Le décès d’un être cher peut exposer sa succession à des répercussions fiscales inattendues. Au Canada, les dispositions réputées au décès entraînent souvent d’importants gains en capital et, dans de nombreuses situations, les mêmes actifs peuvent être imposés plusieurs fois. La stratégie du report rétrospectif d’une perte prévue au paragraphe 164(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») offre aux exécuteurs testamentaires et aux familles un mécanisme permettant de réduire ce fardeau fiscal. Les personnes à valeur nette élevée auraient avantage à maîtriser cette stratégie pour pouvoir l’utiliser comme levier de préservation intergénérationnelle du patrimoine.

Quelle est la source du problème?

En vertu de l’alinéa 70(5)a) de la LIR, une personne décédée est réputée avoir disposé de l’ensemble de ses biens en immobilisation immédiatement avant son décès pour un montant équivalent à leur juste valeur marchande. Même si les biens ne font pas l’objet d’une vente, la personne décédée est assujettie aux conséquences fiscales de la disposition réputée au cours de sa dernière année d’imposition, ce qui entraîne généralement un gain en capital. Dans ce contexte, les détenteurs d’actions de sociétés privées pourraient être exposés à une double imposition.

Prenons l’exemple de Madame Smith, propriétaire d’une société dont l’actif comprend un portefeuille de placements. À son décès, elle est réputée avoir disposé de ses actions pour un montant équivalent à leur juste valeur marchande. Le gain en capital résultant de cette disposition doit être déclaré dans sa dernière déclaration de revenus (le « premier événement fiscal »). Sa succession est réputée acquérir les actions de la société au prix de base rajusté égal à ladite juste valeur marchande. Par la suite, l’exécuteur testamentaire est tenu de procéder à la liquidation des placements. Comme, entre-temps, la valeur des placements a augmenté, un nouveau gain en capital est réalisé, sur lequel la société est tenue de payer l’impôt correspondant. Un dividende de liquidation est ensuite versé à la succession et imposé au taux d’imposition des dividendes (le « deuxième événement fiscal »). Dans ce scénario, le même gain lié à la valeur des placements a été imposé deux fois, c’est-à-dire une première fois à l’actionnaire, puis une autre fois à la société.

Comment fonctionne la stratégie du report rétrospectif d’une perte?

Le paragraphe 164(6) de la LIR permet le report des pertes en capital réalisées par une succession afin de compenser les gains en capital déclarés dans la dernière déclaration de revenus de la personne décédée.

Une fois que les placements détenus par la société de Madame Smith sont liquidés et que les dividendes attribués dans le cadre de la liquidation sont versés, les actions ont une valeur de 0 $. Toutefois, elles ont toujours un prix de base rajusté égal à leur juste valeur marchande finale. La disposition des actions lors de la dissolution de la société entraîne donc une perte en capital pour la succession. Le paragraphe 164(6) permet, à la discrétion du contribuable, de reporter cette perte en capital sur la déclaration de revenus de la dernière année de Madame Smith et de l’appliquer au gain en capital réalisé à son décès. De cette façon, un allègement total ou du moins partiel est accordé pour le premier événement fiscal, ce qui permet d’éviter la double imposition. Conformément aux dispositions du paragraphe 164(6), l’exécuteur testamentaire doit faire ce choix dans la déclaration T3 de la succession de sorte que les pertes en capital pertinentes de la succession soient considérées comme des pertes en capital de la personne décédée pour la dernière année d’imposition.

Comme dans l’exemple de Madame Smith, les exécuteurs de la succession de Monsieur Jones peuvent choisir le report de la perte en capital réalisée lors de la vente de la résidence secondaire sur la dernière déclaration de Monsieur Jones, afin de compenser le gain en capital réalisé à son décès, établi sur la valeur estimée. Ce mécanisme permet d’obtenir un allègement si la succession n’a pas réalisé la pleine valeur marchande déclarée au moment du décès. Le même principe s’applique à toute réduction de la juste valeur marchande des titres négociables entre le moment du décès et le moment de la liquidation de la succession par les exécuteurs testamentaires.

Quels sont les autres points à prendre en considération?

