Le 17 juin 2025, Le Sénat américain a approuvé la Guiding and Establishing National Innovation for U.S. Stablecoins Act (la « GENIUS Act »), à l’issue d’un vote bipartite à 68 contre 30. Bien qu’elle n’ait pas encore été promulguée, la GENIUS Act marque une étape importante dans la mise en place d’un cadre réglementaire fédéral régissant les cryptomonnaies stables aux États-Unis.

La promulgation de la GENIUS Act n’est que la première étape de l’adoption de la réglementation des cryptomonnaies stables. Les États-Unis continuent de peaufiner leur approche en proposant d’autres mesures législatives, notamment la loi intitulée Stablecoin Transparency and Accountability for a Better Ledger Economy Act of 2025 (la « STABLE Act »). En vertu de la STABLE Act, le terme cryptomonnaie stable s’entend d’un actif numérique servant à effectuer des paiements ou des règlements, qui est soit remboursable à une valeur monétaire fixe, soit commercialisé comme un actif qui conserve une valeur stable par rapport à une monnaie fiduciaire. La STABLE Act propose en outre que les émetteurs de cryptomonnaies stables soient réglementés au même titre que les institutions de dépôt assurées de façon que les cryptomonnaies stables fassent l’objet d’une surveillance comparable à celle du secteur bancaire traditionnel.

Ces modifications apportées à la réglementation ont entraîné une vague de changements à l’échelle internationale. L’Organisation internationale des commissions de valeurs a souligné l’importance de soumettre les cryptomonnaies stables à une étroite surveillance. Des cadres réglementaires tels que le règlement sur les marchés de cryptoactifs (MiCA) de l’Union européenne et la loi britannique sur les services et marchés financiers intitulée Financial Services and Markets Act témoignent du sentiment d’urgence qui pousse différents pays du monde à harmoniser la gouvernance des cryptomonnaies stables.

Le Canada est plus lent à s’adapter aux changements qui s’opèrent dans le secteur des actifs numériques. Cependant, à mesure que la réglementation des cryptomonnaies stables évolue, les entrepreneurs et les utilisateurs de monnaies numériques doivent se tenir informés des avancées qui sont ou pourraient être réalisées en vertu de la législation canadienne.

Le présent article est le premier d’une série publiée par Miller Thomson, qui se penche sur les aspects juridiques des cryptomonnaies stables et leur intégration avec la technologie.

Influence des États-Unis sur la réglementation canadienne

La GENIUS Act devrait influer considérablement sur les émetteurs canadiens autorisés à offrir des cryptomonnaies stables. Ces derniers devraient principalement tenir compte des répercussions suivantes qui pourraient se faire sentir sur leurs activités et leurs obligations en matière de conformité :

  • Harmonisation transfrontalière de la réglementation : La GENIUS Act autorise les États-Unis à conclure des accords bilatéraux avec des territoires de compétence étrangers qui ont adopté des cadres de réglementation des cryptomonnaies stables sensiblement similaires aux leurs. Ces accords visent à faciliter les transactions transfrontalières et l’interopérabilité avec les cryptomonnaies stables libellées en dollars américains et émises à l’étranger. Cependant, le Canada ne dispose pas actuellement d’un cadre comparable.
  • Conformité directe avec la réglementation américaine : Même si la législation canadienne est harmonisée avec celle des États-Unis, les émetteurs canadiens autorisés pourraient toujours être tenus de s’inscrire auprès des organismes de réglementation américains et de se conformer aux normes de réserves, aux exigences de divulgation et aux ordonnances légales des États-Unis.
  • Emplacement et surveillance des réserves : Lorsque des personnes des États-Unis utilisent des cryptomonnaies stables, la GENIUS Act pourrait exiger que les réserves connexes soient conservées aux États-Unis. Cette exigence a pour effet de soumettre les émetteurs canadiens à la réglementation américaine et de réduire leur marge de manœuvre dans la gestion des réserves.

Bien que ces exigences ajoutent aux obligations de conformité qui incombent aux émetteurs canadiens, elles peuvent également apporter une plus grande certitude sur le plan de la réglementation et faciliter l’accès au marché mondial des actifs numériques.

Les cryptomonnaies stables dans le paysage juridique canadien

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») soutiennent actuellement que les cryptomonnaies stables, ou « cryptoactifs arrimés à une valeur », peuvent être considérés comme des valeurs mobilières ou des instruments dérivés. L’Avis 21-333 du personnel des ACVM, Plateformes de négociation de cryptoactifs : conditions applicables à la négociation de cryptoactifs arrimés à une valeur avec des clients (« Avis 21-333 du personnel des ACVM »), émis en octobre 2023, établit un cadre temporaire à l’intention des plateformes qui veulent permettre l’achat ou le dépôt de cryptomonnaies stables. L’Avis 21-333 du personnel des ACVM décrit les conditions que doivent remplir les plateformes de négociation de cryptoactifs inscrites pour continuer à offrir aux clients l’accès à ces actifs. Par exemple, en plus de plusieurs autres exigences, les ACVM exigent que :

  • la plateforme de négociation de cryptoactifs établisse que la cryptomonnaie stable reproduit, selon un ratio de un pour un, la valeur du dollar canadien ou américain;
  • l’émetteur rende publics certains éléments d’information au sujet de la cryptomonnaie stable; et
  • l’émetteur dépose un engagement auprès des ACVM.

