De nombreuses chaînes de blocs ont été la cible des pirates cette année. Ces événements témoignent des pertes importantes qui ont été subies par le marché des cryptomonnaies.

Les investisseurs qui ont subi des pertes doivent absolument savoir comment les utiliser. Dans cette optique, le présent article analysera l’acte de piratage dont Solana a été victime récemment dans le contexte des stratégies fiscales suivantes :

  • la déduction des pertes en capital et des pertes autres qu’en capital découlant d’un vol; et
  • l’indemnité pour des biens volés ou détruits.

Pour limiter les pertes, les investisseurs en cryptomonnaies devraient envisager de mettre en œuvre ces stratégies fiscales.

le piratage de Solana

En août 2022, Solana, la cinquième chaîne de blocs en importance au chapitre de la valeur totale bloquée, a été la cible d’une cyberattaque. Plus de 8 000 portefeuilles « chauds » connectés à Internet ont été compromis. Les portefeuilles visés étaient associés aux principaux fournisseurs de portefeuilles, notamment Phantom, Slope et TrustWallet. Les utilisateurs ont déclaré que leurs fonds avaient été siphonnés. Quelques heures après l’attaque, le jeton de Solana, SOL, a perdu 4 % de sa valeur[1].

Les adresses cryptographiques de Solana ont été associées à l’attaque et ont permis d’acquérir au moins 8 millions de dollars américains en jetons basés sur Solana. La cause de l’attaque demeure inexpliquée, mais les ingénieurs de plusieurs réseaux estiment que le problème provient du logiciel des portefeuilles chauds plutôt que du code Solana. Le pirate a pu effectuer et approuver des transactions, ce qui porte à croire qu’une attaque par la chaîne d’approvisionnement a pu se produire. L’attaque a suscité des discussions sur les enjeux de sécurité que présentent les portefeuilles de stockage à chaud connectés à Internet par rapport aux portefeuilles de stockage à froid qui recourent à une clé USB[2].

Pertes d’entreprise autres qu’en capital résultant d’un vol

Les personnes dont les portefeuilles de cryptomonnaies et les avoirs ont été touchés par le piratage de Solana pourraient être en mesure de demander une déduction pour pertes. L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a examiné la probabilité qu’un scénario tel que le piratage de Solana survienne et les conséquences que ce genre d’événement pourrait avoir pour les contribuables qui en sont victimes[3].

Le Folio de l’impôt sur le revenu S3-F9-C1, Gains de loterie, encaissements divers et produits de la criminalité (et pertes connexes) (« IT S3-F9-C1 ») fournit des directives sur le traitement fiscal à accorder aux pertes, à caractère de capital ou non, qui découlent de vols ou de détournements[4]. Lors d’une perte d’un actif servant aux opérations, notamment un bien d’inventaire ou un montant en espèces, l’ARC considère que ces pertes sont normalement déductibles dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise. En effet, conformément au principe général de l’alinéa 18(1)(a) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »), une entreprise doit pouvoir déduire les dépenses engagées dans le cours normal de ses activités visant à tirer un revenu de l’entreprise[5]. Toutefois, l’ARC estime que la perte d’un bien d’inventaire découlant d’un vol n’est déductible dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise que si deux conditions sont remplies :

  1. La perte doit constituer pour l’entreprise exploitée un risque inhérent; et
  2. Il est raisonnable de considérer la perte comme liée aux activités productives courantes de l’entreprise[6].

Ces conditions pourraient être remplies si, par exemple, un contribuable qui exerce des activités de négociation de cryptomonnaies ou d’échange de cryptomonnaies possède des portefeuilles Solana qui contenaient des cryptomonnaies pour des clients ou le contribuable. Les contribuables qui exercent ce genre d’activités devraient être en mesure de prouver que la perte est attribuable à un vol étant donné que plus de 8 millions de dollars américains ont été volés lors du piratage de Solana. Ce qui est moins sûr, c’est la question de savoir si le contribuable peut ou non remplir les deux conditions ci-dessus.

Selon l’ARC, une perte qui découle d’un vol commis par un étranger constitue un risque inhérent à la plupart des entreprises[7] et devrait être déductible[8]. Étant donné que les jetons Solana perdus constituent probablement des biens d’inventaire d’une entreprise, il est raisonnable de soutenir que la perte est liée aux activités productives de l’entreprise. Par conséquent, un contribuable qui détenait des portefeuilles Solana à titre de biens d’inventaire et qui s’est fait voler ces biens d’inventaire lors du piratage de Solana pourrait être en mesure de déduire ses pertes dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise.

