Depuis les dernières semaines, la majorité des entreprises canadiennes ont trouvé des solutions pour atténuer les effets des tarifs douaniers américains. Elles ont révisé leurs contrats, rajusté leurs prix et absorbé les coûts. Toutefois, l’étape suivante nécessitera des mesures plus durables que des solutions provisoires. En effet, face au durcissement des politiques américaines et à l’évolution du contexte commercial mondial, les entreprises n’ont pas le choix d’adopter une gestion stratégique plutôt que réactive si elles veulent préserver leurs marges et leur accès au marché.
À mesure que les tensions commerciales s’accentuent sous l’administration Trump, les règles d’engagement évoluent pour les entreprises canadiennes. Lors du récent séminaire organisé aux bureaux de Miller Thomson à Calgary, des experts en droit, en fiscalité et en commerce, notamment Joe Barndollar, directeur principal de PwC, Shane Jaffer, directeur, Partenariats mondiaux auprès d’Invest Alberta, Dr Trevor Tombe, professeur à l’Université de Calgary, Robert Kossick, conseiller commercial principal du cabinet Flexport and Geoffrey Goodal, associé du cabinet Duane Morrison, ont analysé les bouleversements que les tarifs douaniers américains occasionnent aux exportateurs, importateurs et entreprises manufacturières au Canada. Le constat est sans équivoque : il ne s’agit pas seulement d’une guerre de tarifs, mais d’un véritable changement de cap stratégique.
Inspiré des échanges informels qui ont eu lieu lors de ce séminaire, cet article propose aux entreprises canadiennes des conseils pratiques pour s’adapter et demeurer compétitives face aux turbulences du commerce international.
Décoder les objectifs tarifaires des États-Unis : rhétorique politique ou politique commerciale?
Ce qui avait commencé comme un cadre limité de mesures de sécurité nationale sous la précédente administration Trump s’est transformé en un régime tarifaire plus étendu et plus imprévisible. Présentées dans certains discours politiques comme une riposte à certains problèmes, tels que le trafic de drogue, ces mesures ont en réalité des répercussions commerciales considérables et le lien avec l’argument invoqué est mince. À titre d’exemple, moins de 40 livres de fentanyl sont entrées aux États-Unis en provenance du Canada l’an dernier, ce qui met en doute la validité de ce raisonnement.
L’objectif sous-jacent est clair : encourager les entreprises étrangères à fabriquer leurs produits aux États-Unis. Pour les exportateurs canadiens, cela représente des coûts plus élevés, des risques supplémentaires en matière de conformité et la remise en question d’hypothèses établies depuis longtemps concernant les flux commerciaux et les attentes des clients. Les tarifs douaniers sont utilisés pour inciter les entreprises étrangères à fabriquer leurs produits aux États-Unis. Toutefois, plutôt que de délocaliser leurs activités, de nombreuses entreprises non américaines choisissent d’absorber les coûts ou de demander des exemptions.
En résumé, les entreprises doivent allier flexibilité et esprit critique et ne pas se contenter d’agir pour être en conformité.
Le Canada est-il passé du statut d’allié à celui d’adversaire?
Les conférenciers ont souligné que le Canada se retrouve entraîné dans une restructuration des rapports géopolitiques. La crédibilité des États-Unis sur la scène mondiale s’affaiblit et de nouvelles alliances se forment. Pour les entreprises canadiennes, cette fragmentation du consensus mondial est à la fois source de risques et de circonstances opportunes.
En réponse à cette situation, le Canada doit renforcer ses partenariats régionaux, diversifier ses échanges commerciaux avec des pays comme l’Australie et la Chine, et explorer les possibilités d’harmonisation de ses politiques avec celles d’autres zones de commerce. On assiste peut-être à l’émergence d’une « économie érigée en forteresse » en Amérique du Nord, mais la porte n’est que partiellement fermée. La diversification stratégique n’est pas seulement un choix judicieux, elle s’impose.
Quels sont les enjeux pour les entreprises canadiennes?
