Dans la récente décision Avli BRC Developments Inc. v. BMP Construction Management Ltd., 2023 ABCA 147, la Cour d’appel de l’Alberta a confirmé la validité de privilèges inscrits par des sous-traitants, laquelle était contestée en raison d’irrégularités lors de l’enregistrement.

Contexte

Avli BRC Developments Inc. (« Avli ») confie à BMP Construction Management Ltd. (« BMP ») la construction d’un immeuble en copropriété sur un terrain qu’elle possède à Calgary. BMP engage ensuite des sous-traitants : Desa Glass, une division de Desa Holdings Ltd. (« Desa »), Rimrock Landscaping & Property Management Ltd. (« Rimrock »), Grant Metal Products Ltd. (« Grant ») et Shanahan’s GP Ltd. (« Shanahan’s ») (collectivement les « sous-traitants »).

Le 15 octobre 2019, pendant la construction du projet, Avli enregistre son plan de l’immeuble en copropriété (« Plan de copropriété »). Elle devient alors propriétaire de tous les logements et de toutes les parties communes plutôt que simple propriétaire du terrain. Après l’enregistrement du plan de copropriété, l’association de copropriétaires no 1912037 est créée, sans toutefois qu’Avli ne nomme un conseil d’administration provisoire conformément à l’article 101 de la Condominium Property Act, R.S.A. 2000, c. C -22.

En octobre et novembre 2019, alors qu’Avli n’a vendu aucun logement, les sous-traitants enregistrent des privilèges. Desa et Grant déposent leurs privilèges respectifs contre le plan de copropriété seulement, tandis que Shanahan’s et Rimrock déposent les leurs contre un seul logement. Or, ils auraient dû les déposer contre chaque logement et contre l’ajout, conformément à « l’approche standard » énoncée dans la Builders’ Lien Act de l’Alberta (BLA). En outre, le privilège de Grant désigne erronément l’association de copropriétaires comme propriétaire du terrain.

Contestation des privilèges par Avli

Avli conteste la validité des privilèges des sous-traitants en prétendant que l’article ci-dessous est inapplicable aux privilèges de Desa et Grant, enregistrés contre le plan de copropriété seulement, puisque les travaux n’ont pas été demandés par l’association de copropriétaires :

78. Builders’ Lien Act [traduction]

    • 78(1) Aux fins de la Builders’ Lien Act,
    • (b) si, à la demande d’une association,
    • (i) soit des travaux sont effectués à l’égard d’un logement, des parties communes ou les deux,
    • (ii) soit des matériaux sont fournis pour utilisation dans un logement, dans les parties communes ou les deux,
    • en faveur de l’immeuble en général, tout privilège créé par cette loi en raison des travaux ou de la fourniture grève le patrimoine des propriétaires de tous les logements et de l’intégralité des parties communes;

[traduction] 78(2) Si

    • (a) un privilège désigné à l’alinéa (1)b) est créé, et
    • (b) une déclaration de privilège est enregistrée contre le plan de copropriété,
    • cette déclaration de privilège, lors de son enregistrement contre le plan de copropriété,
    • (c) est réputée être enregistrée également contre le certificat de titre de chaque logement, et
    • (d) peut être exercée contre chaque logement et les parties communes comme si la déclaration de privilège avait été enregistrée expressément contre le patrimoine de chaque copropriétaire et la quote-part des parties communes appartenant à chaque copropriétaire.

Avli allègue que les privilèges de Desa et Grant sont invalides puisque les travaux sur le projet ont été effectués non pas à la demande de l’association de copropriétaires, mais à la demande d’Avli. L’entreprise conteste le privilège de Grant pour un deuxième motif : l’association de copropriétaires est désignée comme propriétaire du terrain plutôt qu’Avli.

Enfin, Avli conteste les privilèges de Rimrock et Shanahan’s puisqu’ils sont enregistrés contre un logement chacun; ainsi, ces deux sous-traitants devraient recevoir uniquement une fraction du montant demandé.

Décision en appel

La Cour d’appel de l’Alberta rejette l’appel d’Avli et confirme la décision du juge de première instance validant les privilèges des sous-traitants. Elle invoque une disposition protectrice, l’article 37 de la BLA :

[traduction] 37(1) La conformité substantielle à l’article 34 suffit; une contravention aux exigences de l’article 34 n’emporte pas l’invalidité du privilège à moins que, de l’avis de la Cour, cette contravention ne cause un préjudice au propriétaire, à l’entrepreneur, au sous-traitant, au créancier hypothécaire ou à une autre personne.

  • (2) Si, de l’avis de la Cour, une personne subit un préjudice en raison de la contravention à l’article 34, le privilège est invalidé uniquement dans la mesure où la contravention cause un préjudice à cette personne.
  • (3) Le présent article n’élimine aucunement l’obligation d’enregistrer le privilège.

La Cour d’appel conclut que la validation des privilèges n’entraîne aucun préjudice. Dans son analyse du préjudice, la Cour s’est demandée [traduction] « si quelqu’un avait été trompé et amené à agir d’une façon qui lui était préjudiciable ». Étant donné qu’aucun logement n’avait été vendu, que l’association de copropriétaires n’avait aucun conseil d’administration lorsque les sous-traitants ont enregistré leurs privilèges, et qu’Avli conservait la propriété de tous les logements et le contrôle du projet, la Cour considère que la validation des privilèges des sous?traitants ne cause aucun préjudice. Elle conclut également que ces privilèges sont substantiellement conformes aux exigences techniques de validité. C’est pourquoi elle juge que les privilèges des sous-traitants sont valides et donne raison au juge de première instance sur cet aspect.

L’aspect le plus controversé des décisions des tribunaux inférieurs, l’adoption de contrats préconstitutifs, n’a cependant été ni examiné ni confirmé par la Cour d’appel. Dans la décision de première instance[1], le juge A.R. Robertson avait conclu que l’association de copropriétaires avait forcément adopté le contrat préconstitutif entre Avli et l’entrepreneur général et que celle-ci était réputée avoir ratifié la demande de travaux d’Avli, devenue un contrat postconstitutif. Cet aspect de la décision du juge, confirmé par la Cour du Banc du Roi, n’a pas été traité par la Cour d’appel.

À retenir

Lorsqu’ils effectuent des travaux sur un nouvel immeuble en copropriété, ou à la demande d’une association de copropriétaires, les entrepreneurs et les sous-traitants qui veulent enregistrer un privilège doivent suivre « l’approche standard » décrite par la Cour d’appel dans Avli. Ainsi, malgré les désagréments associés à ces démarches, la Cour considère que les créanciers privilégiés doivent enregistrer leurs privilèges contre les certificats de titre de tous les logements et le cas échéant contre l’ajout au plan de copropriété.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à communiquer avec un des membres du groupe Litige | Construction de Miller Thomson.


[1] 2021 ABQB 412