L’intervention forcée et l’appel en garantie : analyse récente de la cour supérieure du Québec

avril 16, 2024 | Jasmine de Guise, Mathieu Boily

Le Code de procédure civile c-25.01  (C.p.c.) du Québec met notamment à la disposition des justiciables deux mécanismes procéduraux afin de faire intervenir un tiers à l’instance, soit (1) l’appel en garantie qui permet d’être indemnisé d’une condamnation éventuelle et (2) la mise en cause forcée qui permet l’ajout d’une nouvelle partie au litige à titre de co-défenderesse.

Ces mécanismes sont régulièrement utilisés devant les tribunaux pour permettre aux parties d’impliquer l’ensemble des intervenants visés par un litige. Or, dans une décision récente[1], la Cour Supérieure, sous la plume de l’honorable juge Pierre Nollet, rappelle que ces demandes sont soumises à des critères spécifiques, lesquels se doivent d’être respectés, sous peine de rejet de la demande d’intervention forcée ou de la demande en garantie.

CONTEXTE

Dans le dossier sous étude, le locateur de différents espaces commerciaux situés dans le centre commercial CF Promenades St-Bruno à Saint-Bruno-de-Montarville, poursuit les défenderesses, locataires desdits espaces commerciaux pour des loyers impayés, des dommages pour déguerpissement pendant le bail et des dommages pour enlèvement de biens appartenant au locateur dans le cadre d’un recours ayant une valeur de plus de $1.4M.

De leur côté, les défenderesses allèguent en défense avoir signé les baux sous de fausses représentations qu’elles prétendent avoir été faites par le locateur ainsi que Live Work Learn and Play inc. (« LWLP »), mandatée par le locateur pour revitaliser le centre commercial. Les défenderesses ont ainsi introduit un Acte d’intervention forcé pour appel en garantie et mise en cause forcée contre LWLP[2] afin que celle-ci soit tenue d’assumer les conséquences de la réclamation du locateur. Dans le cadre de leur recours contre LWLP, les défenderesses soutenaient essentiellement que la présence de LWLP était indispensable afin de résoudre le litige et éviter la répétition inutile et coûteuse des mêmes débats, considérant son rôle dans le cadre de la revitalisation du centre commercial et les reproches formulés. Les défenderesses se disaient aussi en droit d’être indemnisées par LWLP de toutes les conséquences d’un jugement défavorable dans le cadre de l’action principale introduite par le locateur.

LWLP s’est opposée à sa mise en cause forcée et à l’appel en garantie et a présenté une demande en rejet. LWLP a eu gain de cause, pour les motifs ci-après considérés par le juge Nollet[3].

L’OPPOSITION À LA MISE EN CAUSE FORCÉE

Le tribunal rappelle d’abord qu’en cas d’opposition, le fardeau de prouver que la mise en cause est nécessaire reposait sur les épaules de la partie qui a mis le tiers en cause, dans ce cas-ci, les défenderesses. Les tribunaux se sont d’ailleurs montrés exigeants sur l’application du critère de la nécessité, en ce qu’il ne suffit pas que la mise en cause soit utile, mais plutôt nécessaire.

Les défenderesses plaidaient l’existence d’une connexité entre le litige principal et la mise en cause forcée. Or, la Cour souligne que c’est à l’aune du recours principal, soit une réclamation d’arrérages de loyers, de dommages liés à la terminaison par anticipation des baux et ceux reliés à l’enlèvement des biens sans droits, que devait s’apprécier le critère de la nécessité.

Ainsi, même si les défenderesses alléguaient l’existence d’une faute extracontractuelle prétendument commise par LWLP à titre de mandataire du locateur, soit de prétendues fausses représentations au moment de la conclusion des baux, il était impossible que LWLP soit condamnée au paiement des arrérages de loyers, du loyer futur et encore moins des dommages reliés à l’enlèvement des améliorations locatives. Le principe de la relativité des contrats s’y oppose.

Par conséquent, et comme la mise en cause forcée ne soulevait pas le même débat que l’action principale, le risque de jugement contradictoire devenait nul. Le critère de nécessité n’était pas rempli. L’intervention forcée était donc mal fondée en droit.

L’APPEL EN GARANTIE

Le tribunal rappelle que l’appel en garantie présuppose un lien de droit entre celui qui appelle en garantie et l’appelé en garantie. Très souvent, ce lien sera de nature contractuelle. Dans l’affaire sous étude, les défenderesses argumentaient que la faute extracontractuelle de LWLP venait créer ce lien de droit.

Or, le tribunal souligne que pour qu’une telle situation puisse s’appliquer, une solidarité potentielle entre celui qui forme l’appel en garantie et l’appelé en garantie doit exister. Ce n’était pas le cas dans la présente affaire. En effet, le juge Nollet conclut qu’il n’y avait aucune chance que le reproche de nature contractuelle pesant sur les défenderesses puisse être fait à LWLP, même dans l’éventualité où les fausses représentations alléguées étaient prouvées.

Par conséquent, l’honorable juge Nollet a rejeté l’appel en garantie et la mise en cause forcée des défenderesses contre LWLP.

En résumé, cette décision illustre l’importance de respecter les critères spécifiques et précis applicables à l’intervention forcée et l’appel en garantie. L’ajout d’un tiers au litige est loin d’être un automatisme. Telle procédure nécessite une justification en droit. Cette affaire réaffirme la rigueur avec laquelle les avocats doivent évaluer les demandes d’intervention forcée et appels en garantie ainsi que celle avec laquelle les tribunaux appliquent les critères en jeu.


[1]     Dossier de Cour 505-17-013697-232.

[2]     Représentée par Miller Thomson.

[3]     Me Jasmine de Guise du cabinet Miller Thomson a plaidé avec succès la demande d’opposition et en rejet de LWLP dans cette affaire. Cette décision n’a pas été portée en appel.

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