La Cour suprême se prononce sur l’effet de la mise sous séquestre sur les conventions d’arbitrage d’une partie

4 janvier 2023 | Sandra L. Hawes, KC, Tessa Green

Introduction et aperçu

Dans l’affaire Peace River Hydro Partners c. Petrowest Corp. 2022 CSC 41 [Peace River c. Petrowest], la Cour suprême du Canada précise s’il y a lieu et dans quelles circonstances une convention d’arbitrage doit céder le pas à l’intérêt public à l’égard du règlement ordonné et efficace d’une mise sous séquestre ordonnée par un tribunal en vertu de l’article 243 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B?3 (la « LFI »).

En effet, dans une décision rendue le 10 novembre 2022, la Cour suprême a statué à l’unanimité qu’une convention d’arbitrage par ailleurs valide peut, dans certaines circonstances, être inopérante ou non susceptible d’être exécutée, car elle compromettrait l’intégrité de la procédure de mise sous séquestre d’une partie ordonnée par le tribunal.

Faits contextuels

La société de personnes Peace River Hydro Partners (« Peace River ») a été constituée en vue de la construction d’un barrage hydroélectrique dans le nord-est de la Colombie-Britannique. En décembre 2015, Peace River a sous-traité certains travaux à Petrowest Corp, une entreprise de construction établie en Alberta, et à ses sociétés affiliées (« Petrowest »). Les contrats entre les parties contenaient plusieurs clauses stipulant que tout différend découlant de la relation entre les parties serait réglé par voie d’arbitrage (les « conventions d’arbitrage »).

Peu de temps après la signature des contrats contenant les conventions d’arbitrage, Petrowest a connu de graves difficultés financières. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a prononcé l’ordonnance de mise sous séquestre de Petrowest en vertu de l’article 243 de la LFI et le cabinet Ernst & Young Inc. a été nommé séquestre (le « séquestre »). Le séquestre a intenté une poursuite civile devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique contre Peace River afin de recouvrer les fonds qu’il estimait être dus à Petrowest pour les travaux sous-traités. En réponse, Peace River a présenté une demande de suspension des procédures civiles en vertu de l’article 15 de l’Arbitration Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1996, c. 55 (l’« Arbitration Act ») au motif que les conventions d’arbitrage régissaient tout différend entre Petrowest et Peace River et que, par conséquent, les tribunaux n’avaient pas compétence à l’égard de la réclamation du séquestre au nom de Petrowest. L’article 15 de l’Arbitration Act stipule ce qui suit :

Stay of proceedings
15(
1)  If a party to an arbitration agreement commences legal proceedings in a court against another party to the agreement in respect of a matter agreed to be submitted to arbitration, a party to the legal proceedings may apply, before filing a response to civil claim or a response to family claim or taking any other step in the proceedings, to that court to stay the legal proceedings.

(2)  In an application under subsection (1), the court must make an order staying the legal proceedings unless it determines that the arbitration agreement is void, inoperative or incapable of being performed.

[NOTRE TRADUCTION]

Suspension d’instance
15(
1) Si une partie à une convention d’arbitrage introduit une instance devant un tribunal contre une autre partie à la convention au sujet d’une question qu’il a été convenu de soumettre à l’arbitrage, une partie à l’instance peut, avant de déposer une réponse à une demande civile ou à une demande familiale ou d’agir de toute autre manière dans l’instance, présenter au tribunal une demande de suspension d’instance.

(2) Dans le cadre d’une demande présentée en vertu du paragraphe (1), le tribunal doit prononcer une ordonnance de suspension d’instance, à moins qu’il ne détermine que la convention d’arbitrage est nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.

Au nom de Petrowest, le séquestre s’est opposé à la demande faisant valoir que la LFI autorisait le tribunal à exercer un contrôle judiciaire centralisé sur l’affaire au lieu de référer le séquestre dans de nombreux tribunaux arbitraux.

Antécédents procéduraux

Dans des motifs publiés dans la cause Petrowest Corporation c. Peace River Hydro Partners, 2019 BCSC 2221 (en anglais), le juge de la Cour supérieure de la Colombie-Britannique a donné raison au séquestre et a rejeté la demande de suspension d’instance de Peace River. Le juge a conclu que les coûts et les délais importants inhérents aux multiples procédures d’arbitrage requises par les conventions d’arbitrage, comparativement aux coûts et aux délais d’une seule décision judiciaire, étaient injustes pour les créanciers. Jumelé à l’absence de tout préjudice à l’égard des parties défenderesses, ce facteur a amené la Cour à conclure que le fait d’accorder la suspension d’instance compromettrait grandement l’atteinte des objectifs de la LFI en ce qui concerne les processus de faillite.

