Récemment, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « Cour d’appel ») a rendu une décision importante dans l’affaire Kingdom Langley Project Limited Partnership c. WQC Mechanical Ltd., 2025 BCCA 169 (l’« arrêt Kingdom Langley »), qui a des répercussions importantes sur la gestion des privilèges de construction dans la province. Cet arrêt confirme la théorie de longue date du « double privilège » en vertu de la Builders Lien Act de la Colombie-Britannique (la « loi BLA »), en particulier en ce qui concerne l’articulation entre les privilèges attachés aux biens-fonds et les privilèges sur les fonds retenus.

L’affaire en question : un litige portant sur la libération d’une retenue

L’appel dans l’affaire Kingdom Langley découle d’un litige entre Kingdom Langley Project Limited Partnership (« Kingdom »), le propriétaire du projet, et WQC Mechanical Ltd. (« WQC »), un sous-traitant. WQC bénéficiait d’une réclamation fondée dans le cadre d’un privilège de construction et demandait le déblocage de sa quote-part de la retenue conservée par Kingdom en vertu de l’article 4 de la loi BLA.

Auparavant, l’entrepreneur général, Metro-Can Construction (TC) Ltd. (« Metro-Can »), avait obtenu, en vertu de l’article 24 de la loi BLA, une ordonnance par consentement pour l’annulation du privilège de WQC attaché au bien-fonds par le dépôt d’une caution tenant lieu de privilège. L’objectif de cette caution était de servir de garantie à la fois pour le privilège attaché au bien-fonds et pour toute réclamation de WQC portant sur un privilège sur les fonds retenus. Kingdom a fait valoir que l’octroi de cette garantie annulait le droit de WQC de réclamer la retenue, affirmant que le paiement devait plutôt être effectué à partir de la caution tenant lieu de privilège. Toutefois, le juge siégeant en son cabinet a accueilli la demande de WQC, estimant que WQC avait droit au paiement à partir des fonds retenus, malgré l’ordonnance par consentement prévoyant une garantie de rechange. Kingdom a fait appel de cette décision.

Faits saillants et confirmation du privilège Shimco

La Cour d’appel a rejeté l’appel de Kingdom, confirmant la décision du juge siégeant en son cabinet. Dans son raisonnement, la Cour d’appel s’est principalement appuyée sur la confirmation de la théorie du « double privilège » établie dans l’affaire Shimco Metal Erectors Ltd. c. North Vancouver (District), 2003 BCCA 193 (la « décision Shimco »). La Cour d’appel a examiné spécifiquement et rejeté l’argument de Kingdom selon lequel la décision Shimco était erronée et devait être annulée.

Les principales conclusions de cette décision sont les suivantes :

  • Privilège distinct à l’égard de la retenue : la Cour d’appel a confirmé l’existence d’un privilège distinct et séparé à l’égard de la retenue en vertu des articles 4(9) et 8(4) de la loi BLA. Ce privilège à l’égard de la retenue n’est pas assujetti aux délais prévus dans la loi BLA, aux articles 20 et 33.
  • L’octroi d’une garantie en vertu de l’article 24 n’éteint pas le privilège à l’égard de la retenue : la Cour d’appel a estimé qu’un privilège à l’égard de la retenue ne peut être éteint en vertu des articles 22 et 33(5) de la loi BLA ni annulé par l’octroi d’une garantie en vertu de l’article 24. La garantie octroyée pour annuler un privilège attaché au bien-fonds en vertu de l’article 24 ne produit aucun effet sur le privilège d’un demandeur à l’égard de la retenue ni sur son droit à une quote-part de la retenue. Même si le dépôt d’une caution tenant lieu de privilège en vertu de l’article 24 offre également une garantie pour un privilège à l’égard de la retenue, cette garantie n’annule pas en soi le privilège à l’égard de la retenue.
  • Réserve judiciaire : la Cour d’appel a souligné qu’il appartient au législateur – et non à elle – de modifier la loi BLA si des défauts sont constatés, faisant ainsi preuve de réserve à l’égard de l’apport de toute modification non expressément prévue dans la législation.

Répercussions dans le secteur de la construction

Cette décision renforce le cadre juridique en vigueur et entraîne des répercussions importantes sur les propriétaires, entrepreneurs et sous-traitants du secteur de la construction en Colombie-Britannique :

  • Complexité dans la gestion des privilèges : les parties prenant part à des projets de construction doivent continuer à reconnaître deux formes distinctes de privilèges : le privilège traditionnel attaché au bien-fonds et le privilège distinct à l’égard de la retenue. Cette structure à double privilège complique davantage la gestion des privilèges et la résolution des litiges les concernant.
  • La retenue demeure une des principales sources de recouvrement : pour les entrepreneurs et les sous-traitants, la retenue constitue toujours une source importante et aisément accessible de recouvrement dans le cadre d’une réclamation fondée, même si un privilège attaché au bien-fonds est annulé par l’octroi d’une garantie.
  • Réflexions stratégiques concernant les garanties : les propriétaires et les entrepreneurs généraux qui octroient une garantie en vertu de l’article 24 afin de supprimer un privilège sur le titre doivent comprendre que cette mesure n’éteint pas automatiquement le droit du demandeur à l’égard de la retenue. La prudence est de mise dans l’administration des retenues, certaines situations pouvant exiger des stratégies spécifiques pour traiter les privilèges à l’égard de la retenue.
  • Appel à une réforme de la législation : l’arrêt prend acte des critiques qui continuent de se faire entendre concernant la structure à double privilège, en particulier l’incertitude susceptible de s’installer dans le processus d’exécution des privilèges. La Cour d’appel a confirmé cette interprétation. Toutefois, elle reconnaît la persistance du débat et la nécessité d’une réforme de la législation dans le but de clarifier ou de simplifier le cadre applicable aux privilèges.

En résumé, l’arrêt Kingdom Langley vient renforcer le cadre juridique entourant les structures « à double privilège » en Colombie-Britannique. Il rappelle à tous les acteurs du secteur de la construction qu’ils doivent tenir compte de la nature distincte des privilèges attachés aux biens-fonds et des privilèges à l’égard de la retenue, et analyser les répercussions que ces privilèges peuvent avoir sur leurs contrats et leurs stratégies de gestion des privilèges.

Pour en savoir plus sur les répercussions que cette décision peut avoir sur vos projets, communiquez avec notre équipe Litige en construction pour obtenir de sages conseils adaptés à vos besoins.