Cet article a été rédigé sous influence.
Non, non, pas l’influence que vous imaginez. Je n’ai pas pris une goutte d’alcool depuis plus de 40 ans. Je veux parler de l’influence de Paul Kalbfleish.
Paul est l’un des auteurs de The JOY Experiments, un ouvrage de référence qui présente les grands principes et les idées innovantes du « nouvel urbanisme », ou ce que Paul et son coauteur, Scott Higgins, décrivent comme « Une nouvelle approche narrative, stratégique et créative pour façonner les métropoles de demain ». Paul est également l’auteur d’un blogue intitulé The JOY Notes, qui pousse plus loin les réflexions amorcées dans leur livre.
Initialement formulés pour les contextes urbains, ces principes et ces idées s’appliquent également aux petites communautés, comme celles des copropriétaires d’immeubles.
L’auteur insiste notamment sur la nécessité de réorganiser nos priorités autour de la conception traditionnelle des communautés comme des lieux géographiques conçus :
- pour vivre,
- pour travailler,
- pour jouer.
Paul veut renverser la situation et faire du jeu une priorité plus importante, voire LA plus importante. Il déclare ceci : [TRADUCTION] « Les milieux urbains qui favorisent l’interaction sociale et cultivent la joie collective [c’est-à-dire le jeu] entre les citoyens ont le potentiel de devenir des destinations privilégiées et de renforcer leur prospérité sociale et économique. »
Cette réflexion est en grande partie motivée par l’épidémie grandissante de solitude et d’isolement social dans un monde de plus en plus connecté, dans lequel règnent la méfiance et les divisions sociales. En 2023, le Programme des Nations unies pour le développement a publié un rapport dans lequel il est indiqué que plus d’un tiers des adultes dans le monde souffrent de solitude. Deux ans plus tôt, un rapport de Statistique Canada indiquait que plus de 10 % des Canadiens âgés de 15 ans et plus se sentent « toujours ou souvent seuls ». Ces deux rapports, ainsi que d’autres, indiquent que l’épidémie de solitude et les sources de stress qui l’accompagnent nuisent non seulement au bonheur et à l’espoir des personnes, mais affectent aussi leur santé mentale, leurs réalisations personnelles et leur sentiment d’épanouissement. En effet, un article publié il y a quelques années souligne que la solitude et l’isolement social peuvent entraîner des problèmes de santé majeurs, notamment « une augmentation du risque de décès prématuré ».
Pour l’auteur, le jeu – une interaction sociale qui conjugue plaisir et amusement – contribue efficacement à surmonter ces défis.
Quel est le rapport avec la copropriété?
Les immeubles en copropriété sont des communautés. Un projet de copropriété à vocation non résidentielle crée déjà une certaine dynamique de vie en communauté, et ceci est encore plus prononcé dans un contexte résidentiel. Les résidents et propriétaires en copropriété sont appelés à jouer, travailler et interagir de manière étroite avec leurs voisins, tout en assumant ensemble les responsabilités liées à la propriété, à l’entretien et à la gestion des aires communes et des parties privatives.
Autrement dit, qu’on le veuille ou non, vivre en copropriété signifie nécessairement tisser des liens avec les autres et fonctionner dans un esprit de collaboration. Et tout cela fonctionne bien mieux lorsqu’une base commune favorise l’entente – en d’autres termes, lorsqu’on prend le temps de jouer ensemble.
De nombreux syndicats de copropriétaires estiment que les interactions sociales entre résidents et propriétaires ne relèvent pas de leur responsabilité. En effet, l’examen des principales directives émises par des organismes comme l’Autorité des condominiums de l’Ontario permet de constater que les diverses associations liées aux immeubles en copropriété, leurs conseillers et même la législation ne traitent que rarement, voire jamais, cette question.
