Le gel successoral : bien comprendre ce que cela signifie et savoir comment y avoir recours?

octobre 26, 2022 | Abbie Treslan

Lorsqu’une personne de nationalité canadienne possède des actions dans une société privée, elle peut envisager le recours au « gel successoral » pour « geler » ou « bloquer » la valeur de ses actions.

Pourquoi avoir recours à ce mécanisme? Comme expliqué ci-dessous, le gel successoral peut être une stratégie efficace de planification fiscale et de planification de la succession pour une entreprise. Lorsqu’il est bien fait, le gel de la valeur des actions peut aider le propriétaire exploitant de toute entreprise canadienne à limiter l’impôt sur le revenu à payer sur le gain en capital futur de ses actions. Le gel successoral peut permettre de réduire les frais d’homologation provinciaux que le propriétaire-exploitant de l’entreprise serait autrement tenu de payer sur ses actions à son décès. D’ailleurs, le gel successoral peut constituer un moyen fiscalement avantageux pour le propriétaire de l’entreprise au moment du transfert du contrôle de celle-ci à la génération suivante.

Que se passe-t-il lors d’un gel de succession? Il est possible d’effectuer un gel successoral de diverses façons. Le plus souvent, la personne qui possède des actions ordinaires d’une société privée (que j’appellerai l’« auteur du gel ») échange ces actions contre des actions privilégiées dont la valeur fixe est égale à la juste valeur marchande des actions ordinaires à ce moment-là. En même temps que l’« auteur du gel » échange ses actions, la société émet des actions ordinaires à un ou plusieurs nouveaux actionnaires choisis par l’auteur du gel, par exemple ses enfants, des membres de sa famille, des employés clés de l’entreprise ou même une fiducie familiale.

Grâce à ces étapes, la valeur de la société au moment du gel devient fixe ou « gelée », et cette valeur fixe est reflétée dans les actions privilégiées que l’auteur du gel détient à la fin du processus. Au fur et à mesure que la valeur de l’entreprise augmente, cette croissance se répercute sur les nouvelles actions ordinaires désormais détenues par les enfants, les membres de la famille, les employés clés ou la fiducie familiale de l’auteur du gel. Toutefois, les actions privilégiées de l’auteur du gel demeurent « gelées » et leur valeur n’augmente pas contrairement à celle de l’entreprise.

Quels sont les avantages d’un gel successoral?

Les auteurs d’un gel successoral et leurs bénéficiaires bénéficient de nombreux avantages. Nous avons présenté ci-dessous cinq avantages fiscaux et non fiscaux.

Report des gains en capital

Le gel successoral est fréquemment utilisé lorsqu’il y a lieu de s’attendre à ce que la valeur de la société continue de croître, ce qui entraînera des gains en capital pour le propriétaire des actions, et lorsqu’un successeur clair ou une prochaine génération de propriétaires sont prêts à prendre la relève de la société. Afin d’éviter de déclencher un impôt important sur les gains en capital au décès de l’auteur du gel, ce qui se produit en raison de la disposition réputée de tous les biens en capital au décès en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’auteur du gel peut limiter le gain en capital accumulé sur les actions et transférer les gains en capital aux bénéficiaires désignés de l’auteur du gel sans déclencher de conséquences fiscales immédiates en ayant recours au gel successoral. Outre le report de l’impôt sur les gains en capital, ce gel permet à l’auteur du gel de calculer l’impôt à payer au moment de la disposition réputée au décès, de plafonner cet impôt et d’envisager des stratégies pour le payer de leur vivant ou à leur décès.

De plus, si le gel successoral est structuré de manière à ce que toute augmentation de la valeur des actions ordinaires revienne aux nouvelles actions ordinaires détenues par les enfants, les membres de la famille, les employés clés ou la fiducie familiale de l’auteur du gel, un report de l’obligation fiscale associée à cette augmentation de valeur aura lieu jusqu’à ce que le nouvel actionnaire dispose des actions ou décède, selon la première de ces deux éventualités. En règle générale, selon les montants en jeu, ce report d’impôt peut se traduire par un avantage substantiel pour la génération suivante.

