les entreprises et les partenaires d’approvisionnement devraient analyser les accords en vigueur pour déterminer toute éventuelle situation d’esclavage moderne dans leurs chaînes d’approvisionnement ou opérations, et vérifier si des mesures pour y remédier ont été adoptées. Les fournisseurs de services de logistique doivent prendre conscience que leurs clients suivront l’évolution des situations d’esclavage moderne dans leurs chaînes d’approvisionnement et qu’ils demanderont à leurs partenaires d’approvisionnement de leur fournir ces renseignements.

Bien que les rapports annuels ne soient pas exigibles avant le 31 mai 2024, nous conseillons aux entreprises de commencer dès maintenant à se préparer à effectuer une vérification diligente, à instaurer des politiques et, le cas échéant, à commencer la rédaction de leurs rapports annuels, car le processus risque d’être long.

Si vous avez des questions au sujet de la Loi canadienne sur l’esclavage moderne, n’hésitez pas à communiquer avec un membre de l’équipe Transport et Logistique ou de l’équipe Responsabilité sociale d’entreprise (ESG) et marché du carbone de Miller Thomson.


[1]Global Estimates of Modern Slavery: Forced Labour and Forced Marriage, Organisation internationale du travail (OIT), Walk Free et Organisation internationale pour les migrations (OIM), Genève, 2022.

[2] Modern Slavery Act (Australie), Modern Slavery Act 2015 (Royaume-Uni) et The California Transparency in Supply Chains Act (Californie).

[3]Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement, L.C. 2023, ch. 9.

 [4]Sécurité publique Canada. (20 décembre 2023). Préparer un rapport – entités. Gouvernement du Canada. https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/cntrng-crm/frcd-lbr-cndn-spply-chns/prpr-rprt-fr.aspx.

[5]Tarif des douanes, L.C. 1997, ch.36.

[6]Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1.