L’approche des litiges civils prônée par l’Alberta est en profonde mutation. À compter du 1er septembre 2025, en vertu de l’avis Notice to the Profession and Public du 10 juillet 2025 (l’« avis ») publié par la Cour du Banc du Roi de l’Alberta, toutes les parties à une action civile (ne relevant pas du droit de la famille) doivent déposer un plan de litige obligatoire au cours des quatre mois suivant le dépôt de la première défense.
Ce plan de litige obligatoire doit impérativement fixer une date de procès dans les 36 mois qui suivent la date du dépôt de la première défense – un « délai cible pour les procès civils » ambitieux qui constitue une « attente générale » ou une « date butoir cible » quant au délai à respecter pour la tenue des procès civils dans cette province[1]. Ces réformes reflètent, et visent à mettre en œuvre, les principes de proportionnalité et d’accès à la justice endossés par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Hryniak c. Mauldin[2], et intégrés dans les Rules of Court (règles de procédure) de l’Alberta.
Le nouveau régime : plans de litige obligatoires
La nouvelle exigence entourant le dépôt d’un plan de litige obligatoire est plus qu’une simple formalité : elle oblige les avocats à examiner chaque étape importante de l’affaire – qu’il s’agisse de la clôture de la procédure écrite, des rapports d’experts ou du règlement extrajudiciaire des différends –, puis à fixer une date de procès dans les 36 mois suivant le dépôt de la première défense (sauf circonstances exceptionnelles)[3]. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur un aspect du plan de litige, l’affaire doit être soumise à un juge des requêtes, qui réglera les points en suspens et imposera un plan définitif. Ce changement aux règles de procédure marque une nette rupture par rapport aux échéanciers flexibles fixés librement qui ont longtemps caractérisé les litiges civils en Alberta.
Principaux éléments du plan de litige obligatoire
Le plan de litige modèle publié par la Cour en même temps que l’avis (conformément aux règles 4.4(1), 4.4(2) et 4.3(3) des Rules of Court) propose des échéances pour certaines étapes importantes d’un litige qui respectent le délai cible pour les procès civils, notamment :
- Les réclamations de tiers doivent être déposées au cours des six mois suivant la « date de déclenchement » (c’est-à-dire la date à laquelle la première défense a été déposée);
- Les affidavits de documents du demandeur et du défendeur doivent être signifiés dans un délai de trois mois et de cinq mois, respectivement, suivant la date de déclenchement;
- Tous les interrogatoires doivent être effectués au cours des 25 mois suivant la date de déclenchement;
- Le rapport d’expert principal et les rapports de réfutation et de contre-réfutation doivent être signifiés au cours des 29, 31 et 33 mois, respectivement, suivant la date de déclenchement;
- Le règlement extrajudiciaire des différends doit être effectué au plus tard 33 mois suivant la date de déclenchement, à moins que la Cour n’en décide autrement; et
- Le procès doit être prévu et entamé au cours des 36 mois suivant la date de déclenchement.
Délai cible pour les procès civils : la nouvelle étoile Polaire
L’annonce publiée par la Cour avec l’avis précise que les avocats et les parties sont censés gérer activement leur litige de façon à respecter le délai cible pour les procès civils, et que ce délai cible constitue un « filet de sécurité attendu ». En ce qui concerne les avocats et les plaideurs, cette réforme sonne le glas des litiges qui se déroulaient à un rythme déterminé « librement » ou « volontairement ».
Il faut limiter la « tolérance historique pour les retards attribuables à l’agenda des avocats ou des parties ». Les parties doivent sélectionner des étapes préalables au procès « justes et proportionnées », qui ne nuiront pas au respect du délai cible pour les procès civils. Le non-respect des échéances établies sans motifs adéquats peut entraîner des sanctions en vertu de la règle 10.49 des Rules of Court de l’Alberta[4].
