Aperçu

Cet article explique les fondements de la mise en jeu (en anglais, staking) de cryptomonnaies et les éléments principaux des contrats de mise en jeu entre le fournisseur de services et les porteurs de jetons au Canada et à l’étranger.

Fondements

La mise en jeu favorise l’intégrité informationnelle des réseaux de chaînes de blocs en mobilisant l’intérêt des porteurs de jetons. On entend par mise en jeu le fait de donner des jetons en garantie à un réseau de chaînes de blocs, de proposer l’ajout d’une série de blocs de renseignements au registre de la chaîne de blocs et de faire valider cet ajout par d’autres valideurs. En contrepartie, le réseau de chaînes de blocs verse des jetons, sous la forme qu’il émet normalement.

La mise en jeu est l’apanage des réseaux comme Ethereum et Solana, qui utilisent le modèle de consensus de validation informationnelle de la preuve de participation (proof-of-stake ou PoS). Les réseaux qui se fondent plutôt sur la preuve de travail (proof-of-work ou PoW) (Bitcoin) n’ont pas recours à la mise en garantie de jetons; ils utilisent d’autres processus de validation de l’information. Dans les réseaux fondés sur la preuve de participation, la proposition et la validation sont effectuées par un ordinateur (nœud) du réseau, ce qu’on appelle un « valideur ».

Ce type de réseau privilégie une approche récompense/punition pour assurer sa sécurité. En effet, le réseau verse des jetons (la « récompense ») au porteur si le valideur auprès duquel les jetons sont mis en jeu génère les mêmes résultats qu’une masse critique de valideurs. À l’inverse, le réseau prélève une portion des jetons mis en jeu si le valideur génère des résultats différents ou refuse de fonctionner quand il est sélectionné par le réseau (« hachage »).

Étant donné l’architecture ouverte des réseaux publics, les porteurs de jetons sont généralement libres de créer leur propre valideur sur le réseau ou de mettre en jeu leurs jetons auprès d’un valideur externe.

Cet article traite des principales modalités des contrats entre les porteurs de jetons et les valideurs externes. Bien que la mise en jeu soit un processus purement informatique qui n’exige pas de contrat juridique, les clients et les fournisseurs de service cherchent souvent à assurer l’intégrité de la transaction avec un contrat en bonne et due forme.

Contrat de mise en jeu

Le contrat de mise en jeu entre un valideur externe (le « fournisseur de services ») et le porteur de jetons (le « client ») est parfois appelé « contrat de mise en jeu à la demande » (Staking-as-a-Service) ou « contrat de plateforme-service/plateforme à la demande » (Platform-as-a-Service).

Principales modalités des contrats de mise en jeu :

