La Cour d’appel de l’Alberta (la « Cour ») a confirmé que les redevances dérogatoires brutes octroyées dans le cadre d’un bail d’exploitation pétrolière ou gazière sur des terres de la Couronne peuvent constituer un intérêt foncier contraignant, même si aucun titre n’est délivré et que l’enregistrement est impossible en vertu de la Land Titles Act (la « Loi »). Dans la récente affaire PrairieSky Royalty Ltd. c. Yangarra Resources Ltd., 2025 ABCA 240, la Cour d’appel a confirmé une décision de première instance visant à renforcer la position des titulaires de redevances et à limiter les capacités des acquéreurs d’un droit de tenure à bail qui tentent de se soustraire à ces droits en invoquant la défense de l’acquéreur de bonne foi contre valeur et sans connaissance préalable. Cette décision entraîne des conséquences importantes pour les exploitants d’entreprises pétrolières et gazières, les investisseurs et les rédacteurs d’accords de redevances et met en lumière la nécessité d’opter pour des clauses contractuelles précises et d’effectuer une vérification diligente rigoureuse dans les opérations visant des terres de la Couronne non concédées par patente.

Antécédents procéduraux : une redevance dérogatoire brute de 8 % à l’origine d’un litige portant sur un bail concernant des terres de la Couronne en Alberta

En 2011, la société Range Royalty Limited Partnership (« Range Royalty ») a conclu un accord de redevance avec la société Home Quarter Resources Ltd. (« Home Quarter ») octroyant à Range Royalty une redevance dérogatoire brute de 8 % (la « redevance de 8 % ») prélevée sur la participation de Home Quarter à un bail à titre de concessionnaire des terres de la Couronne. En vertu de ce bail, Home Quarter disposait du droit exclusif d’exploration et d’extraction du pétrole et du gaz naturel sur des terres de la Couronne non concédées par patente situées en Alberta.

L’intérêt de Range Royalty a ensuite été cédé à PrairieSky Royalty Ltd. (« PrairieSky »). Home Quarter a par la suite transféré son intérêt prévu dans le bail à Relentless Resources Ltd., qui l’a ensuite vendu à Yangarra Resources Ltd. (« Yangarra ») en 2016. L’accord de redevance n’a jamais été expressément cédé à Yangarra et cette dernière n’en a pas non plus eu connaissance.

Après avoir découvert que Yangarra avait commencé la production sans verser de redevances, PrairieSky a intenté des poursuites, affirmant que la redevance de 8 % constituait un intérêt foncier contraignant pour Yangarra.

La Cour du Banc du Roi de l’Alberta a conclu que la redevance de 8 % constituait un droit foncier de common law contraignant pour Yangarra. Le juge de première instance a appliqué le critère à deux volets énoncé dans l’affaire Bank of Montreal c. Dynex Petroleum Ltd., 2002 CSC 7 (« Dynex »), qui confirme ce qui suit[1] :

  1. le libellé de l’accord de redevance initial était « suffisamment précis » pour démontrer l’intention des parties de créer un intérêt foncier au lieu d’un simple droit contractuel entre Range Royalty et Home Quarter;
  2. l’intérêt duquel la redevance de 8 % est tirée était lui-même un intérêt foncier.

Dans le cadre du premier volet du critère, le juge de première instance a accepté les témoignages de Range Royalty et de Home Quarter quant à leur intention de créer un intérêt foncier lors de la conclusion de l’accord de redevance initial[2]. Ces témoignages ont été analysés en tenant compte du libellé de l’accord de redevance dans son ensemble, particulièrement de la clause d’octroi de la redevance de 8 % (la « clause d’octroi »). Les termes « octroyé à » et « détenu par » employés dans la clause d’octroi ont été interprétés avec une connotation de transfert de la propriété de la redevance de 8 %, plutôt qu’un simple droit contractuel à l’égard d’une partie des minéraux[3].

