L’essor des technologies d’intelligence artificielle (IA) transforme les pratiques du secteur des assurances, tant pour les assureurs que pour les assurés. L’IA permet des gains d’efficacité dans l’évaluation des risques, la tarification et le traitement des réclamations. Cette évolution soulève des questions juridiques quant à l’usage de l’IA dans la gestion des polices d’assurance et les obligations de transparence envers les assurés.
Souscription et gestion des réclamations
L’un des usages les plus répandus de l’IA en assurance est l’évaluation des risques à l’étape de la souscription. Les assureurs s’appuient sur des algorithmes pour analyser un volume important de données, mieux cerner le profil de l’assuré et ajuster les primes. Cette approche, bien qu’efficace, comporte des risques, car une analyse incomplète ou erronée peut entrainer une couverture inadéquate ou mal adaptée aux besoins de l’assuré.
L’IA facilite le développement de produits d’assurance dynamique, où les modalités, notamment les primes, évoluent selon le comportement de l’assuré. C’est le cas, par exemple, dans le secteur automobile, où certaines primes sont ajustées à partir de données de conduite recueillies par des applications mobiles.
Dans la gestion des réclamations, l’IA est utilisée pour détecter des anomalies, classer les demandes selon leur niveau de risque et appuyer les experts en sinistre dans leur analyse. Cette automation vise à réduire les coûts et à accélérer le traitement des dossiers. Toutefois, une erreur d’analyse peut entrainer une négation de couverture non justifiée, avec des conséquences importantes pour l’assuré.
Ces usages de l’IA soulèvent des enjeux concrets quant à la portée de la couverture. Face à ces risques, certains assureurs adaptent progressivement leurs polices en y intégrant des avenants liés à l’IA.
Les avenants liés à l’IA : une évolution progressive des polices d’assurance
Certains assureurs ont commencé à encadrer ces risques de façon plus proactive en intégrant des avenants à leurs polices. Ces clauses visent à préciser la portée de la couverture applicable aux incidents découlant de l’utilisation de systèmes automatisés ou d’outils liés à l’IA, notamment les erreurs générées, les atteintes à la propriété intellectuelle ou les défaillances techniques. Ce type d’avenant pourrait s’avérer pertinent pour certaines entreprises, comme l’illustre une décision récente du Civil Resolution Tribunal de la Colombie-Britannique, qui a retenu la responsabilité d’une société ayant fourni une information erronée à un consommateur au moyen d’un agent conversationnel (chatbot).
Les avenants liés à l’IA visent à encadrer les zones grises du risque algorithmique, à la fois pour protéger l’assuré et pour limiter les risques pour l’assureur en cas de réclamations imprévues. Au Québec, ces clauses doivent être rédigées avec prudence afin de respecter les principes de clarté, de prévisibilité et de bonne foi. Comme l’a établi la Cour suprême dans Progressive Homes et réaffirmée dans Ledcor, une clause imprécise peut être interprétée contre l’assureur, particulièrement si elle limite la couverture sans être formulée en des termes clairs.
L’apparition de ces avenants marque une évolution naturelle du droit des assurances à l’ère numérique, et souligne l’importance d’une compréhension fine des implications techniques et juridiques de ces clauses.
Au-delà des mécanismes contractuels comme les avenants, l’encadrement de l’IA soulève aussi des exigences légales distinctes en matière de transparence. Ces obligations deviennent cruciales lorsque les décisions sont rendues de manière automatisée, sans intervention humaine.
Transparence, biais et contestation : exigences québécoises
Depuis l’entrée en vigueur de la Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels, les entreprises qui prennent des décisions fondées uniquement sur un traitement automatisé doivent en informer les personnes concernées. Elles peuvent également devoir fournir une explication des facteurs ayant mené à la décision et offrir à la personne la possibilité de présenter ses observations à un membre du personnel.
Dans le domaine de l’assurance, ces obligations deviennent critiques, notamment en cas de négation de couverture, de résiliation ou de réduction d’indemnité. Un manquement pourrait être interprété comme une atteinte aux droits de l’assuré ou comme une pratique déloyale.
Le risque de biais algorithmique demeure un enjeu central. Des outils d’IA mal conçus peuvent mener à des décisions discriminatoires, notamment si les données utilisées reflètent des biais historiques. Au Québec, de tels biais pourraient contrevenir à la Charte des droits et libertés de la personne ou entrainer une responsabilité civile.
Conclusion
L’IA transforme la manière dont les assureurs évaluent les risques, rédigent les polices d’assurance et traient les réclamations. Son intégration constitue un levier d’innovation, mais elle exige une vigilance accrue sur le plan juridique. Une gestion proactive des risques, accompagnée d’une gouvernance transparente, permettra de limiter les litiges, de renforcer la confiance des assurés et d’assurer une conformité durable dans un contexte en constante évolution.
N’hésitez pas à contacter notre équipe litige commercial et notre équipe litige en assurances pour discuter de l’impact juridique de ces changements ou pour obtenir un accompagnement adapté à vos besoins.