Normalisation imminente des règles d’information sur la durabilité et les changements climatiques
Le 31 mars 2022, l’International Sustainability Standards Board (« ISSB »), le nouveau conseil de normalisation en matière de développement durable récemment créé par l’International Financial Reporting Standards (« IFRS ») Foundation, a publié aux fins de consultation publique deux exposés-sondages, l’un concerne les règles d’information sur la durabilité en général et l’autre traite plus particulièrement des questions liées aux changements climatiques (les « exposés-sondages de l’ISSB »). Conçus en réponse aux demandes des principaux utilisateurs de l’information financière à l’usage générale qui réclament que l’information financières liées à la durabilité soient cohérentes, complètes, comparables et vérifiables, afin d’être plus à même d’évaluer la valeur d’entreprise d’une entité, les exposés-sondages de l’ISSB serviront de fondement aux normes IFRS d’information sur la durabilité. Ces deux exposés-sondages se veulent une base de référence exhaustive, mondiale et conforme aux besoins des investisseurs pour la communication d’information sur la durabilité et les questions entourant les changements climatiques.
Comme les normes mondiales mises au point par l’ISSB ont reçu l’appui du G7, du G20 et de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (« OICV »), plusieurs organismes de réglementation des valeurs mobilières dont l’Autorité des marchés financiers, exigeront vraisemblablement que la communication d’information soit conforme à la version définitive des exposés-sondages de l’ISSB.
L’ISSB et l’établissement d’une base de référence mondiale
L’ISSB a été créé par l’IFRS Foundation en novembre 2021 à l’occasion de la 26e Conférence des parties tenue à Glasgow. L’ISSB travaille de concert avec le Conseil des normes comptables internationales (« CNCI ») de l’IFRS, qui établit les normes comptables de l’IFRS appliquées dans plus de 140 pays, dont le Canada.
La publication des deux exposés-sondages par l’ISSB fait suite au projet de règles de communication d’information sur les changements climatiques présenté par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») en octobre 2021 dans le Règlement 51-107 sur l’information liée aux questions climatiques (PDF) (les « règles canadiennes ») qui, une fois achevé, s’appliquera à certains émetteurs assujettis canadiens. Elle fait également écho à la publication le 21 mars 2022 des règles de la Securities and Exchange Commission des États-Unis (la « SEC ») intitulées The Enhancement and Standardization of Climate-Related Disclosures for Investors (PDF) (les « règles de la SEC »), dont nous avons traité dans un précédent bulletin.
Si ces trois projets sont influencés par les recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (PDF), ils prévoient tous des communication différentes d’information – les règles canadiennes étant les moins contraignantes et les règles de la SEC, les plus strictes, ce qui crée des divergences au niveau de l’information devant être communiquée. C’est pourquoi l’ISSB mobilise en amont les organismes de réglementation et autres parties prenantes en vue de faciliter la mise en œuvre généralisée de la version définitive des exposés-sondages de l’ISSB à l’échelle régionale et nationale et ainsi établir une base de référence mondiale pour les obligations d’information.
Projets de normes de l’ISSB
L’objectif des exposés-sondages de l’ISSB est de favoriser la communication d’information importante par les entités au sujet des risques et des possibilités liés à la durabilité et aux changements climatiques pour permettre aux principaux utilisateurs de l’information financière à usage général d’évaluer la valeur d’entreprise[1]. Les exposés-sondages de l’ISSB obligeraient les entités à déclarer l’information financière sur la durabilité et sur les changements climatiques au moment de la publication de leurs états financiers. Cette information ferait ainsi partie de leurs obligations d’information financière à usage général.
Les normes proposées sont les suivantes :
- IFRS S1 Obligations générales en matière d’informations financières liées à la durabilité (PDF) (les « obligations générales de l’ISSB »), qui énonce les règles générales de communication de l’information financière concernant les risques et possibilités substantiels liés à la durabilité qui ont une incidence sur la valeur d’entreprise[2];
- IFRS S2 Informations à fournir en lien avec les changements climatiques (PDF) (les « obligations liées aux questions climatiques de l’ISSB»), qui énonce des règles précises pour établir, mesurer et communiquer des renseignements précis sur les risques et possibilités liés aux changements climatiques, y compris les risques physiques engendrés par les changements climatiques et les risques associés à la transition vers une économie sobre en carbone.
