Réduction des pertes attribuables à l’effondrement des cryptomonnaies TerraUSD et LUNA

9 février 2023 | Anish Kamboj, Andrew Rodrigues

Tout au long de l’année, nous avons été témoins de l’effondrement de nombreuses cryptomonnaies. Ces épisodes de débâcle illustrent l’important recul du marché des cryptomonnaies cette année.

Pour les investisseurs qui ont subi des pertes, l’importance est de savoir comment tirer parti de ces pertes. Cet article vise à analyser le récent effondrement des cryptomonnaies TerraUSD et LUNA et à proposer les stratégies fiscales suivantes :

  • Déduction des pertes en capital des gains en capital;
  • Déduction des pertes d’entreprise des revenus d’entreprise.

Pour réduire au minimum les pertes, les investisseurs en cryptomonnaies devraient envisager ces stratégies fiscales et les appliquer selon le cas.

TerraUSD et LUNA

L’effondrement des cryptomonnaies TerraUSD (« UST ») et LUNA est l’événement qui a entraîné des pertes importantes dans ce secteur.

UST est une cryptomonnaie stable (en anglais stablecoin) arrimée au dollar américain. La valeur d’un UST, à l’origine, était prétendument autour d’un dollar US. LUNA est le jeton de cryptomonnaie qui le soutient. UST et LUNA sont tous deux des jetons du réseau Terra, un projet basé sur la blockchain développé par Terra Labs en Corée du Sud[1].

Dans l’écosystème Terra, les utilisateurs pouvaient échanger un jeton LUNA contre un jeton UST, et vice versa, à un prix garanti de un dollar US, quel que soit le cours de l’un ou de l’autre à la date en question. Au cours du processus d’échange, un pourcentage de LUNA était brûlé (retiré définitivement de la circulation) et le reste était déposé dans un compte de trésorerie communautaire. Les fonds de la trésorerie communautaire étaient ensuite utilisés pour investir dans des applications et des services qui élargissent l’utilité de l’écosystème Terra. Le fait de brûler un pourcentage des jetons LUNA a effectivement réduit le nombre de jetons en circulation, les rendant plus rares et donc plus précieux. Le fait de frapper davantage de jetons UST a eu pour effet de diluer les jetons en circulation, ramenant le prix global à son niveau de un dollar US[2].

En termes plus simples, au lieu de s’appuyer sur une réserve d’actifs pour maintenir sa parité (comme c’est le cas pour toutes les monnaies stables garanties), l’UST, qui est une monnaie stable algorithmique, utilise un algorithme fondé sur un contrat intelligent pour maintenir le prix d’un UST ancré à un dollar américain en brûlant des jetons LUNA afin de frapper (créer) de nouveaux jetons UST[3].

Si la demande d’UST était faible et que le prix tombait en deçà d’un dollar US, les détenteurs d’UST pourraient échanger leurs jetons UST dans un rapport de 1:1 contre des LUNA. L’échange ferait en sorte de brûler les jetons LUNA et entraînerait l’augmentation de leur valeur en raison de la rareté qui en résulterait. Cette façon de faire devait présumément permettre à un détenteur de dégager un profit sans risque[4].

Malgré ce mécanisme, en théorie, prometteur, la valeur des cryptomonnaies UST et LUNA a dégringolé en mai 2022. Ces deux cryptomonnaies ont continué à fonctionner comme prévu. Toutefois, l’offre de LUNA est passée d’environ 725 millions de jetons à 7 billions de jetons et le LUNA a perdu 99,9 % de sa valeur et subi une hyperinflation[5].

Contrairement aux monnaies stables garanties, l’UST n’était pas entièrement protégée par une forme de garantie. Lorsque l’offre de LUNA a atteint 7 billions, la fondation derrière LUNA ne disposait que de 4 milliards de dollars d’UST en réserve et celle-ci n’était pas en mesure de faire face à l’augmentation du volume des LUNA[6].

La valeur de l’UST a chuté en deçà de un dollar US et n’a pas été en mesure de rattraper la perte. L’algorithme et les protections prévues par la fondation derrière LUNA n’ont pas réussi à corriger la chute. En fin de compte, les cryptomonnaies UST et LUNA ont perdu plus de 40 milliards de dollars[7].

Solutions

Les Canadiens qui ont subi la chute presque catastrophique de la valeur de ces deux cryptomonnaies pourraient possiblement se prévaloir de deux solutions.

La première solution consiste à conserver son investissement en espérant récupérer les pertes à terme. Toutefois, la probabilité que les cryptomonnaies LUNA et UST reviennent à la valeur d’avant n’est pas réaliste, à moins que de grandes quantités de LUNA ne soient brûlées, dans le but ultime de faire passer l’offre de plus de six billions à environ 350 millions, c’est-à-dire au même volume qu’avant l’effondrement[8]. Par conséquent, une diminution de l’offre de LUNA semble être le seul espoir pour que les détenteurs voient leurs investissements revenir à leur solde avant le recul du marché. Ce scénario est possible, mais peu probable.

