Lorsque des entreprises canadiennes font l’objet de nouvelles cotisations à l’étranger, il est légitime de se demander si les intérêts payés sur les impôts étrangers en souffrance peuvent être déduits au Canada.

Dans l’affaire Bank of Montreal c. Le Roi (2025 CCI 113), la Cour canadienne de l’impôt (la « CCI ») apporte un éclairage sur cette question. En effet, cette récente décision permet de clarifier la manière dont l’article 9 et le paragraphe 18(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») s’appliquent aux intérêts sur des impôts impayés aux États-Unis. Cette décision est un sujet d’intérêt pour toute entreprise qui exerce des activités à l’extérieur des frontières du Canada.

Les intérêts sur des impôts impayés à l’étranger peuvent-ils être traités comme des intérêts créditeurs?

Dans le contexte de la question soulevée en vertu de la règle 58, la CCI a été appelée à se prononcer sur un enjeu précis, mais important : la Banque de Montréal (« BMO ») était-elle autorisée à déduire les intérêts calculés sur les impôts fédéraux et municipaux en souffrance pour les exercices 1997 à 2001 et versés aux autorités fiscales américaines? Le litige portait sur l’interprétation de l’article 9 et du paragraphe 18(1) de la LIR, lesquels fixent les limites de ce qui peut être considéré comme des dépenses d’entreprise déductibles.

La BMO, une banque canadienne qui dispose, depuis de nombreuses années, de plusieurs succursales opérationnelles aux États-Unis, avait consciencieusement produit ses déclarations de revenus aux États-Unis et payé les montants qu’elle estimait devoir aux autorités fiscales américaines. Toutefois, plusieurs années plus tard, l’Internal Revenue Service (l’« IRS ») et la ville de New York ont réévalué ces déclarations et constaté que d’autres sommes devaient être versées au titre de l’impôt sur le revenu. Ces nouvelles cotisations étaient assorties d’importants frais d’intérêts débiteurs, soit près de 9 millions de dollars en 2004 et un montant supplémentaire de 1,8 million de dollars en 2006. Lors de la préparation de ses déclarations fiscales canadiennes, BMO a tenté de déduire ces frais d’intérêts au poste des dépenses légitimes liées à ses activités. Le ministre des Finances a contesté cette déduction, ce qui a donné lieu au litige en question.

Les intérêts débiteurs à l’étranger peuvent-ils être traités comme des intérêts créditeurs?

BMO a avancé plusieurs arguments, mettant l’accent sur une analogie entre les intérêts débiteurs et les intérêts créditeurs. Les tribunaux canadiens avaient déjà reconnu que les intérêts versés par le gouvernement sur des remboursements d’impôt pouvaient, dans certaines circonstances, constituer un revenu d’entreprise, en raison de la décision stratégique du contribuable de payer à l’avance des montants contestés En s’inspirant de ce raisonnement, BMO a soutenu que les intérêts débiteurs devraient être déductibles, car ils découlaient du même processus décisionnel concernant le montant à payer et le moment où ce paiement est effectué, tout en tenant compte d’obligations fiscales incertaines.

Le refus de la déduction fiscale influence-t-il le jugement des entreprises?

BMO a également insisté sur le fait que le refus de la déduction fiscale signifierait que le ministre se permet de remettre en question son jugement. Elle soutient que les autorités fiscales ne peuvent se substituer au discernement d’un homme d’affaires avisé sur la manière dont certaines sommes devraient être attribuées. De plus, BMO a fait valoir plusieurs dispositions de la LIR, notamment l’alinéa 18(1)t) ainsi que les paragraphes 20(11), (12), (12.1) et 126(2) qui portent sur le traitement des impôts étrangers, et suggéré que le législateur avait déjà envisagé la déductibilité dans certaines situations. Selon BMO, si les impôts peuvent donner lieu à un crédit ou à une déduction, les intérêts qui s’y rattachent devraient être traités de la même manière.

Quelle a été la position de la Couronne concernant la déductibilité des intérêts débiteurs?