L’approche réglementaire nouvellement adoptée par le Canada en matière de cryptomonnaies stables pourrait donner un avant-goût de l’orientation générale qui sera préconisée par le législateur. Dans la foulée du mouvement international qui tend à soumettre les cryptomonnaies stables à la surveillance du secteur bancaire traditionnel, des textes législatifs tels que la Loi sur les banques (Canada) ou la Loi sur les activités associées aux paiements de détail (Canada) pourraient contribuer à modifier la réglementation applicable aux cryptomonnaies stables au Canada. Ces lois pourraient gagner en importance avec l’intégration des cryptomonnaies stables aux technologies d’intelligence artificielle qui imitent les fonctions de dépôt des systèmes de paiement électronique. Le Bureau du surintendant des institutions financières aurait également entrepris de mettre au point un cadre solide.

Quoi qu’il en soit, les émetteurs canadiens ne devraient pas attendre que le Canada adopte officiellement un régime de réglementation harmonisé à l’échelle mondiale pour passer à l’action. La prise immédiate de mesures proactives pourrait réduire les risques inhérents aux activités liées aux actifs numériques, renforcer la préparation de l’institution et démontrer sa capacité à faire preuve d’une saine gouvernance. Ces mesures pourraient comprendre les suivantes :

  • Catégoriser le jeton : Consultez un avocat pour déterminer si le jeton que vous avez l’intention d’émettre est considéré comme une valeur mobilière ou un instrument dérivé en vertu des lois canadiennes sur les valeurs mobilières. Si le jeton est considéré comme une valeur mobilière ou un instrument dérivé, vous serez probablement soumis à la réglementation des ACVM et de l’Organisme canadien de réglementation des investissements. Les cryptomonnaies stables et les jetons exclusifs doivent obtenir l’approbation des ACVM pour être inscrits à la cote d’une bourse. 
  • S’inscrire en tant qu’entreprise de services monétaires : Les entreprises qui utilisent des monnaies numériques sont, dans bien des cas, tenues de s’inscrire auprès du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) en tant qu’entreprise de services monétaires.
  • Mettre sur pied un programme de conformité : Pour se préparer aux activités de surveillance des organismes de réglementation, les entreprises doivent mettre en œuvre des mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et de connaissance du client, nommer un responsable de la conformité, former adéquatement leur personnel, effectuer des audits réguliers et mettre à jour leurs politiques. 

Le Canada lance un appel au changement

Les modifications apportées partout dans le monde à la réglementation des cryptomonnaies stables soulignent à quel point la monnaie virtuelle n’est désormais plus un actif marginal, mais un outil financier couramment utilisé. Aussi l’activité liée aux cryptomonnaies stables commence-t-elle à prendre forme au Canada.

Par exemple, en décembre 2024, Circle Internet Financial, LLC (« Circle ») est devenue le premier émetteur de cryptomonnaies stables à déposer un engagement auprès des ACVM, conformément à l’Avis 21-333 du personnel des ACVM, visant à permettre aux plateformes canadiennes de négociation de cryptoactifs d’émettre la cryptomonnaie stable USDC. Dans son engagement, Circle a affirmé que le jeton USDC n’est pas considéré comme une valeur mobilière ni un instrument dérivé dans d’autres territoires de compétence internationaux. Circle a plutôt affirmé que le jeton USDC est considéré comme une monnaie virtuelle, une monnaie électronique, un instrument de paiement, une valeur enregistrée ou une marchandise.

La lenteur de la mise en place d’une réglementation des cryptomonnaies stables au Canada suscite de plus en plus d’inquiétudes parmi les dirigeants du secteur. Par exemple, Lucas Matheson, chef de la direction de Coinbase Canada, a publiquement exhorté le gouvernement fédéral à moderniser le cadre financier du Canada en[1] :

  1. définissant clairement les cryptomonnaies stables comme des instruments de paiement plutôt que comme des valeurs mobilières;
  2. soutenant la création d’une cryptomonnaie stable canadienne, comme le QCAD;
  3. mettant en place des normes strictes en matière d’audit, de réserves et de protection des consommateurs; et
  4. facilitant l’interopérabilité entre les cryptomonnaies stables et le système bancaire traditionnel.

En l’absence de directives claires du fédéral, certaines organisations, comme le Canadian Blockchain Consortium, ont mis en place des cadres volontaires. Ces initiatives s’appuient sur des principes de réglementation harmonisés à l’échelle mondiale et donnent un aperçu des exigences que les entreprises canadiennes pourraient bientôt être tenues de remplir si le gouvernement adopte des normes similaires.

À l’heure où les marchés mondiaux s’affairent de plus en plus à moderniser les systèmes de paiement traditionnels, la transformation du secteur des actifs numériques n’est désormais plus une option, mais un impératif. En obtenant de judicieux conseils juridiques, votre entreprise peut faire en sorte que sa préparation à la réglementation lui procure un avantage concurrentiel. 

Les avocats de Miller Thomson spécialisés dans les technologies, la propriété intellectuelle et la protection de la vie privée ont une vaste expertise dans les domaines des valeurs mobilières, de la propriété intellectuelle, du droit des sociétés et du droit fiscal dans le contexte des cryptomonnaies et de la chaîne de blocs. N’hésitez pas à communiquer avec un membre de l’équipe si vous avez des questions.


[1] https://betakit.com/canadas-digital-sovereignty-why-we-cant-ignore-stablecoins/