Utilisation de l’exonération à vie des gains en capital

En plus d’éviter à l’auteur du gel d’avoir à verser de l’impôt sur certains gains en capital, un allégement fiscal important est prévu sur les plus-values réalisées lors de la cession de certaines actions privées qualifiées de « petites entreprises admissibles ». Les particuliers qui disposent de ces actions peuvent se prévaloir de l’exonération cumulative des gains en capital. Lorsque le gel successoral est terminé, l’auteur du gel les nouveaux actionnaires peuvent bénéficier de leur vivant de l’exonération cumulative des gains en capital lorsqu’ils disposent des actions.

Fractionnement du revenu

En structurant le gel successoral de manière à ce que les enfants ou les membres de la famille de l’auteur du gel détiennent les actions ordinaires nouvellement émises, toute la famille peut utiliser des stratégies de fractionnement du revenu à son avantage. Par exemple, certains paiements de dividendes peuvent être versés à la catégorie de nouvelles actions ordinaires détenues par les membres de la génération suivante, car ils se situent souvent dans une tranche d’imposition inférieure et sont donc imposés à un taux inférieur à celui de l’auteur du gel. Toutefois, la possibilité de fractionner le revenu demeure assujettie à plusieurs règles d’attribution de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) à examiner avec soin lors d’un gel successoral.

Réduction des frais d’homologation

Chaque province impose des frais d’homologation différents qui s’appliquent lorsqu’un exécuteur testamentaire ou un administrateur éventuel présente une demande d’homologation. L’homologation est le processus par lequel doit passer l’exécuteur testamentaire désigné dans un testament ou l’administrateur potentiel d’une succession pour obtenir l’approbation du tribunal pour agir au nom d’une succession. Dans le cadre du processus d’homologation, le tribunal provincial prélève généralement des frais d’homologation calculés sur la juste valeur marchande des biens du défunt à la date du décès. Certaines provinces, comme la Colombie-Britannique, l’Ontario et la Saskatchewan, ont les frais d’homologation les plus élevés au pays, et les particuliers essaient souvent de trouver des moyens, de leur vivant, d’éviter ou de réduire ces frais (en revanche, d’autres provinces, comme l’Alberta, ont plafonné les frais d’homologation à un montant peu élevé). Par conséquent, selon le lieu de résidence de l’auteur du gel, il peut être conseillé à ce dernier de demander à la société de racheter ses actions privilégiées de son vivant, d’utiliser plusieurs testaments ou de transférer ses actions privilégiées à une fiducie en faveur d’un alter ego ou d’un partenaire conjoint. Toutes ces stratégies peuvent aider l’auteur du gel à réduire ou même à éviter les frais d’homologation que sa succession pourrait autrement être tenue de payer.

Protection du patrimoine familial

Un gel successoral permet au propriétaire-exploitant d’une entreprise de transmettre la propriété et le contrôle d’un actif familial essentiel – l’entreprise familiale – à la génération suivante. Toutefois, si les enfants sont trop jeunes ou si la propriété directe des actions familiales risque de provoquer des conflits familiaux, les propriétaires d’entreprise peuvent créer une fiducie familiale qui sera le propriétaire des nouvelles actions. L’auteur du gel peut établir et structurer la fiducie de façon à ce que les enfants ou les petits-enfants en soient les bénéficiaires, mais qu’il en garde le contrôle en tant que fiduciaire ou protecteur. Lorsque la génération suivante est prête à prendre le contrôle de l’entreprise ou lorsque l’auteur du gel est prêt à passer le flambeau, la fiducie peut alors se charger de distribuer les actions ordinaires aux successeurs éventuels de l’entreprise.

Points à considérer relativement au gel successoral

La mise en œuvre d’un gel successoral a ses avantages, mais cet outil peut aussi être très complexe. Même si un gel successoral peut être très utile dans certaines situations, il n’est pas approprié dans toutes les circonstances. Les personnes qui procèdent à un gel successoral doivent être conscientes de certaines préoccupations et considérations lorsqu’elles évaluent si un gel successoral leur convient ou s’il est indiqué dans leur situation.