Dans le cadre du deuxième volet du critère, citant l’arrêt ayant fait autorité dans l’affaire Berkheiser c. Berkheiser and Glaister, [1957] SCR 387, le juge de première instance a conclu que la redevance de 8 % constituait incontestablement un intérêt foncier, car elle était définie comme une « participation de concessionnaire » ou un « profit à prendre »[4].

Le juge de première instance a fait remarquer que, pour les biens-fonds de minéraux en tenure franche assujettis à la Loi, le fait qu’un intérêt foncier soit en common law ou en equity n’a généralement pas d’importance, car une redevance peut être enregistrée à l’encontre du titre minier par voie d’opposition. En vertu de la Loi, le titulaire d’une participation de concessionnaire acquiert généralement cet intérêt sous réserve de toute redevance enregistrée, mais libre de toute redevance non enregistrée. Toutefois, pour les biens-fonds non assujettis à la Loi, un intérêt en common law est généralement opposable à tous, tandis qu’un intérêt en equity peut être annulé par un acquéreur de bonne foi contre valeur et sans connaissance préalable.

Cette distinction est particulièrement importante pour les terres de la Couronne non concédées par patente, auxquelles les règles de priorité prévues par la Loi ne s’appliquent pas pour les raisons suivantes : 1) aucun certificat de titre n’est généralement délivré pour ces biens-fonds; 2) la Loi interdit l’enregistrement d’oppositions à l’égard de biens-fonds pour lesquels aucun certificat de titre n’a été délivré; 3) la Loi interdit l’enregistrement de droits à l’égard de minéraux appartenant à la Couronne[5]. Le tribunal doit plutôt s’appuyer sur les règles de priorité qui font la distinction entre l’intérêt en common law et l’intérêt en equity. Par conséquent, la tâche première du juge de première instance consistait à déterminer si l’intérêt de PrairieSky et de Yangarra était un intérêt en common law ou en equity[6].

Le juge de première instance a conclu que la redevance de 8 % de PrairieSky était un intérêt en common law et Yangarra a interjeté appel. Yangarra a fait valoir que la redevance était plutôt un intérêt en equity et qu’elle avait acquis le bail libre de toute charge en tant qu’acquéreur de bonne foi contre valeur et sans connaissance préalable.

La Cour d’appel de l’Alberta confirme que les redevances dérogatoires brutes prévues dans les baux concernant des terres de la Couronne constituent un intérêt en common law

La Cour d’appel a rejeté l’appel de Yangarra et confirmé que le juge de première instance avait eu raison de conclure que la redevance de 8 % répondait aux deux volets du critère Dynex et que celle-ci constituait un intérêt foncier en common law[7].

  1. Premièrement, en réponse à l’argumentaire de Yangarra selon lequel il est absolument interdit de créer de nouvelles catégories d’intérêts en common law, la Cour d’appel a reconnu qu’une redevance dérogatoire en tant qu’intérêt foncier en common law est compatible avec certaines exceptions limitées permises en vertu du principe du numerus clausus, une doctrine académique selon laquelle les catégories d’intérêts fonciers sont en grande partie fermées, mais dont le nombre peut être augmenté dans de rares exceptions[1]. En d’autres termes, la Cour d’appel a rejeté la thèse de Yangarra selon laquelle les redevances dérogatoires ne peuvent être reconnues comme un intérêt en common law à moins qu’elles ne soient antérieures aux réformes des pouvoirs judiciaires de 1875, confirmant que la common law moderne peut reconnaître l’évolution de l’intérêt de propriété, compte tenu des réalités du secteur pétrolier et gazier[2].
  1. Deuxièmement, la Cour d’appel a noté que les acquéreurs d’un bail d’exploitation minière sur des terres de la Couronne non concédées par patente sont généralement des intervenants commerciaux avertis, en mesure de procéder aux vérifications diligentes nécessaires pour vérifier l’existence de toute redevance dérogatoire. Accorder à un acquéreur de bonne foi contre valeur et sans connaissance préalable la possibilité d’acquérir des baux d’exploitation minière libres de toute redevance dérogatoire engendrerait une incertitude et augmenterait les risques sur le marché des redevances, ce qui pourrait déstabiliser les investissements et compromettre les objectifs établis dans ce secteur et approuvés dans l’affaire Dynex[3].
  2. Troisièmement, la Cour d’appel a confirmé que le libellé utilisé dans l’accord de redevance de 2011 démontrait l’intention objective des parties contractantes de créer un intérêt foncier et de veiller à ce que la redevance de 8 % demeure opposable à tous. Le respect du critère Dynex, en substance, est simplement une expression de l’intention des parties. Cette conclusion factuelle reposait sur le libellé spécifique du contrat en question[4].

