À la croisée des affaires et de la nature : le TNFD publie la dernière version du cadre de gestion des risques et de divulgation liés à la nature

4 avril 2023 | Selina Lee-Andersen

En décembre 2022, les parties à la Convention sur la diversité biologique (COP 15) des Nations Unies se sont rassemblées à Montréal pour faire progresser l’action mondiale de lutte contre la perte continue de biodiversité. Cette conférence a débouché sur l’adoption du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal (le Cadre mondial de la biodiversité), qui comprend 23 cibles pour 2030 et 4 objectifs pour 2050 visant à enrayer la perte de biodiversité et à restaurer les écosystèmes. Le Cadre mondial de la biodiversité s’appuie sur les leçons tirées du Plan stratégique 2011-2020 pour la diversité biologique et les objectifs d’Aichi pour la biodiversité. Les principaux objectifs du Canada consistent à protéger 30 % des terres et des eaux d’ici à 2030, à respecter les droits des peuples autochtones et à s’attaquer aux principaux facteurs de perte de biodiversité, tels que la pollution et la surexploitation de la nature. Les parties à la COP 15 ont également conclu une série d’accords connexes visant à faciliter la mise en œuvre du Cadre mondial de la biodiversité (y compris la planification, le suivi, la production de rapports et l’examen), la mobilisation des ressources et le renforcement des capacités.

Qu’est-ce que la crise de la biodiversité?

La crise de la biodiversité fait référence à l’extinction mondiale de différentes espèces et à la réduction ou la perte locale d’espèces dans certains habitats qui entraînent une perte de la diversité biologique globale. Selon le rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques produit en 2019 par l’IPBES, l’activité humaine menace d’extinction un million d’espèces de végétaux et d’animaux. Les cinq principaux facteurs à l’origine de la perte de biodiversité sont : (1) le changement d’utilisation des terres et des mers (conversion de la couverture terrestre, comme les forêts et les zones humides, à des fins agricoles et urbaines); (2) les changements climatiques; (3) la pollution; (4) l’exploitation directe des ressources naturelles et (5) les espèces envahissantes.

Le Rapport Planète Vivante 2022 (PDF) du WWF International révèle que les populations mondiales d’animaux sauvages suivies (mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles et poissons) ont chuté en moyenne de 69 % depuis 1970. Selon le rapport, l’Amérique latine présente le plus grand déclin régional de l’abondance moyenne des populations (94 %), tandis que les populations d’espèces d’eau douce ont connu le plus grand déclin à l’échelle mondiale (83 %).

Un contexte d’investissement en évolution

Le World Economic Forum estime que plus de 50 % du PIB mondial (44 000 milliards de dollars américains de valeur économique) dépendent modérément ou fortement de la nature et de ses services, si bien que la perte de biodiversité présente des risques financiers pour le PIB mondial. Étant donné l’établissement d’objectifs plus stricts et la mise en œuvre de nouvelles initiatives au titre du Cadre mondial de la biodiversité, les investisseurs devraient examiner de plus près les entreprises qui exercent leurs activités dans des régions présentant une grande valeur au chapitre de la biodiversité ou dont la chaîne d’approvisionnement et de valeur comprend des fournitures provenant de ces régions. Ainsi, un nombre croissant d’entreprises établissent leurs politiques de développement durable et cherchent des moyens d’intégrer les facteurs de biodiversité dans leurs pratiques quotidiennes, leurs critères d’évaluation des risques et leurs décisions d’affaires, approche communément appelée l’« intégration » de la biodiversité.

L’un des principaux objectifs du Cadre mondial de la biodiversité exige que les grandes entreprises et les institutions financières transnationales contrôlent, évaluent et divulguent de manière transparente leurs risques, leurs dépendances et leurs impacts sur la biodiversité à toutes les étapes de leurs activités, de leurs chaînes d’approvisionnement et de valeur et de leurs portefeuilles. Si les entreprises cherchent à intégrer la biodiversité dans leurs activités, les investisseurs, quant à eux, souhaitent voir plus de cohérence et de transparence au chapitre de la divulgation de l’information et de la communication des résultats en matière de biodiversité (et des résultats liés aux facteurs ESG de manière générale) afin d’atténuer les risques et de repérer de nouvelles occasions. Un certain nombre d’institutions financières ont manifesté leur intérêt pour deux nouveaux cadres financiers sur la perte de biodiversité : (i) le Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD) et (ii) le Partnership for Biodiversity Accounting Financials (PBAF). Le TNFD, qui élabore un cadre de gestion des risques et de divulgation permettant aux organisations de déclarer les risques liés à la nature et d’intervenir en conséquence, bénéficie du soutien d’une quarantaine d’institutions financières représentant 20 600 milliards de dollars américains d’actifs. La norme du PBAF, qui fournit aux institutions financières des directives sur l’évaluation des impacts sur la biodiversité, est appuyée par 50 institutions financières représentant 12 000 milliards de dollars américains d’actifs.