La deuxième solution consiste à limiter les pertes, à vendre ses LUNA et ses UST et à essayer de compenser les gains par les pertes attribuables au recul de la valeur des UST ou des LUNA en deçà du prix de base ajusté du détenteur. Les revenus provenant de la vente ou de la cession de cryptomonnaies peuvent être traités comme des revenus d’entreprise ou des gains en capital, et les pertes peuvent être traitées comme des pertes en capital ou des pertes d’entreprise, selon les faits et les circonstances propres au contribuable[9]. Il faut avoir une bonne compréhension de ces concepts avant de retenir pour cette solution.

Gains et pertes en capital

Si la vente de cryptomonnaies est considérée comme une vente d’immobilisations, le contribuable réalisera un gain ou une perte en capital sur cette vente. Selon l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), il y a gain en capital lors d’une vente réelle ou présumée des immobilisations à un prix supérieur au total de son prix de base rajusté et des charges et dépenses engagées pour réaliser la vente de ce bien[10]. De la même manière, il y a perte en capital lors de la vente réelle ou présumée des immobilisations à un prix inférieur au total de son prix de base rajusté et des charges et dépenses engagées pour réaliser la vente de ce bien[11].

Il est possible de déduire la moitié des pertes en capital (appelée pertes en capital admissibles) des gains en capital. En effet, en général, seuls les gains en capital (et aucun autre revenu) peuvent compenser les pertes en capital. Si le contribuable n’a réalisé aucun gain en capital pour compenser ses pertes, il peut reporter les pertes en capital nettes indéfiniment, ou les reporter rétrospectivement sur n’importe lequel des trois exercices précédents[12].

Les détenteurs des cryptomonnaies UST et LUNA peuvent se prévaloir de ces solutions. Par exemple, si un détenteur a acheté des UST ou des LUNA à 50 $ et que leur valeur de l’unité est maintenant de 0,000?245 $, la perte en capital du détenteur serait de 50 $, selon un prix de base ajusté de 50 $. La perte en capital déductible du détenteur serait de 25 $ (c’est-à-dire la moitié de la perte en capital totale). Le détenteur pourrait alors déduire ce montant de ses gains en capital imposables au cours de l’exercice. Si le détenteur a subi des pertes en capital admissibles supérieures à ses gains en capital imposables pour l’exercice en cours, il peut reporter ses pertes en capital nettes sur les trois exercices précédents ou indéfiniment, mais peut les utiliser uniquement pour compenser les gains en capital imposables[13].

Revenus et pertes d’entreprise

Si la vente de cryptomonnaies est considérée comme une vente de biens autres que des immobilisations, le contribuable peut alors réaliser un revenu ou une perte d’entreprise sur la vente des cryptomonnaies. Une perte d’entreprise peut être utilisée pour compenser un revenu d’entreprise.

Selon la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), sont compris parmi les « entreprises » les « professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit » ce qui comprend « les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial »[14]. En général, les activités cohérentes et soutenues des entreprises dans un but lucratif sont qualifiées d’affaires « de caractère commercial » au sens de la Loi. Toutefois, « les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial » peuvent toujours être considérés comme des transactions isolées dans le cadre desquelles un contribuable effectue un achat unique et spéculatif et, au bout du compte, procède à la vente du bien[15]. Dans ces circonstances, tant que la transaction a pour but de dégager un profit, elle sera probablement considérée comme ayant un caractère commercial[16].

Une multitude de décisions rendues par les tribunaux portent sur la question de savoir si un revenu doit être considéré comme un revenu d’entreprise ou un gain en capital. Nous présentons ci-dessous une liste de facteurs que l’ARC considère comme des indices courant de l’exploitation d’une entreprise :

  1. Le contribuable exerce des activités pour des raisons commerciales et de façon viable sur le plan commercial;
  2. Le contribuable entreprend des activités de façon professionnelle, ce qui pourrait comprendre la préparation d’un plan d’affaires et l’acquisition d’immobilisations ou d’inventaires;
  3. Le contribuable fait la promotion d’un produit ou d’un service;
  4. Le contribuable démontre qu’il a l’intention de réaliser un bénéfice, même s’il est peu probable qu’il le fasse à court terme;
  5. Le contribuable est engagé dans une affaire de caractère commercial[17].

L’intention de vendre à profit est pertinente pour déterminer si le revenu doit être considéré comme un revenu d’entreprise ou un gain en capital. Toutefois, elle n’est pas déterminante en soi et doit être examinée au même titre que les autres facteurs[18].