Si les obligations générales de l’ISSB établissent les principes généraux de communication de l’information importante sur les enjeux ESG, les obligations liées aux questions climatiques de l’ISSB donnent des indications sur une thématique précise. L’ISSB s’attend à ce qu’au fil du temps, des thématiques supplémentaires soient abordées suivant le modèle établi dans les obligations générales de l’ISSB.
Les principaux renseignements visés par les exposés-sondages de l’ISSB
De manière générale, pour se conformer aux exposés-sondages de l’ISSB, les entités assujetties devraient communiquer de l’information sur les sujets suivants :
- Gouvernance – les processus, mesures de contrôle et procédures utilisés pour repérer et gérer les risques et possibilités liés à la durabilité et aux changements climatiques;
- Stratégie – les stratégies appliquées aux risques et possibilités liés à la durabilité et aux changements climatiques qui ont une influence notable sur le modèle économique et la stratégie d’affaires à court, moyen et long terme. Comprend de l’information sur l’effet des risques et des possibilités relevés sur les modèles d’affaires, les chaînes de valeur, la stratégie et la prise de décisions;
- Gestion des risques – les mécanismes d’évaluation, de gestion et d’atténuation des risques et possibilités liés à la durabilité et aux changements climatiques (actuels et futurs);
- Indicateurs et cibles – les indicateurs et cibles utilisés pour évaluer le rendement d’une entité à l’aune des risques et des possibilités liés à la durabilité.
Précisions sur les obligations d’information contenues aux exposés-sondages de l’ISSB
Si les règles canadiennes et les exposés-sondages de l’ISSB obligent tous deux les entités à communiquer de l’information sur la gouvernance, la stratégie, la gestion du risque et les indicateurs et cibles, conformément aux recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques, l’ISSB va beaucoup plus loin pour ce qui est des détails normatifs exigés. Soulignons les différences suivantes :
- Information sur la gouvernance : Les exposés-sondages de l’ISSB obligeraient les entités assujetties à déclarer beaucoup plus d’information sur les processus, mesures de contrôle et procédures de gouvernance que les règles canadiennes, notamment de l’information sur l’intégration de la durabilité et des changements climatiques aux mandats et aux politiques du conseil d’administration, et sur les compétences des administrateurs ou des dirigeants qui gèrent les risques et les possibilités liés à la durabilité. Les entités assujetties devraient aussi indiquer si et comment la rémunération de la haute direction est conditionnelle à l’atteinte de cibles liées aux changements climatiques.
- Information sur la stratégie : Les obligations liées aux questions climatiques de l’ISSB exigeraient des entités assujetties qu’elles déclarent leurs cibles de réduction des émissions et indiquent, le cas échéant, comment elles utilisent des droits de compensation d’émission pour les atteindre, ce qui n’est pas le cas des règles canadiennes. De même, les entités assujetties devraient communiquer de l’information sur la résilience de leurs stratégies d’affaires ainsi que sur l’alignement de ces stratégies avec l’objectif d’atténuation des changements climatiques de l’Accord de Paris.
- Obligations de déclaration par secteur : Les obligations liées aux questions climatiques de l’ISSB exigeraient des entités assujetties qu’elles évaluent les risques et les possibilités liés aux changements climatiques en fonction des obligations de déclaration propres à leur secteur d’activité dérivées des normes du Sustainability Accounting Standards Board (« SASB»). Cette approche reconnaît que les risques et les possibilités liés à la durabilité et aux questions concernant les changements climatiques varient d’une industrie à l’autre.
- Obligations de déclaration des gaz à effet de serre (« GES ») : Les obligations liées aux questions climatiques de l’ISSB exigeraient la déclaration des émissions de GES relevant du champ d’application 1 (émissions directes), du champ d’application 2 (émissions indirectes liées à la consommation d’énergie) et du champ d’application 3 (émissions en amont et en aval dans la chaîne de valeur) si elles sont substantielles. Les règles canadiennes, par comparaison, utilisent l’approche « se conformer ou s’expliquer », qui permet aux émetteurs canadiens de ne pas déclarer leurs émissions relevant des champs d’application 1, 2 et 3, à condition de se justifier dans leurs documents d’information publics[3]. En outre, les obligations liées aux questions climatiques de l’ISSB obligeraient les entités assujetties à déclarer séparément l’ampleur des émissions de GES des champs d’application 1 et 2 pour : a) leur groupe comptable consolidé et b) les entreprises associées, coentreprises, les filiales non consolidées ou les sociétés affiliées qui ne font pas partie du groupe, ce qui ferait vraisemblablement augmenter les coûts de conformité.