Plusieurs contestations de ces tarifs douaniers devant les tribunaux sont en cours aux États-Unis, mais un renversement de la situation par voie judiciaire pourrait prendre des années. Selon les experts, la lenteur des procédures judiciaires ne permet pas d’espérer des changements majeurs à court terme. En attendant, les entreprises, en particulier les PME, pourraient avoir à relever les défis suivants :
• retards dans la chaîne d’approvisionnement et blocages à la frontière
• coûts de livraison plus élevés pour les matériaux ou composants importés
• pressions de la part des clients américains pour que les droits de douane supplémentaires soient absorbés ou qu’une compensation soit accordée
• risques d’atteinte à la réputation liés aux déclarations d’origine et aux enjeux de conformité
• recul de la confiance des consommateurs en raison de l’augmentation des prix et de la limitation des stocks
Certains de ces risques pourraient s’intensifier si les pressions politiques déclenchent une nouvelle vague d’augmentation des tarifs douaniers. En conclusion, l’inaction n’est désormais plus envisageable.
Actions concrètes à mettre en place dès maintenant
Les entreprises canadiennes devraient prendre immédiatement certaines mesures pour protéger leurs activités et s’assurer d’être en conformité :
- Renforcer les programmes de conformité aux règles commerciales. Passez en revue la classification des marchandises et assurez-vous que tous les documents sont à jour. La moindre divergence peut entraîner des audits coûteux ou des retards.
- Renégocier les contrats avec les fournisseurs. Instaurez des mécanismes de partage des coûts et des mesures de prévoyance pour les tarifs douaniers. L’adoption immédiate de dispositions claires pourrait permettre d’éviter des litiges ultérieurs.
- Diversifier les chaînes d’approvisionnement. Dans la mesure du possible, réorientez les sources d’approvisionnement vers des pays ou des territoires épargnés par les droits de douane actuellement en vigueur. Ne dépendez pas d’un seul fournisseur.
- Vérifier les déclarations relatives au pays d’origine. Examinez attentivement les déclarations des fournisseurs et préparez-vous à justifier vos propres déclarations en cas d’inspection.
- Envisager le remboursement de certains tarifs douaniers. Dans certains cas, les tarifs douaniers payés sur les marchandises importées pourraient faire l’objet d’un remboursement en vertu d’accords de réciprocité tarifaire.
- Surveiller l’application des lois aux États-Unis. Les autorités douanières invoquent de plus en plus souvent la False Claims Act (loi fédérale américaine sur les fausses déclarations)pour enquêter sur les cas présumés de classification incorrecte ou de fausses déclarations, notamment en émettant des demandes officielles d’accès à l’information. Toute violation des lois peut entraîner des sanctions et porter atteinte à la réputation.
Une réorganisation stratégique plus étendue
Au-delà des mesures d’adaptation d’ordre tactique, le Canada se voit contraint de revoir en profondeur sa posture en matière de commerce. Les liens avec le marché nord-américain sont encore solides. Toutefois, le climat actuel ouvre la voie à une plus grande diversification, soit en établissant de nouveaux partenariats commerciaux, soit en harmonisant les règlements à ceux des marchés émergents, comme l’Australie ou certaines régions d’Asie.
L’appartenance régionale à l’Amérique du Nord conserve une valeur stratégique, mais la priorité pour le Canada est désormais de diminuer sa dépendance à un seul marché. Cette situation n’est pas seulement l’occasion pour le Canada de renforcer sa réactivité, mais surtout de réfléchir à ses axes de croissance et à la manière de les concrétiser.
Conclusion
Les tarifs douaniers ne font peut-être plus la une des journaux, mais leurs répercussions sur les entreprises deviennent de plus en plus complexes. Le véritable défi pour les entreprises canadiennes dépasse la simple gestion des coûts : il réside dans le renforcement de leur résilience. Avec le durcissement des mesures et la réorganisation du commerce mondial, les entreprises qui agissent dès maintenant de manière proactive seront en position de force pour demeurer compétitives, peu importe la suite des événements.
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Notre équipe Commerce mondial et douanes vous aide à évaluer vos risques, à renforcer vos mesures de conformité et à explorer les possibilités de recouvrement, telles que le remboursement des tarifs douaniers ou la reclassification tarifaire. Pour tout complément d’information concernant l’évolution des défis commerciaux et douaniers, consultez le Centre de ressources sur le conflit tarifaire entre les États-Unis et le Canada