Il est important de noter que l’achat de cryptomonnaies dans l’intention de dégager un profit de leur vente peut être considéré comme un revenu d’entreprise, qu’il s’agisse ou non d’un incident isolé. L’ARC considère les éléments suivants comme des exemples d’entreprise de cryptomonnaie : le minage de cryptomonnaie, la négociation de cryptomonnaie et les échanges de cryptomonnaie, y compris les guichets automatiques[19]. Lorsqu’un contribuable se livre à l’une des activités susmentionnées, l’ARC peut considérer que le contribuable exploite une entreprise de cryptomonnaie. Toutefois, chaque situation sera évaluée au cas par cas.

Si le détenteur de LUNA ou de UST exploite une entreprise, ses avoirs en UST ou en LUNA peuvent être considérés comme un revenu d’entreprise. Comme il a été mentionné précédemment, il est essentiel de déterminer s’il y a intention de réaliser un profit, mais les autres facteurs décrits par l’ARC doivent également être pris en considération. Même si le détenteur ne peut déduire une perte autre qu’en capital subie pendant l’exercice en cours, il peut reporter la perte autre qu’en capital sur les trois exercices précédents ou sur les 20 exercices suivants pour compenser le revenu provenant de toute autre source (tant qu’il ne s’agit pas d’une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise, qui ne représente une perte autre qu’en capital que pendant 10 ans)[20]. Toutefois, les pertes autres qu’en capital des exercices antérieurs doivent être déduites avant de déduire les pertes autres qu’en capital des exercices ultérieurs[21]. Si vous détenez des UST ou des LUNA et que vous exercez une activité de minage, de négociation ou d’échange de cryptomonnaies, ou tout autre type d’activité liée aux cryptomonnaies, et que vous avez subi une perte autre qu’une perte en capital lors de la vente de vos avoirs, cette option pourrait vous convenir.

Conclusion

L’effondrement des cryptomonnaies est une situation largement répandue à l’heure actuelle sur le marché des cryptomonnaies. Nous aimerions pouvoir affirmer qu’une telle situation ne se reproduira plus dans le secteur naissant des cryptomonnaies, mais nous aurions tort de le faire. Cela étant dit, les investisseurs qui ont subi les répercussions de cet effondrement devraient envisager les stratégies abordées dans cet article, ou les utiliser comme mesures proactives au cas où leurs avoirs sous forme de cryptomonnaies seraient menacés d’une manière analogue.

En ces temps difficiles, il est important que les investisseurs fassent preuve de patience et qu’ils soient préparés. Si vous avez besoin d’assistance pour analyser les enjeux de fiscalité relatifs aux cryptomonnaies, veuillez communiquer avec un membre de l’équipe de Miller Thomson spécialisée en fiscalité des entreprises.

Remerciements particuliers à Raffaella Garofalo, étudiante à l’emploi de Miller Thomson au cours de l’été 2022 pour sa participation à la rédaction de cet article.


[1] Krisztian Sandor, « What is LUNA and UST? A Guide to the Terra Ecosystem » (9 mai 2022), en ligne : Coindesk .

[2] Ibid.

[3] George Kaloudis, « The Collapse of UST and LUNA Was Devastating, but There Is Still Hope for Crypto » (16 mai 2022), en ligne : Coindesk .

[4] Sandor, supra note 1.

[5] Kaloudis, supra note 3.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Michael Abetz, « Will LUNA Recover – Can It? What Happened Wasn’t Like a Crypto Dip » (25 août 2022), en ligne : Business 2 Community <https://www.business2community.com/crypto-news/will-luna-recover-what-happened-02495042>.

[9] Agence du revenu du Canada, « Guide de la monnaie virtuelle pour les utilisateurs de cryptomonnaie et les professionnels de l’impôt » (26 juin 2021), en ligne : [le Guide de la monnaie virtuelle].

[10] Agence du revenu du Canada, « T4037 Gains en capital 2021 » à la section « Définitions » (18 janvier 2022), en ligne .

[11] Ibid. à la section « Définitions ».

[12] Guide de la monnaie virtuelle, supra note 9.

[13] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), paragraphe 111(1)(b) [la Loi].

[14] Ibid, paragraphe 248(1).

[15] Jinyan Li et coll., « Principles of Canadian Income Tax Law » 9e édition (Thomson Reuters : Toronto, 2020), citation : MNR c. Taylor, [1956] CTC 189, 56 DTC 1125 (Can Ex Ct) [Taylor] et Regal Heights c. MNR, [1960] CTC 384, 60 DTC 1270 (CSC).

[16] Ibid.

[17] Guide de la monnaie virtuelle, supra note 9.

[18] Taylor, supra note 15 au paragraphe 54; voir également Agence du revenu du Canada, Bulletin d’interprétation IT-459, « Projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial » (8 septembre 1980), en ligne : au paragraphe 12.

[19] Ibid.

[20] Loi, supra note 13, alinéa 111(1)(a); voir également Agence du revenu du Canada, « Manuel de la vérification de l’impôt sur le revenu » (juillet 2020), en ligne : au paragraphe 29.1.0.

[21] Loi, supra note 13, alinéa 111(3)(b).

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