La Loi de 1998 sur les condominiums de l’Ontario (la « Loi ») stipule ce qui suit : « L’association [de condominiums] a pour mission de gérer la propriété et les biens, le cas échéant, de l’association au nom des propriétaires ». Elle « a le devoir de contrôler, de gérer et d’administrer les parties communes et les biens de l’association » et « a le devoir de prendre toutes les mesures raisonnables pour faire en sorte que les propriétaires, les occupants de parties privatives, les preneurs à bail des parties communes et les mandataires et employés de l’association se conforment à la présente loi, à la déclaration, aux règlements administratifs et aux règles. »
Il s’agit de sujets concrets et parfois difficiles à accepter liés au contrôle, à la gestion, à l’administration et à l’exécution, loin de toute notion de jeu, n’est-ce pas?
Les 180 autres articles et les cinq règlements de la Loi semblent tous véhiculer le même type de message, portant sur les réunions et l’entretien, les banques et les emprunts, les fonds de réserve et les réparations, les assurances et les investissements, etc. Les enjeux plus subtils, plus humains, comme le fait de savoir si les voisins s’entendent ou non, paraissent éloignés des aspects pratiques. Pourtant, ignorer cette dimension relationnelle traduit une interprétation excessivement restrictive et finalement peu réaliste de l’essence même de la législation.
Comme le veut un principe bien établi en ressources humaines, l’engagement des employés est synonyme de réussite commerciale. Il en va de même dans le domaine de la copropriété : plus les propriétaires et les résidents ont le sentiment de faire partie de la communauté, plus ils se sentent connectés, plus ils partagent le plaisir d’y vivre et plus ils s’y sentent les bienvenus, plus ils s’y investissent. Le respect des règles suit naturellement. Un climat d’engagement favorise un meilleur entretien des lieux, une gestion financière plus spontanée et une gouvernance enrichie par la participation volontaire et motivée des copropriétaires. Si ces idées ne permettent pas de veiller au contrôle de la copropriété, de renforcer efficacement sa gestion et son administration, on peut se demander ce qui le permettrait.
Ceci n’est qu’une des nombreuses raisons pour lesquelles les communautés de copropriétés bien gérées accordent également de l’importance à l’harmonie entre leurs résidents Le paragraphe 117(1) de la Loi prévoit une autre raison c’est-à-dire :
Nul ne doit, en raison d’un acte ou d’une omission, permettre qu’une situation existe ou qu’une activité s’exerce dans une partie privative, dans les parties communes ou dans les biens éventuels de l’association, si la situation ou l’activité, selon le cas, est susceptible d’endommager la propriété ou les biens ou de causer une blessure ou une maladie à un particulier.
Aucune condition, aucun acte, ni aucune omission susceptible de causer une blessure ou une maladie à une personne. Comme la solitude? Ou l’isolement? L’article 117(1) vise à prévenir les situations dans lesquelles une personne pourrait subir une blessure, même si personne n’impose directement ou intentionnellement ces conditions.
Pour Paul Kalbfleisch, aménager des lieux propices au jeu en milieu urbain favorise l’acceptation sociale et contribue également à l’amélioration, de façon tangible, à la santé, au bien-être et au bonheur des résidents. Cela joue également un rôle préventif important contre les troubles sérieux de santé mentale et globale que l’isolement peut entraîner. Par ailleurs, cela permet à la ville de cultiver une identité commune et une culture de confiance et de respect mutuel tout en renforçant la capacité d’adaptation dont la collectivité a besoin pour affronter l’adversité et encourager la créativité et l’innovation au service du bien commun.
Pourquoi le fait de jouer son rôle n’aurait-il pas la même incidence sur votre immeuble en copropriété?
Les immeubles en copropriété, comme toutes formes de vie collective, tirent leur force du bien-être de leurs résidents Ce bien-être découle avant tout de relations positives entre voisins. Lorsque l’amitié, l’entraide et le plaisir de vivre ensemble sont au rendez-vous, une simple copropriété devient une communauté florissante.
Et si on revenait à la question posée en titre : votre immeuble en copropriété joue-t-il pleinement son rôle?