En général, un contribuable peut déduire une perte déductible, soit le montant net de toute somme qui est versée par les assurances ou qui est restituée dans l’année pour laquelle la déduction est demandée[9]. L’ARC a indiqué que ce montant comprend le montant qu’il en coûte au contribuable pour se libérer d’un engagement contracté envers un tiers, comme un client, par suite du vol. Par exemple, si un contribuable exploite une entreprise de cryptomonnaies, qu’il est tenu de payer à un client un montant lié au vol perpétré lors du piratage de Solana et qu’il s’est libéré de cet engagement, il peut inclure le montant ainsi payé dans sa perte déductible pour l’année. Ainsi, le montant de la perte dépend généralement du coût des biens d’inventaire pour le contribuable aux fins de l’impôt sur le revenu, moins les indemnités d’assurance reçues[10]. La politique de l’ARC ne permet pas de déduire plus d’une fois la perte d’un bien d’inventaire ou d’un montant en espèces, et permet seulement de déduire les pertes entraînant une sortie de fonds[11]. Un contribuable ne peut donc pas déduire à titre de perte les bénéfices non réalisés dus au vol[12]. Par conséquent, bien que l’ARC n’ait pas donné de directives claires sur cette question dans le contexte des cryptomonnaies, les entreprises peuvent difficilement déduire les gains non réalisés en conséquence des fluctuations du prix de Solana et des récompenses de jalonnement non versées à titre de perte.

Bien que l’ARC ait fourni des directives utiles, elle a également averti que ses directives, comme celles énoncées dans le Folio de l’impôt sur le revenu S3-F9-C1, ne s’appliquent pas nécessairement si le montant de la perte est disproportionné par rapport aux risques auxquels « l’entreprise du contribuable pourrait vraisemblablement s’attendre », si les circonstances entourant la perte sont hors de l’ordinaire ou douteuses ou si le contribuable n’a rien tenté pour récupérer la somme perdue auprès du malfaiteur[13].

Par conséquent, les contribuables touchés par le piratage de Solana devraient conserver des dossiers concernant leurs avoirs et la perte qu’ils ont subie lors de cet acte de piratage, et devraient être en mesure de démontrer que de ce genre d’actes de piratage survient dans le secteur des cryptomonnaies et plus particulièrement dans leurs activités commerciales. Cette information contribuera à prouver que la perte n’est pas disproportionnée par rapport aux risques auxquels l’entreprise pourrait vraisemblablement s’attendre et que la perte n’est pas hors de l’ordinaire ou douteuse. Dans ce contexte, il peut être difficile de démontrer que des tentatives ont été faites pour récupérer la somme perdue auprès du malfaiteur, étant donné que le pirate n’a pas été identifié. Cependant, la tentative de présenter une demande auprès des autorités pourrait permettre de démontrer que des efforts raisonnables ont été déployés par un contribuable victime du piratage.

Indemnité pour une immobilisation volée ou détruite

Si un contribuable reçoit une indemnité pour une immobilisation volée ou détruite, comme une cryptomonnaie détenue à titre d’immobilisation, l’indemnité reçue représente un produit de disposition[14]. Si l’indemnité reçue provient du malfaiteur ou est une somme versée par une assurance, le contribuable peut reporter, en tout ou en partie, le gain en capital résultant de la disposition involontaire de la cryptomonnaie volée[15]. Pour se prévaloir du droit de report, le contribuable doit acheter un bien de remplacement. Conformément au paragraphe 44(5) de la LIR, une immobilisation d’un contribuable sera considérée comme un bien servant de remplacement à une immobilisation volée s’il est raisonnable de conclure que le contribuable l’a acquise en remplacement de l’immobilisation volée[16] ou qu’elle a été acquise par le contribuable ou une personne qui lui est liée pour un usage semblable à celui qu’il a fait du bien volé[17]. Dans le cas de cryptomonnaies, l’achat de nouvelles cryptomonnaies ou d’un instrument de placement semblable pourrait être considéré comme un bien de remplacement.

Dans le cas d’une disposition involontaire, par exemple lors du vol de cryptomonnaies détenues à titre d’immobilisations, le bien de remplacement doit être acquis avant le plus tardif des moments suivants : le dernier jour de la deuxième année d’imposition suivant l’année initiale et le jour qui suit de 24 mois la fin de l’année initiale[18]. « Année initiale » s’entend de l’année d’imposition au cours de laquelle l’indemnité est devenue à recevoir à titre de produit de disposition de la cryptomonnaie qui a été volée[19]. L’excédent du produit reçu à titre d’indemnité sur le coût du bien de remplacement sera considéré comme le gain réalisé[20]. Si le contribuable a recours à la disposition de roulement aux termes de l’article 44 en remplissant les conditions et en produisant le choix correspondant, les gains résultant de la disposition de la cryptomonnaie volée devraient être reportés jusqu’au moment où le contribuable dispose du bien de remplacement (c’est-à-dire la cryptomonnaie ou l’instrument de placement achetés pour remplacer la cryptomonnaie volée).