Proportionnalité, accès à la justice et virage culturel amorcé dans l’affaire Hryniak
La réforme visée par l’avis se veut un reflet du « virage culturel » décrit dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Hryniak, où elle indique :
« s’impose afin de créer un environnement favorable à l’accès expéditif et abordable au système de justice civile »[5].
Dans l’affaire Hyrniak, la Cour a également fait la mise en garde suivante :
« les formalités excessives et les procès interminables occasionnant des dépenses et des délais inutiles peuvent faire obstacle au règlement juste et équitable des litiges »[6].
Le nouveau délai cible pour les procès civils vise à repenser l’approche des litiges civils préconisée actuellement dans cette province, conformément aux directives de la Cour suprême :
« L’équilibre entre la procédure et l’accès à la justice qu’établit notre système de justice doit en venir à refléter la réalité contemporaine et à reconnaître que de nouveaux modèles de règlement des litiges peuvent être justes et équitables »[7].
Évidemment, cette vision est déjà intégrée officiellement dans le système de justice civile de l’Alberta. Selon la règle 1.2 des Rules of Court de l’Alberta, les parties doivent « préconiser le moyen le plus rapide de régler une demande au moindre coût » et « s’abstenir de déposer des requêtes ou d’entamer des procédures qui ne servent pas l’objectif de ces règles »[8]. Le délai cible pour les procès civils permet d’appliquer ces principes en établissant une limite présumée de 36 mois pour toutes les actions civiles ne relevant pas du droit de la famille.
Renseignements pratiques à retenir
Il reste à voir les effets concrets de ces réformes. Par exemple, quelles « circonstances exceptionnelles » la Cour considérera-t-elle comme des motifs suffisants pour justifier le fait qu’un procès ne se tient pas dans le délai fixé de 36 mois?
Cependant, la Cour a clairement indiqué que la tolérance historique à la « modification du calendrier » attribuable à la disponibilité des parties ou des avocats ne sera plus acceptée. Dans le cadre du nouveau régime, on s’attend plutôt à ce que les parties effectuent une planification plus proactive et stratégique dès le début de chaque action. Les avocats doivent désormais prévoir longtemps d’avance les éventuels conflits d’horaire, et même trouver un avocat remplaçant ou prendre d’autres mesures, au besoin, pour que les délais soient respectés. Les cabinets d’avocats pourraient être amenés à se doter de systèmes de suivi plus rigoureux pour contrôler les nouveaux délais applicables aux étapes des litiges et veiller à ce qu’aucun dossier n’accuse de retard.
En ce qui concerne les parties à des litiges commerciaux, espérons que ces réformes permettront d’accroître la prévisibilité et de réduire le risque d’observer de longs délais judiciaires. Autant les demandeurs que les défendeurs devraient bénéficier d’échéanciers plus prévisibles, d’un accès plus rapide à la justice et d’une plus grande certitude quant aux frais juridiques.
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Étant donné le nouveau délai cible de 36 mois imposé par l’Alberta pour les procès civils et l’instauration des plans de litige obligatoires, il est plus important que jamais d’élaborer rapidement une stratégie et de gérer rigoureusement ses dossiers. Notre groupe Litige peut vous aider à prendre en compte ces changements et à mettre au point des plans de litige pratiques, défendables et conformes à vos objectifs commerciaux.
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[1] Annonce de la Cour du Banc du Roi de l’Alberta : « Reducing Civil Trial Delay » (10 juillet 2025), en ligne : Cour du Banc du Roi de l’Alberta https://www.albertacourts.ca/kb/resources/announcements/reducing-civil-trial-delay (« Annonce de la CBRA »).
[2] Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7 (« Hryniak »).
[3] Avis, note 1 ci-dessus.
[4] Annonce de la CBRA, note 2 ci-dessus.
[5] Hryniak, ci-dessus, par. 3. Voir également l’annonce de la CBRA, note 2 ci-dessus.
[6] Hyrniak, Ibid, par. 24.
[7] Ibid., par. 4.
[8] Rules of Court de l’Alberta, Alta Reg 124/2010, règle 1.2 [Rules of Court de l’Alberta].