Choisir le moment d’un gel successoral

Le meilleur moment pour procéder à un gel successoral dépend de nombreux facteurs, notamment de la situation personnelle et financière de l’auteur du gel et des membres de sa famille et la nature des activités de l’entreprise. L’auteur du gel doit également se demander si la valeur de l’entreprise est suffisante pour lui permettre de prendre sa retraite avec une grande indépendance financière. Si le gel successoral est effectué trop tôt dans la vie de l’auteur du gel, il se peut que la valeur de la société ne soit pas suffisante pour lui permettre de vivre confortablement après sa retraite. Il est possible de « dégeler » les actions et de « regeler » la société à une date ultérieure pour aider l’auteur du gel en cas de besoin. Toutefois, l’auteur du gel doit examiner attentivement toutes les répercussions fiscales d’une telle démarche et il aura également besoin de la coopération des autres actionnaires.

Évaluation des actions

En plus d’envisager le moment du gel successoral, l’auteur du gel doit obtenir une évaluation exacte de ses actions. L’évaluation exacte est essentielle pour que le gel successoral soit un succès, pour calculer l’obligation fiscale future de l’auteur du gel et pour éviter des problèmes fiscaux inutiles. Par exemple, si l’évaluation de la valeur des actions à geler est en deçà de leur juste valeur marchande, l’auteur du gel pourrait être tenu de réaliser un gain en capital égal à la différence entre la juste valeur marchande des actions et leur montant sous-évalué. Par contre, si les actions sont évaluées à un prix trop élevé, l’auteur du gel peut recevoir un avantage imposable. L’évaluation précise des actions de l’auteur du gel doit être effectuée le plus près possible de la date du gel pour que le gel successoral soit correctement mis en place.

Enjeux liés à l’inflation

Même si le gel successoral permet d’immobiliser la valeur des actions de l’auteur du gel, le marché n’est pas gelé pour autant. L’inflation peut réduire la valeur des actions privilégiées de l’auteur du gel et pourrait potentiellement compromettre les dispositions de retraite de l’auteur du gel. Par conséquent, il est important d’évaluer comment l’inflation récente et l’inflation future potentielle du marché sont susceptibles d’avoir une incidence sur le gel successoral. L’auteur du gel a à sa disposition des outils pour atténuer l’incidence de l’inflation, notamment le gel successoral partiel dans le cadre duquel la société émet certains des nouveaux titres de croissance au profit de l’auteur du gel afin de lui donner plus de flexibilité et de lui permettre de continuer à participer en partie à la croissance future de la société. Toutefois, cette stratégie ne convient pas forcément à toutes les situations.

Traitement de la règle de disposition présumée après 21 ans pour les fiducies

Si l’auteur du gel souhaite transmettre son entreprise à ses enfants, mais que ceux-ci sont actuellement trop jeunes pour participer activement à l’entreprise, il peut envisager de créer une fiducie familiale et demander à la société d’émettre les nouveaux titres de croissance au profit de la fiducie familiale. Lorsque les enfants atteignent l’âge de la majorité, ou lorsque l’auteur du gel décide que les enfants devraient s’impliquer plus activement dans l’entreprise, la fiducie peut alors distribuer les actions à un ou plusieurs enfants à ce moment-là.

Lors de la création d’une fiducie, l’auteur du gel doit tenir compte de la règle des 21 ans au Canada. Pour éviter le report indéfini des gains en capital accumulés dans une fiducie, celle-ci est réputée avoir disposé de ses actifs tous les 21 ans à des fins fiscales. À ce titre, la fiducie est tenue de déclarer tous les gains et pertes accumulés dans sa déclaration de revenus comme si elle avait effectivement vendu les actifs à leur juste valeur marchande. Tous les gains réalisés à la suite de cette disposition présumée sont imposés dans la fiducie au taux marginal d’imposition le plus élevé de la province de résidence de la fiducie. Malheureusement, ces gains ne peuvent pas être attribués à un bénéficiaire pour un impôt à son nom. Même si la fiducie est réputée disposer de tous ses actifs et payer l’impôt sur le gain en capital qui en résulte tous les 21 ans, elle n’est pas dissoute ni liquidée. Au contraire, une fois qu’elle a payé l’impôt, la fiducie continue à fonctionner comme avant.

Lorsqu’il utilise une fiducie dans le cadre d’un gel successoral, l’auteur du gel devra tenir compte du moment du gel. Si la fiducie a l’intention de détenir les nouveaux titres de croissance pendant plus de 21 ans, l’auteur du gel doit prévoir activement des moyens de réduire l’incidence de la disposition présumée après 21 ans, ou même de l’éviter.