  • Délégation et nomination – Le contrat doit préciser que le porteur de jetons peut nommer le fournisseur de service qui se chargera de la validation de ses jetons. Si l’intégration technologique du portefeuille du porteur et de l’infrastructure du fournisseur le justifie, le fournisseur peut donner une copie de la clé publique du nœud valideur où le porteur peut donner en garantie ou mettre en jeu ses jetons.
  • Avec ou sans garde – Le contrat doit indiquer si le fournisseur de service aura la garde ou non des jetons mis en jeu. La garde ne fait pas partie intégrante de la mise en jeu, car il n’est pas nécessaire que le valideur ait la garde des jetons pour exécuter l’opération. Par contre, le fournisseur peut offrir des services de garde et de mise en jeu à un même client à l’égard des mêmes jetons, ce qui change la nature de la relation entre les parties, tant sur le plan commercial que juridique.
  • Retrait ou fin de la mise en jeu – Le contrat doit indiquer si le client pourra retirer ses jetons mis en jeu. Selon le réseau, le retrait ou la fin de la mise en jeu peuvent être exécutés immédiatement ou dans un délai maximal de 28 jours, ce qui veut dire que les jetons pourraient ne pas être transférables immédiatement après un retrait. De plus, le fournisseur de service peut ajouter son propre délai, notamment s’il a la garde des jetons mis en jeu.
  • Description des services – Le contrat doit indiquer que le fournisseur de service effectuera la validation des jetons mis en jeu. Est ainsi constituée l’obligation de validation du fournisseur de service.
  • Normes de service – Le contrat établit habituellement des normes de service (technologies, compétences) auxquelles le fournisseur doit se conformer.
  • Déclarations et garanties – Le fournisseur de services et le client font également diverses déclarations, qui portent notamment sur les sujets suivants et qui sont exécutoires, selon le cas : 1) à l’instar des contrats de service en technologies autres que les chaînes de blocs, la formation, l’existence, la capacité, l’absence de conflits et la conformité au droit applicable; 2) à l’instar des contrats de services financiers, les sanctions, la LBA, le financement d’activités terroristes et les permis d’exercice; 3) les questions relatives aux lois sur les valeurs mobilières, notamment l’attestation que les jetons mis en jeu ne sont pas des placements en titres de capitaux propres; 4) l’attestation que la mise en jeu de jetons ne constitue pas un prêt; 5) l’octroi d’une prime aux clients qui demandent au fournisseur de service de déclarer que son nœud satisfait aux exigences du réseau pour son inclusion dans le groupe de valideurs actifs du réseau.
  • Indemnités générales – Chaque partie peut promettre d’indemniser l’autre partie pour tout non-respect des déclarations et garanties, manquement aux devoirs contractuels et responsabilités à l’égard de tiers, notamment, dans le cas du fournisseur, la violation de propriété intellectuelle. Comme dans la majorité des contrats de service, on exigera du fournisseur de services qu’il verse une indemnité au client.
  • Protection ou indemnités à l’égard des pénalités de hachage – La protection contre le hachage, le cas échéant, peut être prévue dans la section des indemnités générales ou dans une autre section. Le terme « hachage » désigne l’ensemble des pénalités que le réseau peut imposer à la suite d’un manquement du valideur (habituellement, la validation d’une double dépense d’un jeton dans un portefeuille unique). Si le valideur fait l’objet d’un hachage, une portion des jetons mis en jeu sont automatiquement cédés au réseau, qui les détruit ensuite (c’est-à-dire met fin à leur existence). Le contrat peut stipuler que le fournisseur de services doit rembourser le client pour tout jeton haché.
  • Protection ou indemnités à l’égard des récompenses non obtenues – La protection contre la non-obtention de récompenses, le cas échéant, peut être prévue dans la section des indemnités générales ou dans une autre section. Une récompense est dite non obtenue quand le valideur n’effectue pas la validation requise pour la générer. La protection contre les récompenses non obtenues vise à combler le coût de renonciation que subit le client. Le contrat peut stipuler que le fournisseur de services doit rembourser au client les récompenses non obtenues.
  • Limites de responsabilité – Les limites de responsabilité varient. Les fournisseurs de service cherchent normalement à limiter les dommages directs prévus au contrat en établissant, pour les indemnités et la protection contre le hachage et les récompenses non obtenues, une valeur maximale absolue, exprimée en argent ou en jetons, ou relative, exprimée, par exemple, en pourcentage des jetons mis en jeu ou des frais de service acquis par le fournisseur sur une période déterminée. Le fournisseur de services entend aussi exclure sa responsabilité à l’égard de certains événements : 1) dommages indirects; 2) dommages découlant d’une panne de réseau (ex. : bogues informatiques); 3) baisse de la valeur marchande des jetons mis en jeu. La clause de force majeure, le cas échéant, est une limite de responsabilité déguisée, car elle décline toute responsabilité à l’égard d’événements indépendants de la volonté de la partie (lire le texte standard attentivement). Il arrive que des fournisseurs de service offrent des protections illimitées contre le hachage et les récompenses non obtenues pour gagner un client important à valeur élevée.
  • Tarification – Les fournisseurs facturent des frais de service établis selon un pourcentage des récompenses générées (ex. : 8 %) ou des frais fixes. Ces frais sont généralement payables en jetons, mais peuvent l’être aussi en argent. Les frais de service en vigueur varient d’un réseau à l’autre. Si les parties prévoient l’augmentation ou la diminution des frais de service pendant la durée du contrat sur la base de la valeur en argent des jetons mis en jeu, le contrat doit indiquer le moment où la valeur en argent est établie et la source du taux de change utilisé.
  • Information sur les paiements (acheminement des fonds) – Les réseaux paient directement i) la totalité des récompenses au client ou ii) la part correspondant aux frais de service au valideur et le solde au client. L’acheminement des fonds a lieu automatiquement après l’exécution de la validation et est programmé dans les protocoles du réseau. Notons que si les frais programmés sont distincts des frais de service établis dans le contrat, le contrat doit contenir des clauses établissant les processus de règlement.
  • Durée et résiliation – Le contrat doit indiquer la période pendant laquelle il est en vigueur et le processus de résiliation. Il peut être pertinent d’indiquer que le contrat reste en vigueur jusqu’à la fin de la période de retrait. De plus, le fournisseur de services peut vouloir exiger que le client retire ses jetons à la réception d’un avis de résiliation ou à la fin de la durée du contrat.
  • Droit applicable – Porter une attention particulière au droit qui régit le contrat et sa relation avec les lois qui s’appliquent au fournisseur de services et au client. Comme les organismes de réglementation travaillent à encadrer ce domaine en constante évolution, les lois peuvent changer rapidement et avoir de fortes répercussions positives et négatives sur les réseaux et autres intéressés.
  • Entrepreneur indépendant – Le contrat doit stipuler que le fournisseur de services est pour le client un entrepreneur indépendant, si c’est l’intention des parties. Comme on le voit pour de nombreux aspects de l’écosystème des chaînes de blocs, on applique parfois, un peu maladroitement, des notions juridiques inadéquates à de nouvelles formes d’arrangement (mise en jeu), ce qui crée le risque que les tribunaux et les organismes de réglementation établissent entre les parties une relation différente de celle voulue par les parties.
  • Imposition – Le contrat devrait stipuler qu’il revient à chaque partie de remettre l’impôt exigible sur sa part des récompenses, le fournisseur de services pour la part correspondant aux frais de service et le client pour la part restante. Les contrats de mise en jeu prévoient parfois des indemnités fiscales.
  • Et – bien plus encore!

Il n’existe aucun contrat de mise en jeu normalisé. Chaque réseau ayant ses propres protocoles, les contrats de mise en jeu doivent non seulement traiter des aspects technologiques en cause, mais aussi tenir compte des particularités territoriales en matière de droit et de commerce ainsi que des intérêts commerciaux des parties contractantes. Les cryptomonnaies, et notamment leur mise en jeu, présentent des risques et des possibilités. Faites appel à un conseiller chevronné quand viendra le temps de négocier et rédiger un contrat de mise en jeu.

Kirk Emery est associé du bureau de Toronto de Miller Thomson. Auparavant, il était vice-président directeur, Services juridiques et développement des affaires d’un chef de file mondial de la mise en jeu. N’hésitez pas à communiquer avec Kirk Emery par courriel si vous avez des questions ou des préoccupations.