L’information qui précède vise à décrire un moyen que peut prendre un utilisateur qui a été victime du piratage de Solana, à savoir acquérir des cryptomonnaies à titre de bien de remplacement et reporter le gain sur la disposition réputée du bien volé jusqu’à ce qu’il dispose ultérieurement des cryptomonnaies de remplacement. Bien évidemment, la question est de savoir si l’utilisateur reçoit ou non une indemnité de la part des voleurs ou de la compagnie d’assurance. Dans le cas du piratage de Solana, aucune indemnité ne semble avoir été versée aux victimes.

Si aucune indemnité n’est versée pour une perte d’immobilisations involontaire, comme les pertes subies lors du piratage de Solana, l’utilisateur pourrait demander une déduction pour perte en capital. La disposition des immobilisations dans Solana est réputée avoir eu lieu lorsque la perte du bien a été constatée[21]. Cependant, seule la moitié de la perte en capital (la perte en capital déductible) peut être utilisée pour réduire les gains en capital de l’utilisateur. Les contribuables qui détenaient des avoirs dans Solana et qui ont été victimes du piratage devraient consulter les conditions de leur fournisseur de portefeuilles de stockage à chaud afin de déterminer si une indemnité d’assurance ou autre est prévue en cas de perte attribuable à un vol ou à une fraude.

Conclusion

Les actes de piratage des chaînes de blocs, des événements qui entraînent des pertes, sont actuellement répandus sur le marché des cryptomonnaies. Les auteurs aimeraient certes affirmer que de tels événements ne se produiront plus dans le secteur émergent des cryptomonnaies, mais une telle affirmation serait inexacte. Cela dit, les investisseurs devraient tenir compte des stratégies présentées dans le présent article s’ils sont victimes d’un acte de piratage de cette nature; ils devraient également les examiner de façon proactive au cas où leurs avoirs en cryptomonnaies seraient touchés par un événement semblable.

En ces temps difficiles, les investisseurs se doivent d’être patients et bien préparés. Si vous avez des préoccupations d’ordre fiscal liées aux cryptomonnaies, n’hésitez pas à communiquer avec un membre de l’équipe Droit fiscal de Miller Thomson.

Les auteurs tiennent à remercier Raffaella Garofalo, étudiante ayant travaillé chez Miller Thomson à l’été 2022, pour sa contribution au présent article.


[1] Eli Tan et Sam Kessler, « Solana Wallets Targeted in Latest Multimillion-Dollar Hack » (3 août 2022), en ligne : CoinDesk .

[2] Ibidem.

[3] Selon l’ARC, en cas de perte ou de vol d’une « monnaie virtuelle », comme le Bitcoin, le bulletin d’interprétation IT-185R peut être utile aux contribuables. Cependant, en décembre 2014, le bulletin d’interprétation IT-185R a été annulé et remplacé par le Folio de l’impôt sur le revenu S3-F9-C1, Gains de loterie, encaissements divers et produits de la criminalité (et pertes connexes) (3 juillet 2020).

[4] Agence du revenu du Canada, Folio de l’impôt sur le revenu S3-F9-C1 Gains de loterie, encaissements divers et produits de la criminalité (et pertes connexes) (3 juillet 2020), en ligne : [IT S3-F9-C1].

[5] S.R.C. 1985, ch. 1 (5e Suppl.) [LIR], alinéa 18(1)(a); voir aussi David Rotfleisch, « Tax Implications of Stolen Cryptocurrency or NFT – A Toronto Tax Lawyer Analysis », en ligne : .

[6] IT S3-F9-C1, note 4 ci-dessus, paragraphe 1.33.

[7] Ibidem, paragraphe 1.34.

[8] David Rotfleisch, « Tax Losses from Theft and Embezzlement of Bitcoin and Other Assets », en ligne : https://taxpage.com/articles-and-tips/tax-losses/>.

[9] IT S3-F9-C1, note 4 ci-dessus, paragraphe 1.38.

[10] Agence du revenu du Canada, position de l’ARC, 2014-0525191E5, « Virtual currencies (Bitcoins) » (28 mars 2014).

[11] Rotfleisch, note 8 ci-dessus.

[12] Ibidem.

[13] IT S3-F9-C1, note 4 ci-dessus, paragraphe 1.39.

[14] LIR, note 5 ci-dessus, article 54; voir également IT S3-F9-C1, note 4 ci-dessus, paragraphe 1.41.

[15] LIR, note 5 ci-dessus, article 44.

[16] Ibidem, alinéa 44(5)(a).

[17] Ibidem, alinéa 44(5)(b).

[18] Agence du revenu du Canada, Folio de l’impôt sur le revenu S3-F3-C1, Bien de remplacement (8 avril 2019), en ligne : , paragraphe 1.6 [IT S3-F3-C1].

[19] Ibidem, paragraphe 1.8.

[20] LIR, note 5 ci-dessus, article 44.

[21] IT S3-F9-C1, note 4 ci-dessus, paragraphe 1.41.