Dans de nombreuses transactions de financement structuré, l’objectif commercial des parties est d’effectuer une transaction qui donne lieu à un achat et à une cession réalisés entre un acheteur (la partie qui verse les fonds) et un vendeur (la partie qui apporte les sources de revenus provenant des actifs financiers). La question de savoir si la transaction commerciale qui vise une cession, plutôt qu’un prêt garanti, par exemple, est réellement une cession aux fins de la qualification juridique a des répercussions importantes sur le plan juridique, fiscal et comptable. Dans le cas d’une faillite ou d’une insolvabilité, il est primordial de déterminer si les actifs en question de l’initiateur des actifs font partie de la succession dudit initiateur ou s’il a été établi qu’ils ont été cédés à l’entité acheteuse dans le cadre d’une transaction hors bilan. La création d’une « cession réelle » légale peut avoir des répercussions sur le coût réel du financement et la disponibilité des engagements pour la transaction en question. Dans le présent article, nous souhaitons vous expliquer les principaux éléments d’une « cession réelle ».
L’existence d’une « cession réelle » par l’initiateur des actifs à l’acheteur (que cet acheteur soit une banque, un autre acteur financier ou une entité ad hoc créée aux fins de cette transaction) figure parmi les quelques éléments qui revêtent le plus d’importance pour les transactions de titrisation ou de financement structuré. Pour réaliser une transaction de titrisation, l’initiateur doit retirer (ou « décomptabiliser ») les actifs titrisés de la partie gauche de son bilan (c’est-à-dire la colonne crédit) et mobiliser des fonds garantis par ces actifs sans encourir de passif supplémentaire dans la partie droite (c’est-à-dire la colonne débit). Par conséquent, lors de la conclusion d’une transaction de titrisation, l’intervention d’un avocat est souvent sollicitée afin qu’il fournisse une opinion quant à la cession réelle. L’affaire BC Tel, dont il est question ci-dessous, est la principale affaire canadienne portant sur les aspects à prendre en considération dans un cas de cession réelle.
Metropolitan Toronto Police Widows and Orphans Fund c. Telus Communications Inc.
Les principes qui sous-tendent ce qui constitue une « cession réelle » en droit canadien sont issus d’une jurisprudence relativement rare. La principale source de jurisprudence canadienne exposant les critères permettant de définir ce qui constitue une « cession », ou plus précisément une « cession réelle », est la décision rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « CSJO ») dans l’affaire Metropolitan Toronto Police Widows and Orphans Fund c. Telus Communications Inc.[1] (« BC Tel »). Dans l’affaire BC Tel, l’action intentée devant la CSJO a fait suite au rachat par BC Tel des obligations de série AL adossées à des créances hypothécaires (les « obligations ») le 30 décembre 1997. Les obligations ont été rachetées au moyen de la somme reçue par BC Tel dans le cadre d’une transaction de titrisation de ses comptes débiteurs. La titrisation des comptes débiteurs de BC Tel a été effectuée par RAC Trust, une entité ad hoc parrainée par CIBC/Wood Gundy (« RAC »). Les demandeurs ont soutenu que l’utilisation de la somme provenant de la titrisation des comptes débiteurs pour racheter les obligations violait les conditions de la clause du contrat « interdisant les avantages financiers », en vertu de laquelle il n’était pas permis d’utiliser des « fonds empruntés » pour racheter les obligations. L’argument des demandeurs reposait sur la question de savoir si la transaction de titrisation entreprise par BC Tel et RAC devait être considérée comme un « prêt », plutôt que comme une « cession réelle », auquel cas la somme ainsi reçue constituerait des « fonds empruntés », ce qui violerait les conditions de la clause « interdisant les avantages financiers ».
Le juge Ground a consacré une grande partie de sa décision à l’enjeu susmentionné et à la question de savoir si la titrisation constituait effectivement ou non un emprunt direct par BC Tel. Il a cherché à déterminer s’il s’agissait d’une « cession réelle » ou d’un « prêt ». Dans sa décision, le juge Ground a conclu que : « Le rôle du tribunal est de déterminer la nature réelle de la transaction en tenant compte non seulement des intentions des parties à la lumière du libellé du contrat, mais aussi de la façon dont la transaction s’est déroulée dans les faits et de la conduite des parties dans l’exécution du contrat. »[2] Par conséquent, le juge Ground a déterminé que l’affaire à l’étude se voulait une « cession réelle » puisque, dans le contrat sous-jacent, le terme « cession » était employé pour faire référence à l’arrangement et que les parties, afin de mener à terme la transaction de titrisation, exigeaient que celle-ci soit considérée comme une « cession réelle »[3].
