La titrisation dans l’industrie de la musique – un modèle innovateur de financement des catalogues de musique

30 mai 2023 | P. Jason Kroft, Jonathan F. Dyck, Margaret Shodeinde

La titrisation des redevances musicales a suscité un intérêt accru à la fin des années 1990 et au début des années 2000, alors que David Bowie devenait célèbre dans le monde de la finance après avoir conclu en 1997 une entente d’une valeur de 55 millions de dollars comportant la première titrisation de créances adossées aux redevances qu’il devait toucher dans les années à venir sur ses chansons et à d’autres droits de propriété intellectuelle. Depuis, d’autres musiciens célèbres représentant divers genres musicaux, dont Rod Stewart et Iron Maiden, ont emboîté le pas en titrisant leurs flux de redevances respectifs.

Dans l’industrie de la musique, la titrisation adossée à des redevances consiste à titriser les flux de trésorerie générés par les droits d’auteur liés à un catalogue de chansons. Le bloc d’actifs à titriser peut inclure un « faisceau de droits » détenus par l’artiste relativement à ce catalogue, y compris les redevances d’édition et les revenus tirés de la vente d’albums et de marchandises.

À l’instar d’autres opérations financières structurées, le droit de toucher des redevances et des revenus de licence est vendu par l’initiateur à une structure d’accueil jouissant d’une réelle autonomie patrimoniale pour la période couverte par l’émission. Il est essentiel de veiller à ce que l’opération en question constitue une « véritable » situation de vente à la structure d’accueil pour s’assurer qu’en cas de faillite de l’initiateur, l’actif (c.-à-d. le catalogue de musique) ne fera pas partie du gage commun des créanciers[1]. En outre, la structure d’accueil doit consentir une sûreté opposable de premier rang sur son actif – lequel est constitué du catalogue de musique titrisé et d’autres actifs connexes – en faveur des détenteurs de titres adossés à des redevances.

Propriété de la musique

La question de savoir qui détient les droits sur la musique et le catalogue de chansons connexe et qui peut céder un intérêt dans les droits sur cette musique est une question centrale en matière de titrisation de la musique. La propriété de la musique revêt la forme d’un « faisceau de droits » qui peut être exploité de différentes façons par différentes personnes. Par conséquent, l’existence de droits et intérêts de propriété concurrents sur des œuvres musicales peut compliquer les opérations de titrisation dans l’industrie de la musique.

En vertu de la Loi sur le droit d’auteur du Canada, les producteurs d’enregistrements sonores ont un droit d’auteur sur leurs enregistrements sonores[2]. Habituellement, les maisons de disques concluent avec les artistes des contrats d’enregistrement qui reconnaissent que la maison de disques est la propriétaire du catalogue de musique de l’artiste. Ces mêmes contrats – avec la reconnaissance correspondante de la propriété des droits d’auteur – peuvent être conclus ou proposés aux producteurs de musique, ingénieurs du son, musiciens d’accompagnement et autres artistes afin de conserver ou de reconnaître la propriété des droits d’auteur sur l’œuvre musicale. Toutefois, si l’une des personnes susmentionnées – et non l’auteur-compositeur ou l’auteur de l’œuvre musicale – conserve un droit de propriété sur sa partie du catalogue de musique, la titrisation de ces œuvres musicales par cet auteur-compositeur ou cet auteur de musique devient risquée et/ou intenable.

Par conséquent, les bailleurs de fonds et les investisseurs qui participent à des opérations de titrisation adossée à des redevances doivent s’assurer que la personne qui se présente comme étant « l’initiateur » d’un catalogue musical particulier possède effectivement tous les droits d’auteur requis, garantissant ainsi le droit de toucher l’ensemble des redevances payables au titre d’un catalogue de musique spécifique. En outre, pour que la titrisation d’un catalogue de musique soit efficace, le droit légal d’exploitation du droit d’auteur ne doit pas prendre fin par application de la loi pertinente ou des modalités d’une entente contractuelle avant l’échéance de l’opération de titrisation et des instruments émis dans le cadre de celle-ci.

Les obligations Bowie

Comme nous l’avons indiqué plus tôt, David Bowie est l’un des premiers artistes à avoir tiré profit de la titrisation de son catalogue de musique. Puisque le catalogue de chansons de Bowie était consommé régulièrement, générant ainsi un flux de revenus réguliers, durables et prévisibles, il semblait répondre à tous les critères d’un actif mûr pour la titrisation. Dans le cas de l’opération relative au catalogue de Bowie, les titres adossés à des redevances, émis sous forme d’obligations, avaient été notés triple A par l’agence de dotation Moody’s et promettaient un rendement annuel de 7,9 % pendant 10 ans. Les actifs sous-jacents en question étaient les redevances que David Bowie devait toucher dans les années à venir sur son catalogue des 287 chansons (réparties sur 25 albums) qu’il avait écrites et enregistrées avant 1990. Il s’agissait donc d’un flux de trésorerie prévisible, dont l’historique remontait à trois décennies.

Ce qu’on peut retenir des caractéristiques de la musique de David Bowie en tant qu’opération de titrisation réussie, c’est que les « succès sans lendemain » seraient un mauvais choix pour la titrisation. Un catalogue ayant fait ses preuves en termes de popularité constante et positive sur plusieurs années est plus sûr en tant qu’actif à titriser qu’un catalogue de musique qui repose sur des succès sans lendemain.

Les opérations de titrisation de catalogues de musique ont grimpé en flèche au cours des dernières années, passant de 1,9 milliard de dollars en transactions annoncées pour 2020 à 5,3 milliards de dollars pour 2021[3]. En 2022, les conseillers en crédit de KKR ont mobilisé 732 millions de dollars en titres adossés à des crédits mobiliers garantis par des redevances d’édition et d’enregistrements sonores. Compte tenu de cette tendance, il ne serait pas surprenant de voir, dans les années à venir, de plus en plus de transactions créatives impliquant des titrisations en matière de propriété intellectuelle, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du secteur des redevances musicales.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec un des membres du groupe Financement structuré et titrisation de Miller Thomson.


[1] Nicole Chu, « Bowie Bonds: A key to Unlocking, the Wealth of Intellectual Property » (1998) Article 5 Hastings Communications and Entertainment Law Journal 469.

[2] Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, ch. C-42, par. 18(1).

[3] Anna Ncolaou et Kaye Wiggins, « How Wall Street stormed the music business » (13 septembre 2022) [en anglais seulement], accessible en ligne à l’adresse suivante : <https://www.ft.com/content/e879f856-3ec3-4bd7-b564-ada5b590e3ef>.

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