Imaginez que vous consacrez plusieurs mois à organiser votre vie à deux et à mettre en ordre votre succession et que vous découvrez, des années plus tard, que le tribunal ne tient pas compte des accords et modifie le testament établi en faveur du partenaire survivant.

C’est précisément ce qui s’est produit dans l’affaire Ramadan c. Coupal, 2025 BCSC 1194, dans laquelle la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « Cour suprême ») a examiné si les accords de vie commune déclarant expressément qu’il n’y a pas de lien conjugal peuvent empêcher un recours en contestation de testament. Cette décision agit comme une mise en garde aux planificateurs successoraux et rappelle que même des accords de vie commune ou des accords successoraux rédigés avec soin pourraient ne pas être suffisants pour protéger la succession en cas de contestation.

Contexte : historique de la relation et structure du patrimoine

La plaignante a intenté un recours en contestation de testament contre la succession du défunt, décédé en novembre 2023 et dont le patrimoine était évalué à environ 4,3 millions $. L’épouse du défunt était décédée huit ans plus tôt et leurs trois enfants (les parties défenderesses) agissaient en tant qu’exécuteurs testamentaires conjoints. Avant son décès, le défunt avait transféré des actifs importants hors de la succession, notamment la maison familiale et une entreprise de grues d’une valeur d’environ 17 millions $.

La relation entre la plaignante et le défunt a commencé en 1994, alors que le défunt était encore marié à son épouse. À la suite de la crise cardiaque du défunt en 2017, la plaignante a emménagé dans sa maison et y est restée jusqu’à son décès, agissant comme aidante naturelle principale pendant ses dernières années. Dans son testament, le défunt n’a laissé à la plaignante qu’un VUS Lexus de 2011. Toutefois, de son vivant, il lui avait acheté une maison de ville et avait créé une fiducie (la « fiducie AR ») afin qu’elle reçoive 4 000 $ par mois après son décès, en plus de lui permettre de vivre dans la maison qui lui appartenait sans payer de loyer pendant 12 mois.

Les accords : ententes portant sur la cohabitation, la propriété et la planification successorale

Entre 2010 et 2017, la plaignante et le défunt ont conclu plusieurs accords de propriété, de succession et de soutien (les « APSS »), notamment les suivantes :

  • APSS de 2012 : accord conclu pour décrire la relation des parties comme étant une relation « d’amis et de compagnons » et confirmer expressément que les parties ne sont pas mariées. Cet accord prévoit également l’abandon de toute réclamation de succession si un tribunal venait à conclure que les parties étaient mariées.
  • APSS de 2016 : accord conclu pour mettre à jour les renseignements concernant les actifs et confirmer que les droits de la plaignante sont limités à des réclamations envers la fiducie AR.
  • APSS de 2017 : cet accord conclu après l’emménagement de la plaignante dans la maison familiale confirme de nouveau l’absence de lien conjugal entre les parties et précise que la maison est détenue par la fiducie Alter Ego appartenant au défunt.
  • Déclaration de 2010 : cette déclaration atteste que le défunt a payé dans son intégralité la maison de ville détenue en copropriété et que cette maison est destinée à la plaignante à son décès.
  • Renonciation de 2023 : cette renonciation a été signée après le décès du défunt pour avoir accès aux fonds de la fiducie AR; les parties défenderesses ont fait valoir que ce document constituait un règlement excluant toute autre réclamation.

Le tribunal a également pris note de la situation financière modeste de la plaignante : environ 27 000 dollars par an provenant du Régime de pensions du Canada, du programme de la Sécurité de la vieillesse et de revenus de location, plus 37 000 $ d’économies. En 2023, un impôt extraordinaire de 300 000 $ a été imposé sur sa maison de ville, l’obligeant à contracter un prêt (une dépense qu’elle décrit comme un fardeau financier important).

Point en litige : les accords signés peuvent-ils empêcher un recours en contestation de testament?

Les accords de mariage, de cohabitation et de séparation sont tout à fait pertinents lors de l’examen des obligations morales du testateur. Toutefois, ils n’éliminent pas à eux seuls le droit d’un conjoint de présenter un recours en contestation de testament. La Cour suprême a d’abord conclu que la plaignante et le défunt avaient un statut de conjoints au sens de la Wills, Estates, and Succession Act (la « loi WESA »), mais uniquement à partir de 2010. Elle a ensuite examiné si les accords qu’ils avaient signés pouvaient empêcher la plaignante de présenter une réclamation et a conclu que non, pas automatiquement.

Les parties défenderesses ont fait valoir que la renonciation de 2023 constituait un règlement distinct qui empêchait la plaignante de présenter une réclamation. La Cour suprême a rejeté cet argument et a estimé que ce document constituait simplement une réitération de la signature de l’APSS de 2016 et qu’il faisait donc partie d’un accord de cohabitation plutôt que d’un règlement définitif. La Cour suprême a souligné que ces accords doivent être considérés dans leur contexte. Ils peuvent en effet restreindre les obligations morales du testateur, mais doivent être analysés conjointement avec l’ensemble de la planification successorale et le contexte factuel dans lequel ils s’inscrivent.

Décision : les obligations morales conservent leur importance malgré les mesures de planification

La Cour suprême a reconnu que le défunt avait rempli ses obligations légales envers la plaignante en lui fournissant la maison de ville et un revenu mensuel de 4 000 $. Toutefois, il a estimé que son obligation morale n’était pas du même ordre. L’impôt extraordinaire inattendu de 300 000 $ prélevé sur la maison de la plaignante lui a causé des difficultés financières que le défunt n’aurait pu anticiper. Compte tenu de l’ampleur notable du patrimoine et du fait que la majeure partie de celui-ci reviendrait quand même aux parties défenderesses, la Cour suprême a modifié le testament afin d’accorder à la plaignante un montant supplémentaire de 300 000 $.

Points marquants dans ce cas de figure :

  • Les accords de vie commune sont importants, sans toutefois être déterminants en toutes circonstances. Les accords de mariage, de cohabitation et de séparation peuvent influencer l’avis du tribunal concernant les obligations morales du testateur, mais ils n’empêchent pas automatiquement les recours en contestation de testament.
  • En dernier ressort, il appartient au tribunal de déterminer le statut de conjoint. Même lorsque des accords contiennent des dispositions contraires, le tribunal a le dernier mot pour déterminer si une relation peut être qualifiée d’« assimilable à une relation maritale » au sens de la loi WESA.
  • Les obligations morales continuent de s’imposer. Les accords visant la renonciation aux droits successoraux du conjoint ne dispensent pas le testateur de son devoir de prévoir des dispositions testamentaires adéquates et équitables en faveur de son conjoint.

Cette décision apporte un nouvel éclairage aux avocats, aux testateurs et aux personnes vivant dans une relation assimilable à une relation maritale. Elle illustre la manière dont les tribunaux interprètent les accords en respectant le cadre de la loi WESA et met en lumière les limites de l’intervention des tribunaux en matière d’exclusion des droits du conjoint. Dans un litige successoral, il est indispensable de comprendre le traitement judiciaire des accords de vie commune, que ce soit pour contester un testament ou pour le défendre. Veuillez communiquer avec un membre de notre équipe Successions et fiducies pour protéger vos droits, effectuer une planification stratégique ou réduire les risques de litige.