Pour profiter de la stratégie du report rétrospectif de la perte, la succession doit s’attribuer le statut de succession assujettie à l’imposition à taux progressifs dans la déclaration T3 au cours de la première année d’imposition. Le maintien de ce statut est conditionnel au respect de certaines conditions, qui ne sont pas abordées dans le présent article. Par exemple, la succession assujettie à l’imposition à taux progressifs doit conserver son statut de fiducie testamentaire, qui peut être compromis de plusieurs façons, notamment si un bénéficiaire paie les frais de succession.

Auparavant, pour que le paragraphe 164(6) s’applique, la succession devait procéder à la disposition des biens au cours de la première année suivant l’attribution du statut de succession assujettie à l’imposition à taux progressifs. Ce délai serré était souvent un enjeu en raison des retards fréquents liés aux formalités administratives ou aux contestations testamentaires. En août 2024, le ministère des Finances a publié un projet de loi prolongeant cette période aux trois premières années de la succession de toute personne décédée après le 12 août 2024, inclusivement. Cette mesure apporte un soulagement appréciable, sans toutefois éliminer tous les défis de respect des délais dans certains dossiers complexes de succession.

Comment les caractéristiques fiscales des sociétés peuvent-elles améliorer cette stratégie?

Lorsque des sociétés privées détiennent une assurance vie, des soldes d’impôt remboursables ou un compte de dividendes en capital (« CDC »), ces caractéristiques fiscales peuvent être conjuguées à la stratégie du report rétrospectif de la perte dans le but d’optimiser les économies d’impôt.

Revenons à l’exemple de Madame Smith et imaginons qu’elle ait fondé une deuxième société exerçant des activités commerciales. Plusieurs années auparavant, elle avait opté pour une stratégie de gel successoral et ses enfants doivent prendre le relais dans l’exploitation de l’entreprise. La société détenait une police d’assurance vie au nom de Madame Smith et avait également accumulé un solde d’impôt remboursable au cours des exercices précédents.

Comme décrit ci-dessus, la disposition réputée des actions privilégiées que Madame Smith a reçues lors du gel successoral donne lieu à un gain en capital à déclarer. Toutefois, dans cet exemple, la société dispose également d’un CDC et d’un solde d’impôt remboursable. La succession a la possibilité de racheter certaines actions à l’aide du compte de dividendes en capital, ce qui lui permet de conjuguer la perte en capital réalisée lors de la disposition aux dividendes non imposables. 

Sous réserve de la règle sur la minimisation des pertes prévue au paragraphe 112(3.2) de la LIR, un allègement partiel équivalent au premier événement fiscal peut être obtenu grâce au report rétrospectif prévu au paragraphe 164(6). Certaines stratégies, notamment la « solution du un tiers », peuvent être utilisées pour atténuer les effets de la règle sur la minimisation des pertes. Toutefois, l’application de cette stratégie sort du cadre du présent article. Le rachat d’actions, lorsqu’il permet le remboursement de la totalité des soldes d’impôt remboursables, offre un allègement partiel du premier événement fiscal en conjuguant un remboursement d’impôt pour la société à un coût fiscal équivalent pour la succession (produisant un effet d’imposition net nul), tout en entraînant une perte en capital que la succession peut utiliser dans la stratégie du report rétrospectif de la perte.

Quelles sont les prochaines étapes pour les exécuteurs testamentaires et les propriétaires d’entreprise?

Nous recommandons aux exécuteurs testamentaires de s’entourer de conseillers avisés sur le plan juridique et fiscal dès le début du processus d’administration de la succession afin d’optimiser les stratégies d’utilisation des pertes. En effet, une planification en amont pourrait être avantageuse pour les propriétaires d’entreprise et leurs familles, notamment la mise en place d’une stratégie de gel successoral ou la structure des participations de l’entreprise afin de tirer parti des soldes des CDC de manière efficace.

Notre groupe Services aux particuliers aide les propriétaires d’entreprise, les familles et les exécuteurs testamentaires à démêler les rouages parfois complexes de la planification fiscale et successorale. Nous accompagnons nos clients et proposons des solutions sur mesure pour faciliter la préservation intergénérationnelle de leur patrimoine, notamment grâce au report rétrospectif des pertes et à des stratégies de succession reconnues. Communiquez avec nous sans tarder ou abonnez-vous à nos infolettres pour suivre l’actualité et rester à l’affût des nouvelles orientations juridiques.