Le TNFD publie la version définitive du cadre de divulgation

Le 28 mars 2023, le TNFD a publié la dernière version (v0.4) du cadre de gestion des risques et des occasions et de divulgation liés à la nature (cadre TNFD) à des fins de consultation publique. Le cadre TNFD vise à fournir aux acteurs du marché un cadre de gestion des risques et de divulgation leur permettant de repérer et d’évaluer leurs problèmes liés à la nature, d’y réagir et, le cas échéant, de les divulguer. Le TNFD approche de la fin de sa phase de conception et d’élaboration de deux ans, et la version définitive du cadre, ainsi que les divulgations recommandées alignées sur l’approche du TCFD, devrait être publiée en septembre 2023.

Le cadre TNFD repose sur quatre mesures à prendre par les entreprises :

  1. Identifier – Lorsque l’entreprise ou les activités financées interagissent avec la nature, identifier le type d’écosystème à cet emplacement et les principaux actifs environnementaux et services écosystémiques pertinents pour l’entreprise.
  2. Évaluer – Effectuer une évaluation des dépendances et des impacts sur la nature, ainsi que des risques et des occasions pour l’entreprise ou le portefeuille de capitaux.
  3. Réagir – Réagir en réévaluant la stratégie et les plans d’affaires, en fixant des objectifs de résultats et en s’engageant à les atteindre, et en réexaminant les activités de gouvernance, de gestion des risques et d’affectation des capitaux.
  4. Divulguer (au besoin) – Divulguer aux fournisseurs de capitaux externes les résultats ainsi que les états financiers de base et les rapports sur les émissions.

Le cadre TNFD repose sur quatre concepts de base : (i) les dépendances, (ii) les impacts, (iii) les risques et (iv) les occasions liés à la nature. Ceux-ci sont collectivement désignés comme des questions liées à la nature. Dans le but de fournir aux entreprises des conseils pratiques sur les activités de communication de l’information, le TNFD a élaboré un processus intégré d’évaluation pour la gestion des risques et des occasions liés à la nature, appelé LEAP, qui comprend quatre phases, après un cadrage initial des priorités organisationnelles :

  • Localisez votre interface avec la nature (par exemple, emplacements des actifs et des activités directs, type de biomes et d’écosystèmes qui entrent en interaction avec les activités, identification des chaînes de valeur qui interviennent dans des régions de grande importance sur le plan de la biodiversité ou des régions marquées par un déclin rapide de l’intégrité des écosystèmes, détermination des unités commerciales ou des catégories d’actifs qui interagissent avec la nature dans les régions prioritaires);
  • Évaluez vos dépendances et vos impacts (par exemple, identification des actifs environnementaux et des services écosystémiques pertinents, détermination des dépendances liées à la nature, analyse de la taille et de la portée de ces dépendances, ainsi que de la taille et de la portée des impacts sur la nature dans chaque emplacement prioritaire);
  • Évaluez vos risques et vos occasions (par exemple, identification des risques et des occasions commerciaux correspondants, gestion et atténuation des risques existants et nouveaux et des occasions, détermination des risques et des occasions qui revêtent de l’importance et devraient être divulgués conformément aux recommandations du TNFD); et
  • Préparez-vous à répondre aux risques et aux occasions liés à la nature et faites rapport (par exemple, les décisions concernant la stratégie et l’affectation des ressources après avoir effectué une analyse, établi les objectifs et évalué les progrès, et la détermination de l’information à divulguer ainsi que du lieu et du mode de présentation de l’information relative à la nature).

Selon le principe qui sous-tend le cadre TNFD, toutes les entreprises et les institutions financières – grandes et petites, de tous les secteurs d’activité – doivent définir et évaluer leurs problèmes liés à la nature tout au long de leur chaîne de valeur, qu’elles soient ou non tenues de les divulguer aux prêteurs, aux organismes de réglementation et à d’autres parties prenantes.

L’approche de divulgation du TNFD s’appuie sur les recommandations du Taskforce on Climate-related Financial Disclosures (en anglais) (TCFD) et s’aligne sur les quatre piliers du TCFD – gouvernance, stratégie, gestion des risques (à laquelle le TNFD a intégré la gestion de l’impact), et indicateurs et objectifs – tel qu’il est illustré à la figure 4 du cadre TNFD (en anglais).

En ce qui concerne cette approche à quatre piliers, le TNFD a conservé les onze recommandations de divulgation formulées par le TCFD afin d’assurer la cohérence entre les cadres d’information sur le climat et la nature dans l’ensemble des secteurs. Le cadre TNFD propose deux autres recommandations de divulgation : (i) la stratégie D, portant sur les emplacements prioritaires et (ii) le point D de la gestion des risques et des impacts, portant sur l’engagement avec les parties prenantes concernées.