Le juge Ground a exposé les quatre principaux critères permettant de distinguer une « cession réelle » d’une transaction de « prêt » ou de « financement » :
- le transfert du risque de propriété et le niveau de recours;
- la capacité d’identifier les actifs vendus;
- la capacité de calculer le prix d’achat; et
- le fait que le rendement pour l’acheteur soit supérieur à l’investissement initial et que le rendement sur cet investissement puisse être calculé.
En plus des facteurs susmentionnés, les intentions des parties à la transaction, comme le montrent la matrice factuelle et le contexte de la transaction en particulier, ainsi que la forme de contrat utilisée par les parties à la transaction, peuvent aider la cour à déterminer si une transaction en particulier constitue une « cession réelle » ou une forme de « prêt » ou de « financement ».
De plus, outre les facteurs décrits ci-dessus, lors d’une cession de comptes débiteurs, comme ce fut le cas dans la transaction en question dans l’affaire BC Tel, d’autres facteurs sont pris en considération pour déterminer si une transaction constitue une « cession réelle », notamment :
- le droit de conserver l’excédent des recouvrements;
- le droit de rachat par le vendeur/cédant;
- la responsabilité de recouvrer les comptes créditeurs; et
- la capacité du vendeur/cédant à mettre fin aux droits de l’acheteur/du cessionnaire au moyen de sources autres que le recouvrement des comptes créditeurs.
Bien que la décision finale de la CSJO ait été infirmée par la Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO »), qui a établi que la titrisation constituait un « emprunt indirect », il est important de noter que la CAO n’a pas modifié le raisonnement du juge Ground concernant les éléments d’une « cession réelle ». Ainsi, les facteurs caractéristiques d’une « cession réelle », tels qu’ils ont été définis dans l’affaire BC Tel, ont été reconnus comme faisant autorité par les tribunaux subséquents.
Coutinho & Ferrostaal GmbH c. Tracomex (Canada) Ltd.
Les principes de « cession réelle » pris en compte dans l’affaire BC Tel ont été appliqués dans une autre décision, soit celle rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique (« CSCB ») dans l’affaire Coutinho & Ferrostaal GmbH c. Tracomex (Canada) Ltd. (« Coutinho »).[4] Dans l’affaire Coutinho, Trac Chile a acquis, auprès de C&F, un tronçon d’anciens chemins de fer destinés à la ferraille pour environ 1,2 million de dollars sur une base de paiement différé. Avant d’avoir effectué la totalité des versements dus à C&F relativement à son achat, Trac Chile a procédé à la « cession » des rails à un tiers, Imbamar, pour 462 494 $. Le contrat d’achat comprenait une option de rachat qui permettait à Trac Chile de racheter les rails après 180 jours pour 554 993 $, ce qui représentait une prime de 20 % sur le prix d’achat initial.
Bien que le terme « cession » ait été employé dans le contrat pour faire référence à l’arrangement, le juge Voith de la CSCB a conclu que tous les éléments d’un « financement » ou d’un « prêt » étaient apparents et que la nature véritable de la transaction correspondait à un « financement » et non à une « cession réelle ». Le contrat en question contenait des clauses de financement habituelles, telles que le droit de rachat, et était abordé comme un « financement » au cours des négociations. Outre le fait que la nature véritable de la transaction correspondait à celle d’un « financement », le risque de propriété n’a pas été transféré à Imbamar, tel que l’exige une « cession réelle », comme dans l’affaire BC Tel. En effet, Trac Chile a continué à assumer le coût de l’assurance de la responsabilité civile pour les rails en question, et elle était également tenue, si elle rachetait les rails, de rembourser à Imbamar les frais d’entreposage qu’elle avait engagés.[5] De plus, outre le fait que le risque de propriété n’a pas été transféré à l’acheteur, l’option de rachat comportait une prime sur le prix d’achat initial, ce qui va à l’encontre du quatrième facteur de « cession réelle » énoncé par le juge Ground dans l’affaire BC Tel, c’est-à-dire le fait que le rendement pour l’acheteur soit supérieur à l’investissement initial et que le rendement sur cet investissement puisse être calculé.
Les résumés des affaires et les commentaires ci-dessus ont fourni un aperçu des éléments clés d’une cession réelle selon les principales décisions rendues par les tribunaux canadiens. L’équipe nationale Financement structuré et titrisation de Miller Thomson peut fournir des conseils pratiques à nos clients qui les aideront à structurer, à documenter et à exécuter des transactions qui constituent une « cession réelle », conformément aux intentions des parties. N’hésitez pas à communiquer avec votre personne-ressource de l’équipe Financement structuré et titrisation de Miller Thomson pour obtenir de l’aide.
[1] 2003 CanLII 25909 (ON SC).
[2] Ibidem par. 39.
[3] Ibidem par. 40.
[4] 2015 BCSC 787 (CanLII).
[5] Ibidem par. 225.