La double imposition est un problème qui peut survenir lorsqu’un particulier décède alors qu’il détient des actions d’une société privée.  En effet, dans cette situation, la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (LIR) prévoit la disposition réputée des actions à leur juste valeur marchande immédiatement avant le décès. Dans certains cas, la stratégie dite du « pipeline » peut s’avérer utile pour atténuer la double imposition. C’est de cette stratégie que nous traitons dans cet article. 

La double imposition

Pour rappel, il y a double imposition lorsque deux événements fiscaux se superposent :

Événement fiscal 1

Le premier événement fiscal est la disposition réputée immédiatement avant le décès. Si l’on tient pour acquis que les actions que le défunt détenait dans « Privé inc. » (une société par actions fictive utilisée aux fins du présent exposé) ont gagné en valeur depuis leur acquisition, le défunt sera généralement considéré comme ayant réalisé un gain en capital. Le fait que Privé inc. soit une société de gestion de place une société par actions fictive utilisée ou une société exploitante n’a pas d’importance. Le gain en capital doit être rapporté dans la déclaration de revenus finale du défunt. Pour les fins de l’impôt sur le revenu, la succession est réputée acquérir les actions de Privé inc.; on prix de base rajusté correspondra donc à la juste valeur marchande des actions avant le décès.

Événement fiscal 2

Le second événement fiscal survient lorsqu’on retire des fonds ou des biens de la société privée. La distribution est imposée dans les mains de la succession.  Elle prend souvent la forme d’un dividende (en capital, admissible ou non admissible) et est imposée comme telle du côté de son bénéficiaire. Le montant d’impôt payé en raison du premier événement fiscal ne peut pas servir à compenser les incidences fiscales du second événement fiscal.

Qu’est-ce que la stratégie dite du « pipeline »?

Le « pipeline » figure parmi les outils dont dispose le fiscaliste pour s’attaquer au problème de la double imposition. En voici une brève illustration :

  • La succession constitue une nouvelle société (« Newco ») et souscrit des actions lui en donnant le contrôle.
  • La succession transfère les actions de Privé inc. (c.-à-d. celles qui ont fait l’objet d’une disposition réputée immédiatement avant le décès) dans Newco, en contrepartie d’un billet à ordre d’un montant égal au prix de base rajusté de ces actions pour la succession, lequel correspond à leur juste valeur marchande immédiatement avant le décès (en tenant pour acquis que les actions dans Privé inc. n’ont pas gagné en valeur entre la date du décès et celle de la mise en place du pipeline, ce qui nécessiterait la prise d’autres mesures).
  • La succession ne réalise aucun gain en capital.
  • Le billet à ordre est acquitté par Newco, qui à cette fin, utilise effectivement les fonds ou les biens de Privé inc.

En principe, le remboursement d’un billet à ordre n’a pas d’incidence fiscale pour le bénéficiaire.  Dans la mesure où il est effectivement sans incidence fiscale, la succession a, dans les faits, eu accès aux fonds de Privé inc. en tirant parti du premier événement fiscal – ou, à proprement parler, du prix de base rajusté des actions de Privé inc. pour la succession fixée en raison de cet événement. Autrement dit, seul le premier événement fiscal aura une incidence en fin de compte.

Au-delà des bases

L’exemple ci-dessus est simpliste. Dans les faits, le « pipeline » repose sur un enchevêtrement de directives de l’ARC émises en réponse à des questions posées lors de tables rondes, ou encore à des demandes d’interprétation technique.  Des conseillers en fiscalité ont par ailleurs tenté de déduire des tendances relatives à l’établissement de pipelines de décisions fiscales anticipées publiées par l’ARC, mais celles-ci sont souvent lourdement caviardées. 

Il peut être lourd de conséquences pour un pipeline de faire l’objet d’une nouvelle cotisation de l’ARC. En effet, dans l’éventualité d’une nouvelle cotisation fondée sur le paragraphe 84(2) de la LIR, le billet à ordre sera imposé à titre de dividende dans les mains de la succession. Cela aura pour effet de matérialiser le second événement fiscal, que la succession avait justement cherché à contourner.

Voici certaines des orientations administratives les plus importantes de l’ARC en ce qui concerne les pipelines :

  • L’ARC est défavorable aux pipelines lorsque l’actif de Privé inc. est essentiellement composé de liquidités.
  • Newco et Privé inc. devraient demeurer distinctes l’une de l’autre pendant au moins un an.
  • Privé inc. devrait poursuivre l’exploitation de son entreprise comme par le passé, et non faire l’objet d’une réorganisation ou d’une liquidation.
  • Le billet à ordre ne peut pas être remboursé immédiatement, mais doit plutôt l’être progressivement après la période d’un an.  Certaines décisions publiées font état d’un plafond de 15 % par trimestre.  Toutefois, des décisions récentes font état d’autres pourcentages.

Choisir entre le pipeline et le report rétrospectif des pertes

Pris isolément, un pipeline réussi entraîne une seule incidence fiscale, soit l’imposition du gain en capital réalisé pour l’année réputée du décès. À l’inverse, la planification fondée sur le report rétrospectif des pertes (dont nous traitons dans un article précédent) entraîne également une seule incidence fiscale, mais celle-ci est alors calculée selon un taux d’imposition applicable aux dividendes, en remplacement de l’imposition du gain en capital au décès. À l’heure actuelle, le taux effectif d’imposition des gains en capital est inférieur à celui des dividendes (qu’ils soient admissibles ou non). Cela dit, c’est simplifier à outrance que de comparer deux taux d’imposition effectifs dans le vide. Jouent également dans l’équation certains facteurs temporels (le report rétrospectif des pertes doit être mis en œuvre au cours de la première année de la succession) et les pratiques administratives de l’ARC (dans le cadre d’un pipeline, un délai considérable doit s’écouler avant qu’on puisse accéder aux fonds et aux biens).

Qui plus est, si les comptes fiscaux de Privé inc. affichent des soldes (compte de dividendes en capital, impôt en main remboursable au titre de dividendes admissibles ou non admissibles, compte de revenu à taux général), cela se répercute sur le taux effectif d’impôt des dividendes. Or, cette avenue n’est ouverte que si la planification successorale comporte un dividende (p. ex. le report rétrospectif des pertes).  À moins qu’il reste d’autres actionnaires de Privé inc., les comptes fiscaux pourraient être irrécupérables.

Recourir à des experts

Bien qu’il puisse représenter la solution à votre problème de double imposition, le pipeline devrait être combiné, dans une certaine mesure, à un plan de report rétrospectif partiel des pertes. Ces stratégies sont complexes, et elles posent d’importants risques si elles ne sont pas correctement mises en œuvre. Le groupe Services aux particuliers de Miller Thomson est là pour vous aider à faire face aux questions fiscales et de planification successorale qui se posent au décès.