Une hypothèque légale publiée trop tard peut être invalidée — même lorsque les travaux ne sont pas terminés. C’est ce que souligne une décision récente de la Cour supérieure, qui clarifie une question cruciale pour les entrepreneurs et les donneurs d’ouvrage : dans quels cas un abandon de chantier par l’entrepreneur peut-il marquer la « fin des travaux » au sens de l’article 2727 du Code civil du Québec?
L’enjeu est de taille, puisque le point de départ du délai de 30 jours pour publier une hypothèque légale dépend directement de l’interprétation de cette notion.
Chronologe de l’abandon : les faits derrière la décision
En mai 2023, un propriétaire confie à un entrepreneur la rénovation complète de son immeuble. Le projet progresse pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que les problèmes commencent à s’accumuler : des sous-traitants affirment ne pas être payés et la Ville signale l’absence de permis valides pour les travaux, alors que le propriétaire continue à régler les factures, tant pour les travaux que pour les permis.
En février 2024, la Ville émet un avis d’arrêt des travaux, mais l’entrepreneur poursuit leur exécution jusqu’en avril 2024, tout en continuant à envoyer des factures peu claires au propriétaire. Ce dernier demande alors une rencontre pour faire le point, à quoi l’entrepreneur répond avoir retiré tout son matériel du chantier et qu’il ne reviendra que pour démarrer le système de planchers. Or, il ne reviendra jamais.
Le 7 juin 2024, l’entrepreneur publie un avis d’hypothèque légale sur l’immeuble. Cinq mois plus tard, il transmet un préavis d’exercice d’une action hypothécaire au propriétaire.
La Cour supérieure devait alors se prononcer sur la question suivante : l’abandon du chantier par l’entrepreneur constituait-il la « fin des travaux » au sens de l’art. 2727 C.c.Q. déclenchant le délai de 30 jours pour publier une hypothèque légale?
La Cour tranche : L’abandon du chantier par l’entrepreneur peut marquer la fin des travaux… dans certains cas
Rappelons que dans cette affaire, l’immeuble n’avait toujours ni eau courante, ni chauffage, le chantier n’étant clairement pas terminé. Ainsi, l’état du bâtiment ne correspondait pas à la définition de principe de la « fin des travaux », laquelle correspond à une réception de l’ouvrage, soit lorsque le bâtiment devient fonctionnel et habitable.
Mais la Cour reconnaît une exception : lorsqu’un entrepreneur quitte le chantier sans intention d’y revenir pour compléter ses travaux, cet abandon peut être assimilé à une « fin de travaux ». En l’espèce, le tribunal retient que l’entrepreneur a refusé de rencontrer le propriétaire pour clarifier ses factures, puis a quitté le chantier sans plan de retour, malgré l’état inachevé des travaux.
La Cour insiste sur le contexte au moment du départ : elle ne tient pas compte de ce qui s’est passé par la suite, mais bien de ce que les parties savaient et faisaient au moment de l’abandon. Ici, rien ne permettait de croire à une reprise prochaine des travaux.
Résultat : la date de l’abandon des travaux, soit la date à laquelle l’entrepreneur a exprimé son intention de mettre fin aux travaux (ici le 17 avril 2024) est considérée comme la date de fin des travaux. À partir de cette date, l’entrepreneur disposait de 30 jours pour publier son hypothèque légale. L’inscription de son hypothèque le 7 juin 2024 était donc hors-délai et la Cour a donc ordonné la radiation de l’hypothèque légale et du préavis d’exercice.
Conclusion
La notion de fin des travaux demeure factuelle et sujette à interprétation, ce qui peut entraîner des risques juridiques importants, tant pour les entrepreneurs que pour les donneurs d’ouvrage.
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