Peace River a fait appel de la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Dans la cause Petrowest Corporation c. Peace River Hydro Partners, 2020 BCCA 339, (en anglais) la Cour d’appel a confirmé la décision de la juge en chambre au motif que le séquestre n’était pas une « partie » aux conventions d’arbitrage au sens du paragraphe 15(1) de l’Arbitration Act. De plus, elle a également conclu que la doctrine de la séparabilité permettait au séquestre de renoncer aux conventions d’arbitrage et d’intenter une poursuite fondée sur les contrats sous-jacents afin de recouvrer le paiement pour une prestation antérieure.

Peace River a fait appel de la décision de la Cour d’appel et a demandé à la Cour suprême du Canada de suspendre les procédures en faveur de l’arbitrage. La Cour suprême devait déterminer s’il y avait lieu et dans quelles circonstances une convention d’arbitrage par ailleurs valide est inexécutoire en vertu du paragraphe 15(2) de l’Arbitration Act dans le contexte d’une mise sous séquestre ordonnée par un tribunal en vertu de la LFI.

Décision de la Cour suprême du Canada et analyse

La Cour suprême a rejeté à l’unanimité l’appel en concluant que les conventions d’arbitrage étaient inopérantes. La juge Côté a écrit pour la majorité de la Cour et le juge Jamal a écrit des motifs concordants en son nom et au nom des juges Karakatsanis, Brown et Martin.

La juge Côté, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour, a conclu que l’article 15 de l’Arbitration Act n’exige pas qu’un tribunal, dans tous les cas, suspende une poursuite civile intentée par un séquestre nommé par le tribunal lorsque la réclamation est visée par une convention d’arbitrage valide. Un tribunal peut refuser d’accorder une suspension d’instance lorsque la partie qui cherche à éviter l’arbitrage établit, selon la prépondérance des probabilités, que la convention d’arbitrage en cause est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée » au sens du paragraphe 15(2) de l’Arbitration Act.

La Cour a statué que dans le contexte d’une mise sous séquestre par ordonnance judiciaire, une convention d’arbitrage peut être inopérante si son exécution compromet le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre[1]. Cette analyse est tributaire des faits[2]. La juge Côté a souligné qu’une partie faisant l’objet d’une ordonnance de mise sous séquestre ou d’une procédure d’insolvabilité ne constitue pas, en soi, un motif suffisant pour qu’un tribunal puisse conclure à l’inopérabilité d’une convention d’arbitrage[3].

La Cour suprême a expliqué que cette conclusion découle de l’analyse suivante en deux volets, prévue à l’article 15 de l’Arbitration Act.

            1) Les conditions préliminaires à la suspension obligatoire d’une instance judiciaire

Pour satisfaire au premier volet, la partie qui demande la suspension d’une instance en faveur de l’arbitrage doit uniquement établir sur le fondement d’une « cause défendable » que les conditions préliminaires sont remplies[4]. À cette étape, les considérations peuvent différer selon la loi provinciale et la nature de l’arbitrage. En règle générale, il y a quatre conditions préliminaires à cette étape[5] :

  1. l’existence d’une convention d’arbitrage;
  2. une partie à la convention d’arbitrage a intenté une procédure judiciaire;
  3. l’instance porte sur une question que les parties ont convenu de soumettre à l’arbitrage;
  4. la partie qui demande une suspension d’instance le fait avant d’agir dans l’instance.

Si toutes les conditions préliminaires sont remplies, la disposition de suspension obligatoire est engagée et le tribunal doit passer au deuxième volet de l’analyse.

En appliquant cette étape de l’analyse, la Cour suprême a conclu à la majorité que Peace River avait réussi à établir une cause défendable selon laquelle toutes les conditions préalables étaient remplies.

2) Les exceptions statutaires à la suspension obligatoire d’une instance judiciaire

Dans la deuxième partie de l’analyse, la partie qui cherche à éviter la suspension d’instance doit établir que la convention d’arbitrage est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée » selon la prépondérance des probabilités. Si elle n’y parvient pas, le tribunal doit accorder la suspension d’instance[6]. Cette analyse dépend nécessairement du contexte factuel de la cause. La Cour suprême a fourni une liste non exhaustive de facteurs qu’un tribunal doit prendre en considération pour déterminer si une convention d’arbitrage est « inopérante » au sens du paragraphe 15(2) de l’Arbitration Act, de sorte que son exécution compromettrait le règlement ordonné et efficace des procédures d’insolvabilité, y compris une mise sous séquestre ordonnée par un tribunal en vertu de l’article 243 de la LFI[7] :

  1. L’effet de l’arbitrage sur l’intégrité de la procédure d’insolvabilité.
  2. Le préjudice relatif causé aux parties en raison du renvoi du différend à l’arbitrage.
  3. L’urgence de régler le différend.
  4. L’applicabilité d’une suspension d’instance en droit de la faillite ou de l’insolvabilité.
  5. Tout autre facteur que le tribunal estime significatif dans les circonstances.

