Une société résidant au Canada peut envisager de déménager son lieu de résidence dans un autre ressort pour diverses raisons – accéder à d’autres marchés, recourir à l’arbitrage fiscal ou atténuer les conséquences des droits de douane. En vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi »), cependant, l’émigration d’une société peut avoir d’importantes conséquences fiscales, notamment une disposition réputée de ses actifs et l’imposition de frais de sortie potentiels.
Dans le contexte de l’incertitude engendrée par les droits de douane et les tensions accrues exercées sur la concurrence transfrontalière, le présent article met en lumière les principaux risques, règles et occasions de planification que les sociétés canadiennes devraient comprendre avant d’entreprendre une telle démarche.
Émigration d’une société à partir du Canada : scénarios différents, règles différentes
Les conséquences fiscales et juridiques de l’émigration d’une société varient d’une situation à l’autre. Elles dépendent du statut, de la structure et des objectifs de la société. Dans la pratique, chaque situation nécessite une approche qui lui est propre. Nous vous présentons ci-dessous les principaux scénarios possibles et les actions qu’ils requièrent généralement.
1. Sociétés constituées à l’extérieur du Canada
Une société constituée à l’étranger, mais résidant au Canada en vertu de la common law du fait que son siège de direction et de contrôle est situé au Canada, peut émigrer simplement en déménageant son siège de direction et de contrôle dans un autre ressort. Cependant, si la société a été constituée au Canada après le 26 avril 1965, l’émigration requiert également sa prorogation en vertu de la loi sur les sociétés de l’autre ressort (paragraphe 250(5.1) de la Loi. La société prorogée sera réputée avoir été constituée dans cet autre ressort au moment de la prorogation. Il faut également prendre en considération les règles décisives existantes en vertu de tout traité fiscal applicable.
2. Cessation de résidence au Canada
Lorsqu’une société cesse de résider au Canada, elle est réputée, en vertu du paragraphe 128.1(4) de la Loi, avoir disposé de ses biens et les avoir acquis de nouveau à leur juste valeur marchande. Par suite de la disposition présumée, la société réalise les gains ou les pertes en capital inhérents. De plus, l’article 219.1 de la Loi impose à la société émigrante un impôt égal à 25 % de l’excédent de la juste valeur marchande totale des biens de la société sur le total du capital versé au titre de ses actions et de toutes ses dettes impayées. Le taux de 25 % peut être abaissé au taux d’imposition des dividendes stipulé dans le traité fiscal conclu entre le Canada et le ressort de destination. Cependant, le taux réduit ne s’applique pas si l’un des principaux motifs de l’émigration était de réduire l’impôt en vertu de la partie I ou de la partie XIII (article 219.1) de la Loi.
3. Conséquences pour les actionnaires
Lorsqu’une société émigre, ses actionnaires ne sont généralement pas réputés avoir disposé de leurs actions de la société émigrante. Par conséquent, les actionnaires ne devraient pas réaliser un gain ou une perte (voir, à titre d’exemple, la décision de l’ARC 2005-0147131R3 – Prorogation – sous-section i). Par ailleurs, la prorogation ne devrait avoir aucune incidence sur le prix de base rajusté (« PBR ») des actions qu’un actionnaire résidant au Canada détient dans la société émigrante (voir, à titre d’exemple, l’émigration de TPCO Holdings Corp.)
4. Transactions de fusion-acquisition : utiliser la majoration prévue à l’alinéa 88(1)(d)
Lors d’une transaction de fusion-acquisition, il peut être possible de réduire les gains en capital réalisés sur la prorogation grâce à la majoration du coût fiscal permise à l’alinéa 88(1)(d) de la Loi. Pour assurer l’efficacité de ce type de planification, les gains en capital latents doivent être associés à des biens non amortissables, tels que des terrains ou des actions, et les règles qui empêchent la majoration ne doivent pas s’appliquer.
Dans ces situations :
- une société mère non résidente constitue une société d’acquisition canadienne (« Acquisico »);
- Acquisico achète toutes les actions de la société cible canadienne (« Cible »);
- Cible et Acquisico fusionnent, et le coût fiscal des biens détenus par Cible est majoré du montant maximal prévu à l’alinéa 88(1)(d) de la Loi (généralement, la JVM); et
- la société issue de la fusion est prorogée dans un autre ressort (comme l’indique le document de l’ARC no 2016-0643931R3, 2017).
La majoration devrait réduire l’impôt résultant de la disposition réputée par la société émigrante occasionnée par le paragraphe 128.1(4). Les vendeurs ont un impôt à payer à la suite de la disposition des actions de Cible à Acquisico.
5. Autres structures : la fusion-absorption
La fusion-absorption est une autre technique de planification à considérer.
À titre d’exemple :
- la société cherchant à émigrer (« Canco ») constitue une nouvelle société non résidente (« NRco »);
- NRco acquiert les actions de Canco auprès des actionnaires de Canco en contrepartie d’actions de NRco; et
- Canco se fait racheter ses actions de NRco pour une valeur nominale.
Même si ce plan ne devrait entraîner aucun impôt d’émigration pour Canco ou NRco, l’échange d’actions constitue une transaction imposable pour les actionnaires qui résident au Canada. Cependant, à moins que les actions de Canco ne constituent des biens canadiens imposables, les actionnaires non résidents de Canco ne devraient pas être imposés au Canada lors de l’échange d’actions (voir, à titre d’exemple, Maxar Technologies Ltd).
La réussite de cette planification dépend des attributs fiscaux de la société et de l’application potentielle des règles sur les opérations de transfert de sociétés étrangères affiliées. Contrairement à ce qui se passe dans le cas d’une prorogation, Canco continuera d’être assujettie à l’impôt canadien sur ses revenus, puisqu’elle continuera d’être une résidente canadienne.
D’autres techniques peuvent être envisagées pour planifier les conséquences fiscales de l’émigration. L’une des possibilités est de procéder à une réorganisation préalable à la prorogation afin d’utiliser les soldes des comptes de dividendes en capital, le revenu protégé, les pertes autres qu’en capital ou les dettes, dans chaque cas en tenant compte de la situation particulière de la société.
Étant donné que l’émigration d’une société peut donner lieu à un impôt de sortie élevé et nécessite une application judicieuse des règles canadiennes et internationales, une bonne planification est de mise. Si votre entreprise envisage de déménager à l’étranger ou si une transaction future est susceptible de comprendre une émigration, communiquez avec un membre du groupe Fiscalité des entreprises de Miller Thomson pour élaborer une stratégie bien adaptée.