Exercice d’un contrôle

Même si l’objectif de l’auteur du gel consiste à geler ses obligations fiscales à son décès, et à transférer la croissance future des actifs de la société aux membres de sa famille, il pourrait souhaiter conserver le contrôle de la société. Pour cela, il peut demander à la société de lui émettre des actions privilégiées dotées de droits de vote spéciaux. Les membres de la famille de l’auteur du gel peuvent également recevoir des titres de croissance assortis de droits de vote limités. Il est également possible de confier les titres de croissance à une fiducie familiale, plutôt qu’à des membres de la famille. En plaçant les nouvelles actions ordinaires dans une fiducie familiale, l’auteur du gel peut être en mesure de conserver un certain contrôle s’il est le seul fiduciaire ou l’un des fiduciaires de la fiducie. En tant que fiduciaire, l’auteur du gel a également la possibilité de déterminer quels bénéficiaires doivent recevoir le revenu de la fiducie chaque année et, en fin de compte, quels bénéficiaires doivent recevoir les titres de croissance à une date ultérieure.

Prise en compte des enjeux transfrontaliers

Si l’auteur du gel a des bénéficiaires qui sont des citoyens américains, des détenteurs de carte verte ou des résidents américains, il est possible qu’il ne souhaite pas procéder à un gel successoral. Dans ce cas, un gel successoral peut ne pas être une stratégie de planification fiscale efficace en raison des diverses conséquences fiscales potentiellement négatives associées au don d’actions à ces personnes, ainsi que des règles de fiducie qui affectent la planification des enjeux transfrontaliers.

Répercussions découlant d’une rupture dans la famille

Un gel successoral est optimal lorsque les relations entre l’auteur du gel et les membres de sa famille sont solides. Il arrive malheureusement que les membres d’une même famille ne parviennent pas à s’entendre. Un plan visant à transmettre l’entreprise familiale à la génération suivante peut se retourner contre le propriétaire exploitant si les nouveaux actionnaires, c’est-à-dire les enfants de l’auteur du gel ou les membres de sa famille, décident qu’ils ne veulent aucune participation dans la société ou s’ils s’éloignent de la famille. Les titres de croissance émis en faveur des enfants peuvent également être en danger si ces enfants divorcent ou ont des problèmes avec leurs créanciers. À moins que l’auteur du gel ne conçoive le gel successoral avec soin et ne prévoie des plans de secours, le gel successoral pourrait entraîner le transfert involontaire du contrôle à des enfants non coopératifs et/ou à leurs partenaires. L’auteur du gel peut atténuer certaines de ces préoccupations en attribuant comme il se doit les droits de vote ou en utilisant une fiducie familiale qui peut permettre à l’auteur du gel et aux successeurs choisis de continuer à déterminer qui devrait recevoir les titres de croissance de la société et en bénéficier.

Répercussions découlant d’une vente inattendue

Si les nouveaux actionnaires détiennent les titres de croissance de la société et ont des droits de vote, il est possible que ceux-ci vendent la société plus tôt que ce que l’auteur du gel aurait souhaité. L’auteur du gel peut atténuer une partie de ce risque en utilisant une fiducie familiale, avec différentes catégories de bénéficiaires, pour détenir les titres de croissance de la société.

Conclusion

Le gel successoral est un outil qui devrait toujours faire partie de la trousse à outils en matière de planification successorale et commerciale du propriétaire-exploitant canadien d’une entreprise, mais cette stratégie ne devrait pas toujours être utilisée. Si la situation permet le recours au gel successoral, celui-ci doit être adapté à la fois pour atteindre les objectifs spécifiques de l’auteur du gel et pour refléter sa situation personnelle et familiale.

Cet article donne un aperçu du gel successoral, de ses avantages, des enjeux potentiels qui s’y rattachent ainsi que des variantes proposées. Nous n’avons présenté que la pointe de l’iceberg. Pour obtenir des conseils sur la mise en œuvre d’un gel successoral ou vérifier si le gel successoral serait une stratégie indiquée pour votre entreprise, communiquez avec l’un des membres de notre groupe national de services aux particuliers.

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