L’obligation de bonne foi n’est pas un remède à tout : Banque de développement du Canada c. Cummins, 2023 ABKB 173

1 juin 2023 | Helen Dick, Omar Halbouni

Introduction

Les parties qui s’estiment lésées invoquent souvent l’obligation de bonne foi. Toutefois, dans une récente décision, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta a déclaré que l’obligation de bonne foi ne peut venir à la rescousse d’une partie afin d’empêcher son cocontractant d’user de ses droits clairement établis, même si celui-ci a utilisé ses pouvoirs discrétionnaires contractuels pour défendre son intérêt personnel.

Survol des faits

La Banque de développement du Canada (« BDC ») a accordé deux prêts commerciaux à la société Logco Wireline Services (« Logco »). À titre de sûreté pour le remboursement de ces prêts, BDC a souscrit une convention de sûreté générale sur les actifs de Logco et obtenu des garanties personnelles de la part de quatre administrateurs de Logco, notamment de la partie défenderesse, Cummins (« Garanties »). Environ un an après l’octroi des prêts, Logco s’est trouvée en défaut de paiement et la BDC a décidé de mettre en œuvre les Garanties afin d’obtenir le remboursement.

Les Garanties sans condition accordaient expressément à la BDC la latitude nécessaire pour exiger le paiement. En effet, la clause 4(g) de la garantie relative à Cummins prévoit que [Traduction] « la BDC n’est pas tenue d’intenter un recours contre l’Emprunteur avant d’exiger le paiement de la part du Garant et la BDC peut se prévaloir des recours dont elle dispose en vertu de la présente garantie et de la Sûreté du prêt ou de toute partie de celle-ci à tout moment, de quelque manière que ce soit et dans l’ordre de son choix ».

La BDC a intenté une poursuite en recouvrement au titre des Garanties et sa demande de jugement sommaire a été accordée. Cummins a fait appel.

La Cour devait déterminer si les questions suivantes donnaient matière à procès du fait qu’elles ne pouvaient faire l’objet d’une décision par jugement sommaire :

  1. La BDC avait-elle envers Cummins une obligation d’exercer son pouvoir discrétionnaire de bonne foi?
  2. La BDC a-t-elle contrevenu à cette obligation?

Cummins a fait valoir que dans l’arrêt Wastech Services Ltd. c. Greater Vancouver Sewerage and Drainage District, 2021 CSC 7, la Cour suprême du Canada a modifié le droit relatif à l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel et que, dans le cadre d’une demande de jugement sommaire, toute incertitude concernant les faits, le dossier et le droit ne se prête pas à un tel jugement.

La décision

Dans l’affaire Wastech, la Cour suprême a estimé qu’il n’y a violation de l’obligation d’exercer un pouvoir discrétionnaire contractuel que si ledit pouvoir discrétionnaire est exercé de manière déraisonnable, sans être lié aux objectifs sous-jacents. Ces objectifs sont évidents dans le libellé de la clause discrétionnaire ou ressortent à la lecture de la clause dans le contexte du contrat dans son ensemble.

Selon Cummins, l’application de ce principe permettait raisonnablement de penser que la BDC aurait pu exercer sa sûreté sur les actifs de Logco avant d’intenter des poursuites contre les administrateurs au titre de leurs Garanties respectives.

Toutefois, la Cour a fait observer que rien dans la preuve n’indiquait que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la BDC s’était fait sans être lié aux objectifs sous-jacents ou que la BDC s’était comportée de façon déraisonnable ou arbitraire. Le contrat conclu entre les parties n’exigeait pas que la BDC exerce d’autres sûretés avant de chercher à exécuter les Garanties. À ce titre, la BDC avait le droit d’agir pour défendre son intérêt personnel et d’utiliser les Garanties comme elle l’entendait.

Par conséquent, la Cour a maintenu la décision du juge saisi de la demande selon laquelle [Traduction] « Concernant le pouvoir discrétionnaire sans restriction prévu dans la garantie, ce n’est que pure spéculation de penser qu’il y a eu manquement à l’obligation d’exercer ce pouvoir discrétionnaire de bonne foi ». La BDC n’avait pas l’obligation fiduciaire de protéger les intérêts de Cummins. La Cour n’a pas permis à Cummins de tenter d’utiliser l’obligation de bonne foi pour obtenir un avantage qu’elle n’avait pas négocié.

En fin de compte, la Cour a maintenu la décision du juge saisi de la demande selon laquelle aucune preuve ne permettait de soutenir la position de Cummins. La Cour a confirmé qu’aucune question ne donnait matière à procès et qu’un jugement sommaire était approprié.

Répercussions pratiques

Cette décision confirme que l’obligation de bonne foi n’a pas préséance sur les dispositions contractuelles qui accordent aux parties le pouvoir discrétionnaire de défendre leur intérêt personnel. Pour autant que la partie agisse raisonnablement et dans le respect des objectifs qui sous-tendent le contrat, elle peut exercer ce pouvoir discrétionnaire à son avantage.

Concrètement, lorsque des pouvoirs discrétionnaires sont conférés, les parties contractantes peuvent réfléchir attentivement à la possibilité de définir expressément les limites de ces pouvoirs ainsi que les objectifs ou les raisons pour lesquelles ils sont conférés et entamer les discussions pour déterminer ce qui peut constituer un exercice déraisonnable ou de mauvaise foi d’un pouvoir discrétionnaire.

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