La Couronne a soutenu une interprétation contraire. L’élément central de son exposé s’appuyait sur le principe dit Roenisch, selon lequel une dépense engagée après que le revenu ait été gagné ne peut être considérée comme ayant été faite dans le but de gagner un revenu et, par conséquent, elle n’est pas déductible. Autrement dit, les intérêts débiteurs ne relèvent pas de la démarche de production d’un revenu, mais résultent d’un revenu déjà perçu et assujetti à l’impôt. Le gouvernement a en outre soutenu que le fait d’accorder une telle déduction aurait pour effet de fausser la représentation fidèle des bénéfices de la banque, comme l’exige l’article 9 de la LIR. Puisque les impôts sous-jacents étaient déjà exclus des dépenses déductibles, il serait incohérent d’accorder un traitement plus avantageux aux intérêts qui y sont associés, car ils sont encore moins liés à la production du revenu.

Comment la Cour canadienne de l’impôt a-t-elle évalué les arguments de BMO?

Le juge MacPhee a soigneusement soupesé les arguments des deux parties et noté que la jurisprudence citée par BMO, notamment les arrêts Irving Oil et Munich Re, reposait sur un contexte factuel très spécifique dans lequel les entreprises avaient délibérément payé en trop ou payé à l’avance les impôts contestés dans le cadre d’une stratégie commerciale. En fait, BMO avait simplement payé ce qu’elle pensait devoir selon les déclarations déposées; les intérêts débiteurs ne sont apparus que plusieurs années plus tard, lorsque des audits ont révélé que des impôts supplémentaires devaient être acquittés. Il est important de faire la distinction entre les deux situations. En effet, la CCI n’a trouvé aucune preuve que BMO avait pris délibérément la décision de retarder le paiement dans le but d’atteindre un certain objectif de revenu.

En appliquant le raisonnement des arrêts Roenisch et Potash Corporation, la CCI a conclu que les intérêts débiteurs n’étaient pas déductibles, car ils sont intrinsèquement liés à l’existence d’un revenu imposable et découlent uniquement d’une obligation fiscale. En d’autres termes, sans bénéfice, il n’y a pas d’impôt, sans impôt, il n’y a pas d’arriérés, et sans arriérés, il n’y a pas d’intérêts. Le lien de causalité a démontré que la dépense n’avait pas été engagée dans le but de produire un revenu, mais plutôt pour répondre aux obligations fiscales postérieures à la production du revenu.

La CCI a également rejeté l’argument de BMO fondé sur l’alinéa 18(1)t) et les dispositions connexes. En effet, le juge MacPhee a fait valoir que l’article 126 prévoit un allègement de la double imposition du revenu en accordant des crédits pour les impôts payés dans un pays étranger, mais que ce mécanisme ne couvre pas les intérêts sur les montants en souffrance. Le silence du législateur quant à la déductibilité des intérêts sur un impôt étranger est une indication que l’absence d’autorisation explicite ne peut être interprétée comme une approbation implicite.

En conclusion, la CCI a répondu par la négative à la question soulevée en vertu de la règle 58. Les intérêts débiteurs versés aux autorités fiscales américaines n’étaient pas déductibles en vertu de l’article 9 de la LIR et étaient expressément exclus par le paragraphe 18(1). Les dépens ont été adjugés à la Couronne.

Quelle est l’incidence de cette décision sur les entreprises internationales?

Cette décision vient consolider clairement l’orientation selon laquelle les intérêts créditeurs peuvent parfois être considérés comme un revenu, mais les intérêts débiteurs sur les impôts étrangers ne sont pas déductibles. Pour les entreprises canadiennes qui exercent des activités à l’étranger, cette décision est un rappel que le coût de tout retard de paiement à l’étranger ne peut être transféré au Canada. Les entreprises sont invitées à revoir leurs politiques de gestion de la fiscalité à l’échelle internationale et à se conformer sans délai à leurs obligations fiscales afin d’éviter que des frais d’intérêts leur soient réclamés.

L’équipe Droit fiscal de Miller Thomson conseille régulièrement des entreprises canadiennes et multinationales sur des questions fiscales transfrontalières complexes, notamment les litiges en matière de déductibilité, l’allègement de la double imposition et les stratégies de conformité.

N’hésitez pas à communiquer avec un ou une membre de notre groupe si votre entreprise est appelée à gérer de tels défis.

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