La Cour a noté que chacun des facteurs mentionnés ci-dessus peut avoir plus ou moins de poids selon les circonstances de l’affaire[8].

Appliquée aux faits de cette affaire, la Cour suprême a jugé que le séquestre avait réussi à prouver que les conventions d’arbitrage étaient inopérantes, car leur exécution aurait pour effet de compromettre l’intérêt public à l’égard de la résolution efficace de la mise sous séquestre de Petrowest. Le facteur déterminant était le chevauchement des nombreuses procédures arbitrales résultant des conventions d’arbitrage, comparativement à une seule et unique procédure judiciaire.

La Cour a également statué à la majorité qu’en général, les tribunaux devraient obliger les parties à respecter leurs conventions d’arbitrage même si l’une d’entre elles est devenue insolvable. Agir autrement « non seulement menacerait la politique publique importante que sert l’exécution des conventions d’arbitrage, mais également mettrait en péril l’intérêt public dans la gestion expéditive, efficace et économique des conséquences d’un effondrement financier et, partant de ce fait, la position du Canada en tant que chef de file en matière d’arbitrage commercial »[9].

Bien que les juges concordants aient convenu que l’appel devait être rejeté parce que les conventions d’arbitrage étaient inopérantes en vertu du paragraphe 15(2) de l’Arbitration Act, ils étaient en désaccord quant au fondement de cette conclusion. Selon les juges concordants, en intentant une poursuite en justice pour recouvrer les comptes débiteurs, comme le lui permet l’ordonnance de mise sous séquestre, le séquestre a renoncé aux conventions d’arbitrage, lesquelles sont ainsi rendues inopérantes[10]. Le jugement concordant porte sur l’interprétation de l’ordonnance de mise sous séquestre et non sur la doctrine de la séparabilité. Dans la mesure où l’ordonnance de mise sous séquestre n’autorisait pas le séquestre à intenter une poursuite en justice, le juge Jamal était d’accord avec les juges majoritaires selon lesquels la LFI a fourni un fondement législatif qui a permis à la juge en chambre de déclarer inopérantes les conventions d’arbitrage et de rejeter la demande de suspension d’instance[11].

Principales conclusions

La décision de la Cour suprême dans la cause Peace River c. Petrowest confirme que les cours supérieures du Canada ont la compétence, en vertu de la LFI, de déclarer inopérantes les conventions d’arbitrage, en prenant les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs de la LFI, qui favorisent un règlement ordonné et efficace au moyen d’une seule et unique procédure judiciaire. Toutefois, malgré la conclusion de la Cour dans cette décision, il a été clairement établi que chaque cas dépendra des faits particuliers et des lois provinciales en matière d’arbitrage.

Les séquestres qui cherchent à éviter l’exécution des conventions d’arbitrage doivent obtenir des conseils juridiques qui tiendront compte des faits de la cause en question et de la législation pertinente.

L’équipe de Miller Thomson spécialisée dans le règlements des litiges commerciaux et en droit de la faillite et de l’insolvabilité peut vous aider à vous y retrouver dans ces secteurs du droit, à déterminer l’applicabilité de la décision Peace River c. Petrowest, et à poursuivre ou défendre une poursuite en justice lorsqu’une convention contient une clause d’arbitrage.

[1] Peace River c. Petrowest, au paragraphe 34.

[2] Ibid au paragraphe 10.

[3] Ibid au paragraphe 8.

[4] Ibid au paragraphe 84.

[5] Ibid au paragraphe 83.

[6] Ibid au paragraphe 88.

[7] Ibid au paragraphe 155.

[8] Ibid au paragraphe 156.

[9] Ibid au paragraphe 10.

[10] Ibid au paragraphe 191.

[11] Ibid au paragraphe 198.

Avis de non-responsabilité

Cette publication est fournie à titre informatif uniquement. Elle peut contenir des éléments provenant d’autres sources et nous ne garantissons pas son exactitude. Cette publication n’est ni un avis ni un conseil juridique.

Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. utilise vos coordonnées dans le but de vous envoyer des communications électroniques portant sur des questions juridiques, des séminaires ou des événements susceptibles de vous intéresser. Si vous avez des questions concernant nos pratiques d’information ou nos obligations en vertu de la Loi canadienne anti-pourriel, veuillez faire parvenir un courriel à privacy@millerthomson.com.

© Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. Cette publication peut être reproduite et distribuée intégralement sous réserve qu’aucune modification n’y soit apportée, que ce soit dans sa forme ou son contenu. Toute autre forme de reproduction ou de distribution nécessite le consentement écrit préalable de Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. qui peut être obtenu en faisant parvenir un courriel à newsletters@millerthomson.com.