Le projet de recommandations du TNFD comprend également un ensemble d’exigences générales selon lesquelles les divulgations devraient reposer sur ce qui suit :

  1. l’approche de l’organisation en matière d’importance relative;
  2. une déclaration sur la portée des divulgations et sur l’information visée par les futures divulgations;
  3. la prise en compte des risques et des occasions liés à la nature d’après une évaluation des dépendances et des impacts sur la nature;
  4. la prise en considération de certains emplacements auxquels l’organisation interagit avec la nature;
  5. l’intégration d’autres questions de développement durable, dans la mesure du possible, y compris des divulgations liées au climat; et
  6. la prise en compte de l’engagement avec les parties prenantes concernées dans toutes les divulgations.

Le TNFD a proposé dix indicateurs de divulgation globaux de base liés aux dépendances et aux impacts sur la nature. Ces indicateurs et paramètres globaux de base figurent au tableau 1 (en anglais) (PDF) (annexe 1) du cadre TNFD et comprennent notamment l’ampleur du changement d’utilisation des terres par type d’écosystème et d’activité commerciale, le prélèvement total et la consommation totale d’eau dans des régions soumises à des stress hydriques, la quantité et la part des produits de base naturels provenant d’écosystèmes prioritaires (répartis par type) et le revenu annuel total, et la proportion de celui-ci, exposé à des risques physiques et de transition. Le TNFD envisage d’ajouter un autre indicateur global de base pour les dépendances et les impacts concernant la production et la consommation de plastique (actuellement considéré comme un indicateur supplémentaire). Il a également établi une liste de paramètres supplémentaires à l’égard des dépendances et des impacts (annexe 1), qui comprend les impacts positifs sur la nature et les facteurs d’impact très répandus, mais propres à un secteur en particulier, comme la pollution lumineuse et sonore et l’introduction d’espèces envahissantes. Par ailleurs, le cadre TNFD établit une liste de paramètres de divulgation (en anglais) (PDF) relatifs aux catégories « risque et occasions » (annexe 2), « réaction » (annexe 3), « agriculture et alimentation (annexe 4) et « biome de la forêt tropicale » (annexe 5).

L’approche adoptée par une organisation à l’égard de l’évaluation et du suivi des questions liées à la nature joue un rôle essentiel dans la capacité des investisseurs et autres parties prenantes à évaluer correctement les rendements corrigés du risque de l’organisation, sa capacité à respecter ses obligations financières, son exposition générale aux risques inhérents aux questions liées à la nature et les progrès réalisés dans la gestion de ces questions ou l’adaptation à celles-ci. Afin de démontrer leur alignement sur les objectifs politiques mondiaux fixés dans le contexte du Cadre mondial de la biodiversité adopté lors de la COP 15 de Montréal et sur d’autres engagements en matière de biodiversité, le TNFD encourage vivement les organisations à inclure de l’information sur tous les indicateurs globaux de base qui sont pertinents pour leur modèle d’affaires, leur secteur d’activité, leur biome et leurs emplacements prioritaires. Les organisations qui omettent de produire un rapport sur l’un ou l’autre des indicateurs globaux de base figurant au tableau 1 devraient fournir un bref énoncé expliquant la raison de cette omission. En ce qui concerne l’établissement des objectifs, le TNFD recommande aux entreprises de fixer des objectifs scientifiques à l’égard de la nature en utilisant des cadres intersectoriels tels que celui du Science Based Targets Network (SBTN).

Le TNFD a ciblé certains aspects prioritaires à développer davantage, notamment : (i) les liens et l’interaction complexe avec le climat (le lien climat-nature); (ii) l’élaboration de scénarios; (iii) l’étendue des divulgations; (iv) les aspects sociaux; (v) la définition de ce qui est positif pour la nature; (vi) les données et paramètres et (vii) les orientations sectorielles.

La période de consultation publique concernant le cadre TNFD s’étend jusqu’au 1er juin 2023. Il est possible de formuler des commentaires en remplissant le formulaire de commentaires généraux ?accessible sur le site Web du TNFD. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, la version définitive du cadre, ainsi que les divulgations recommandées alignées sur l’approche du TCFD, devrait être publiée en septembre 2023. Le cadre TNFD est un élément qui vient enrichir la boîte à outils de divulgation volontaire sur le développement durable, et l’International Sustainability Standards Board (en anglais) a indiqué qu’il se pencherait sur les écosystèmes naturels dans la mesure où ils ont un impact sur le climat, en s’appuyant sur le travail du TNFD. Compte tenu de l’influence que le cadre TNFD aura probablement sur la prise de décisions des investisseurs, les entreprises, les investisseurs et les autres parties prenantes du Canada devront impérativement bien comprendre ce cadre pour aller de l’avant.

Pour toute question ou préoccupation, n’hésitez pas à communiquer avec un membre du Responsabilité sociale d’entreprise (ESG) et marché du carbone de Miller Thomson.

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