Détenteurs d’hypothèques légales : gare aux délais de prescription

( Available in French only )

October 1, 2020 | Tania L. Pinheiro

Journal Constructo – 25 septembre 2020

Les interactions entre les nombreuses règles de prescription civiles, c’est-à-dire les délais pour intenter un recours, peuvent s’avérer compliquées. Le 15 juillet dernier, la Cour d’appel rendait un jugement visant l’application de ces règles dans le cadre d’un recours en exécution d’une hypothèque légale de la construction dans l’affaire Immeubles Prime inc. c. Patrick Morin inc. [1]. Elle en venait à la conclusion que, dans les circonstances particulières de cette affaire, le fournisseur de matériaux Patrick Morin inc. bénéficiait de 10 ans pour intenter son recours hypothécaire.

Les faits

Dans le cadre d’un projet de construction et de rénovation d’un immeuble appartenant à Immeubles Prime inc. (« Prime »), Patrick Morin inc. (« Patrick Morin ») a fourni des matériaux à un entrepreneur en construction, 6642641 Canada inc. (« 664 »). Or, 664 néglige de respecter les modalités de paiement prévues à l’entente et de payer les factures s’échelonnant du 13 novembre 2012 au 13 mars 2013.

En avril 2013, dans l’objectif de sécuriser sa créance, Patrick Morin fait inscrire une hypothèque légale de la construction sur l’immeuble de Prime et, en juillet 2013, il poursuit ses démarches en publiant un préavis d’exercice d’un recours hypothécaire.

Le 22 juillet 2015, toujours impayé, Patrick Morin intente une action sur compte à l’encontre de 664 et obtient gain de cause dans un jugement par défaut daté du 22 septembre 2015. Malgré ce jugement condamnant 664 à lui verser la somme de 55 185,23 $, Patrick Morin demeure impayé.

Le 10 mars 2016, soit près de 3 ans après l’émission de la quasi-totalité de ses factures, Patrick Morin intente, dans un ultime effort, un recours hypothécaire en délaissement forcé et pour vente sous contrôle de justice de l’immeuble détenu par Prime [2].

En défense, Prime invoque que le recours de Patrick Morin est prescrit quant aux factures émises avant le 13 mars 2013, puisque le délai de prescription de 3 ans est échu.

La décision de première instance

Le juge de première instance est d’avis que trois hypothèses peuvent être retenues quant à la prescription applicable au recours hypothécaire de Patrick Morin, mais que dans tous les cas, le recours hypothécaire intenté le 10 mars 2016 n’est pas prescrit :

  1. Le recours hypothécaire est assujetti au délai de prescription de 10 ans de l’article 2924 CcQ, soit le délai de prescription rattaché à un jugement;
  2. Le recours hypothécaire est assujetti au délai de prescription de 3 ans attaché à la créance principale (art. 2925 CcQ);
  3. Le recours hypothécaire est assujetti au délai de 10 ans prévu à l’article 2923 CcQ, soit le délai de prescription qui s’applique aux actions visant à faire valoir un droit réel immobilier.

La décision en appel

Non sans mentionner la controverse à ce sujet [3], la Cour d’appel explique que pour déterminer si un recours hypothécaire est prescrit, il faut s’en remettre aux principes généraux de la prescription. En soi, le recours hypothécaire est assujetti à un délai de prescription de 10 ans, puisqu’il constitue une action visant à faire valoir un droit réel immobilier (art. 2923 CcQ).

Cela dit, le fait que l’hypothèque est un accessoire qui garantit le paiement d’une créance donne lieu à un autre motif d’extinction. En effet, le créancier doit aussi respecter le délai de prescription de la créance garantie par l’hypothèque. En ce sens, le délai de prescription de 3 ans de l’art. 2925 CcQ s’applique indirectement aux hypothèques.

Il y a ainsi deux délais de prescription à respecter :

  • Prescription de l’hypothèque. La prescription a commencé à courir le 28 novembre 2013, soit à la date d’échéance de la première facture impayée. Conséquemment, dans la mesure où la créance n’est pas prescrite, Patrick Morin avait jusqu’au 28 novembre 2023 pour intenter son recours hypothécaire. En effet, le délai de 10 ans court à compter du défaut initial du débiteur.
  • Prescription de la créance garantie par hypothèque. L’action sur compte du 22 juillet 2015 a été intentée dans les 3 ans de l’exigibilité des factures impayées. Mais encore, le recours a eu pour effet de suspendre le délai de prescription. Depuis le jugement, Patrick Morin dispose d’un délai de 10 ans pour le faire exécuter. En ce sens, sa créance demeure existante et susceptible de recouvrement auprès de l’entrepreneur jusqu’au 22 septembre 2025. La créance n’est donc pas prescrite.

La créance n’étant pas prescrite, le recours hypothécaire de Patrick Morin bénéficie de la période de prescription de 10 ans prévue à l’article 2923 CcQ à compter de l’omission initiale de 664, c’est-à-dire que le recours pouvait être intenté jusqu’au 28 novembre 2023. Le recours hypothécaire intenté le 10 mars 2016 n’est donc pas prescrit.

Conclusion

Comme l’illustre cette affaire, les interactions entre les diverses règles de prescription civiles peuvent s’avérer compliquées. Pour éviter toute ambiguïté et préserver leurs droits, les entrepreneurs et fournisseurs de matériaux qui bénéficient de droits hypothécaires devraient intenter leur recours le plus rapidement possible.

C’est avec plaisir que nous vous assisterons en ce sens.

[1] Immeubles Prime inc. c. Patrick Morin inc., 2020 QCCA 929.

[2] En fait, le recours est intenté à l’encontre de l’ancien propriétaire de l’immeuble, mais après l’acquisition de l’immeuble par Prime, celle-ci reprend l’instance.

[3] Nous invitons le lecteur à consulter l’arrêt Young c. Banque Toronto-Dominion, 2018 QCCA 810, récemment confirmé par la Cour Suprême (2020 CSC 15).

Cet article est paru dans l’édition du 25 septembre 2020 du journal Constructo.

Disclaimer

This publication is provided as an information service and may include items reported from other sources. We do not warrant its accuracy. This information is not meant as legal opinion or advice.

Miller Thomson LLP uses your contact information to send you information electronically on legal topics, seminars, and firm events that may be of interest to you. If you have any questions about our information practices or obligations under Canada’s anti-spam laws, please contact us at privacy@millerthomson.com.

© Miller Thomson LLP. This publication may be reproduced and distributed in its entirety provided no alterations are made to the form or content. Any other form of reproduction or distribution requires the prior written consent of Miller Thomson LLP which may be requested by contacting newsletters@millerthomson.com.