Introduction
La décision récente de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») dans l’affaire Birhane v. Medhanie Alem Eritrean Orthodox Tewahdo Church(en anglais) (« Birhane ») montre à quel point il est important que les organisations respectent la procédure électorale prévue par la loi et par leurs documents constitutifs. Elle illustre aussi les attentes élevées envers les administrateurs d’organisations caritatives et sans but lucratif, qui doivent veiller à cette conformité.
Dans cette affaire, la Cour a jugé que les administrateurs avaient manqué à leurs responsabilités en ne tenant pas une assemblée générale annuelle (une « AGA ») ni d’élections pour les administrateurs comme l’exigeaient les lois et les règlements administratifs applicables. Elle leur a ordonné de se conformer à ces exigences.
Contexte
Commençons en résumant les principaux faits et points en litige. L’Église a été constituée en personne morale sous le régime de la Loi sur les personnes morales (la « LPM ») en 1997 et a reçu le statut d’organisme de bienfaisance en 2000. De 2000 à 2018, elle tenait une AGA chaque année et une élection d’administrateurs tous les trois ans. Toutefois, la dernière élection a eu lieu en 2016, et aucune AGA ni élection n’a été tenue en 2019. En juillet 2021, les membres de l’Église ont demandé la tenue d’une AGA et d’une élection. Les administrateurs n’ont pas donné suite à cette demande, même si leurs règlements administratifs les obligeaient à répondre dans un délai de 10 jours. Le président du conseil d’administration a finalement indiqué qu’une assemblée générale avait eu lieu en novembre 2019 et qu’il avait été décidé de proroger indéfiniment le mandat des administrateurs. La Cour a au contraire conclu que le mandat de trois ans n’avait pas été prorogé par un vote valide des membres de l’Église.
En novembre 2021, les administrateurs de l’Église ont annoncé la tenue d’une AGA et d’une élection en décembre, mais l’AGA a été annulée deux jours avant la date prévue. Les membres de l’Église (les « demandeurs ») ont présenté une demande en justice pour forcer les administrateurs (les « défendeurs ») à tenir une AGA et une élection d’administrateurs. La Cour a accueilli la demande. Les points soulevés par les défendeurs et l’analyse qu’en a faite la Cour sont résumés ci-dessous.
Analyse
Les demandeurs sont membres d’une association religieuse volontaire, et non de l’Église/l’organisation caritative constituée en personne morale; par conséquent, la Loi de 2010 sur les organisations sans but lucratif de l’Ontario (la « Loi de 2010 ») ne s’applique pas à l’Église
La Cour n’a pas retenu cet argument. Non seulement était-il inconsistant par rapport à la position antérieure des défendeurs, il n’était pas étayé par la preuve. L’organisation caritative était la seule entité exploitante manifeste, donc la Loi de 2010 s’appliquait. Cette loi, qui a remplacé la LPM, exige que les administrateurs tiennent une AGA dans les 15 mois qui suivent l’AGA précédente, et autorise le tribunal à réviser l’élection ou la nomination d’un administrateur et à rendre une ordonnance concernant l’AGA.
La Cour n’a pas compétence, car les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’un droit légal sous-jacent
Cet argument découlait de celui selon lequel les demandeurs étaient simplement membres d’une association volontaire, argument qui, rappelons-le, a été rejeté. La Cour a confirmé que les demandeurs avaient un droit légal en vertu de la Loi de 2010. Les défendeurs ont invoqué deux arrêts de la Cour suprême du Canada impliquant des associations religieuses volontaires qui concernent des différends sur l’adhésion ou des mesures disciplinaires. La Cour les a distingués du cas d’espèce.
Les défendeurs s’appuyaient sur l’arrêt Ethiopian Orthodox Tewahedo Church of Canada St. Mary Cathedral c. Aga, que nous avons analysé dans un précédent bulletin, et sur l’arrêt Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall. Dans les deux, la Cour suprême indique que le pouvoir des tribunaux d’intervenir dans une affaire concernant le respect par une association volontaire de ses propres procédures et l’équité de celles-ci dépend de l’existence d’un droit légal, par exemple un droit privé ou une cause d’action légale. La Cour a fait une distinction entre le cas d’espèce et ces deux arrêts. Dans l’affaire Birhane, on ne demandait pas à la Cour de réviser une décision sous l’angle de l’équité procédurale ni d’intervenir dans le retrait de membres ou la prise de mesures disciplinaires contre eux. Surtout, la demande vise une organisation ontarienne, et non une association volontaire, et la jurisprudence confirme qu’une mesure de redressement peut être imposée à une église constituée en personne morale au titre de ses statuts constitutifs.
Les demandeurs veulent une intervention judiciaire pour une question non justiciable
La demande porte sur la gouvernance d’entreprise d’une organisation caritative constituée en personne morale. Le fait que cette organisation ait une vocation religieuse ne rend pas l’affaire non justiciable. Une affaire est non justiciable si elle ne peut pas être tranchée à partir de principes de droit ou par une cour de justice. Certaines questions de gouvernance pourraient se rapporter à un dogme ou à un principe religieux, et ne devraient par conséquent pas être tranchées par une cour, mais ce n’était pas le cas en l’espèce. Il est intéressant de constater que la Cour a pris la peine de dire que le droit ontarien et le droit canadien l’emportent sur les lois religieuses de l’Église selon ses règlements administratifs.
Même si les demandeurs avaient établi des droits légaux et des demandes justiciables, ils n’ont pas tenté d’obtenir réparation autrement que par le processus judiciaire
La Cour a succinctement rejeté cet argument. Il partait de la prétention des défendeurs selon laquelle le litige était de nature religieuse, et la Cour n’a pas considéré que d’autres moyens devaient être employés avant d’intenter une procédure judiciaire. Qui plus est, les demandeurs ont maintes fois réclamé la tenue d’une AGA et d’une élection avant de s’adresser aux tribunaux.
Même si les demandeurs avaient établi des droits légaux et des demandes justiciables, les défendeurs ont satisfait à leurs responsabilités à titre d’administrateurs bénévoles de l’Église
Le fait que chacun des défendeurs exerce les fonctions d’administrateur bénévolement, comme c’est le cas dans la plupart des organisations caritatives, ne les libère pas des devoirs associés à ce rôle.
Conclusion
La décision Birhane n’a rien de surprenant. Elle montre que les administrateurs doivent être bien conscients des exigences des documents constitutifs de leur organisation et des lois applicables, et qu’ils doivent prendre soin de suivre les procédures imposées. S’ils ne le font pas, les tribunaux interviendront.
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