L’effet des activités de l’ISSB sur les mesures réglementaires au Canada
Les parties prenantes canadiennes et internationales s’entendent sur la nécessité d’établir une base de référence mondiale pour la communication d’information sur la durabilité et les questions concernant les changements climatiques. L’IFRS Foundation, en tant qu’organisme de normalisation jouissant d’une grande crédibilité, est bien placée pour établir un ensemble de règles de base pour la communication d’information sur les enjeux de durabilité qui s’appliqueront en parallèle aux exigences propres à chaque territoire. Toutefois, comme pour les normes comptables de l’IFRS, ce sont les organismes de réglementation régionaux et nationaux qui décideront ultimement si les entités qu’ils règlementent doivent se conformer aux normes IFRS d’information sur la durabilité.
Au Canada, il ne fait aucun doute que l’établissement de normes sur les enjeux de durabilité et particulièrement quant aux questions concernant les changements climatiques en collaboration avec l’ISSB est une priorité, comme en témoigne l’annonce du 15 juin de la création du Conseil canadien des normes d’information sur la durabilité (« CCNID »)[4], qui sera chargé de mettre en œuvre les normes d’information sur la durabilité de l’IFRS au Canada. Dans le même ordre d’idées, mentionnons l’annonce le 28 juin de la signature d’un protocole d’entente entre l’IFRS Foundation et Montréal International en vue d’obtenir du financement des gouvernements du Canada et du Québec pour établir à Montréal le bureau des Amériques de l’ISSB.
Qu’est-ce que cela signifie pour les émetteurs canadiens?
Les exposés-sondages de l’ISSB influenceront vraisemblablement l’orientation des ACVM lorsqu’elles mettront la touche finale aux projets de règles canadiennes. Si les projets de règles canadiennes étaient à l’avant-garde quand les ACVM les ont présentés en 2021, la publication subséquente des projets de règles de la SEC et des exposés-sondages de l’ISSB (qui sont beaucoup plus exigeantes) est signe que les règles canadiennes doivent encore être revues. En effet, les émetteurs canadiens pourraient avoir du mal à accéder aux marchés financiers mondiaux si l’information communiquée en application des règles canadiennes est moins exhaustive que celle exigée par les organismes de réglementation aux États-Unis et à l’échelle internationale.
Alors que les règles canadiennes devaient être achevées d’ici peu et mises en œuvre progressivement à compter du 31 décembre 2022, une déclaration récente de Louis Morisset, président des ACVM, porte à croire que la touche finale attendra finalement la publication des versions définitives des règles de la SEC et des normes IFRS d’information sur la durabilité, qui est prévue pour le second semestre de 2022.
Si vous avez des questions au sujet du présent bulletin, veuillez communiquer avec Bruno Caron ([email protected]) ou Annafaye Dunbar ([email protected]), ou avec tout autre membre de notre groupe Marchés financiers et valeurs mobilières.
[1] Le terme « valeur d’entreprise » désigne « la valeur totale d’une entité, qui correspond à la somme de la valeur de ses capitaux propres (capitalisation boursière) et de la valeur de sa dette nette».
[2] Le concept de la déclaration d’information financière importante et pertinente sur la durabilité oblige les entités à déterminer si les risques et possibilités liés à la durabilité concernant la population, la planète et l’économie doivent être pris en compte dans l’évaluation de la valeur d’entreprise. Comme le concept de durabilité est assez vague, les entités pourraient avoir du mal à déterminer si une information donnée est importante, ce qui pourrait créer de l’incertitude chez les entités quant au choix de l’information à communiquer.
[3] Dans une version du projet, l’ACVM propose de rendre obligatoire la déclaration des émissions du champ d’application 1 tout en maintenant le modèle « se conformer ou expliquer » pour les émissions des champs d’application 2 et 3.
[4]Kevin Nye, président du Conseil de surveillance de la normalisation en audit et certification, affirme que « le CCNID travaillera de concert avec le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (International Sustainability Standards Board – ISSB) en vue de contribuer à l’élaboration et à l’adoption des normes IFRS® d’information sur la durabilité, afin que le point de vue du Canada soit pris en compte dans la prise de décisions à l’échelle internationale ».