Points à retenir concernant le droit à des redevances :

  • Rédiger des contrats précis. Assurez-vous de bien structurer les accords de redevance et utilisez un libellé clair en matière de propriété si l’intention est de créer un intérêt foncier contraignant pour la succession, conformément au critère Dynex.
  • Prévoir un intérêt non sujet à enregistrement. Structurez les accords afin qu’ils soient applicables en common law lorsque l’enregistrement en vertu de la Loi est impossible.
  • Effectuer impérativement une vérification diligente. Les acquéreurs de baux concernant des terres de la Couronne doivent procéder à une rigoureuse vérification diligente qui va au-delà de l’enregistrement des titres fonciers.
  • Connaître les limites de l’argumentaire de défense concernant un « acquéreur de bonne foi ». Si une redevance est considérée comme un intérêt de common law, les parties qui acquièrent un droit de tenure à bail sur des terres de la Couronne non concédées par patente ne peuvent invoquer la défense de l’acquéreur de bonne foi contre valeur et sans connaissance préalable.

Conclusion

La décision de la Cour d’appel dans l’affaire PrairieSky c. Yangarra renforce la position des détenteurs de redevances dans le secteur pétrolier et gazier de l’Alberta. Elle confirme que des accords de redevance bien rédigés — formulés de manière à créer clairement un intérêt foncier — peuvent être contraignants pour la succession même lorsque l’enregistrement public est impossible. Pour les acquéreurs d’un intérêt de tenure à bail sur les terres de la Couronne, cette décision souligne l’importance d’effectuer une vérification diligente et un examen minutieux des titres. Cette décision offre aux rédacteurs de contrats un guide précieux pour structurer des ententes de redevances dérogatoires dans un contexte industriel et juridique en constante mutation.

Si votre entreprise détient des droits de redevance ou prévoit de rédiger des accords ou d’acquérir des droits de redevances, c’est le moment d’agir. Les groupes Droit des sociétés et Litige commercial de Miller Thomson ont une vaste expérience couvrant toutes les facettes des accords commerciaux et des litiges du secteur pétrolier et gazier. Nous aidons les entreprises de l’Alberta à vérifier que leurs accords de redevances répondent au critère Dynex, qu’ils soient exécutoires sans enregistrement et qu’ils demeurent en vigueur après un transfert. Veuillez communiquer avec un membre de notre équipe avant votre prochaine opération pour protéger au mieux vos intérêts.


[1] Prairiesky Royalty Ltd. c. Yangarra Resources Ltd., 2023 ABKB 11 (CanLII), paragraphes 71 et 120 [décision ABKB].

[2] Ibid., paragraphes 73 et 79.

[3] Ibid., paragraphes 80 à 88.

[4] Ibid., paragraphes 29 et 67 à 72.

[5] Ibid., paragraphe 122.

[6] Ibid., paragraphe 128.

[7] PrairieSky Royalty Ltd. c. Yangarra Resources Ltd., 2025 ABCA 240 (CanLII), paragraphe 74.

[8] Ibid., paragraphes 28, 29 et 35.

[9] Ibid., paragraphes 40 et 41.

[10] Ibid., paragraphes 48 à 50.

[11] Ibid., aux paragraphes 63 à 65.