Recours à la clause de réserve : un rappel des critères applicables

4 janvier 2021 | Yann-Julien Chouinard

Journal Constructo – 10 décembre 2020

Les appels d’offres publics contiennent généralement une clause dite « de réserve » par laquelle le donneur d’ouvrage se ménage la possibilité de ne retenir aucune soumission ou de ne pas retenir la plus basse soumission reçue. Bien que les tribunaux aient reconnu le droit du donneur d’ouvrage de recourir à une telle clause, cela ne lui confère pas une discrétion absolue à cet égard.

Tout récemment, la Cour supérieure a été appelée à déterminer si la Société québécoise des infrastructures (« SQI ») avait commis une faute en ayant recours à la clause de réserve au terme d’un appel d’offres dans l’affaire ITR Acoustique Québec inc. c. Société québécoise des infrastructures [1].

Les faits

Dans le cadre de la Phase A de la construction du Centre intégré de cancérologie (« CIC ») du nouveau centre hospitalier de Québec, la SQI lance un appel d’offres pour les travaux de la spécialité « Système intérieur » le 17 juillet 2018. À l’ouverture des soumissions, ITR Acoustique Québec inc. (« ITR ») est la plus basse soumissionnaire conforme.

Le 10 octobre 2018, ITR apprend que la SQI se prévaut de la clause de réserve et annule l’appel d’offres. Quelques semaines plus tard, un nouvel appel d’offres est publié pour les travaux de la même spécialité, cette fois-ci pour les phases A et B du CIC. Au terme de ce nouvel appel d’offres, le contrat est octroyé à un autre entrepreneur.

Dans les jours qui suivent la fermeture du nouvel appel d’offres, ITR intente un recours en dommages contre la SQI au motif que cette dernière a illégalement eu recours à la clause de réserve et que le contrat aurait dû lui être octroyé. En défense, la SQI invoque que le recours à la clause de réserve était justifié étant donné que la soumission d’ITR dépassait de 54 % son estimation interne du coût des travaux.

La décision

Pour déterminer si la SQI était en droit de recourir à la clause de réserve afin d’annuler l’appel d’offres du 17 juillet 2018, le tribunal rappelle les principes qui doivent guider l’analyse du caractère raisonnable de la décision : 1) l’examen du comportement de la SQI doit s’effectuer au moment où celle-ci prend sa décision, 2) la bonne foi de la SQI doit être présumée et 3) en présence de motifs valables, la SQI peut recourir à la clause de réserve.

Après avoir analysé attentivement le comportement de la SQI, le tribunal conclut que la décision a été prise de bonne foi à la suite d’une analyse adéquate de la soumission, des scénarios possibles, de l’évaluation dont elle disposait et de son appréciation du marché.

Entre autres, le directeur exécutif de projets de la SQI a démontré un grand souci de respecter les budgets qui lui ont été accordés pour la construction du CIC. Conscient du caractère inhabituel de l’annulation d’un appel d’offres, celui-ci avait évalué les différents scénarios offerts avant de prendre sa décision.

La soumission d’ITR présentait un écart considérable avec l’estimation effectuée par la SQI et celle de son gérant-constructeur. Dans de telles circonstances, le tribunal ne pouvait remettre en cause un tel motif. Par ailleurs, le juge retient que seules deux soumissionnaires ont répondu à l’appel d’offres en raison d’une surchauffe du marché des appels d’offres à la fin de l’été 2018.

Selon le tribunal, le comportement de la SQI ne permettait donc pas de conclure qu’elle n’avait pas traité ITR de façon équitable et, par conséquent, le tribunal a rejeté la réclamation.

Conclusion

Cette décision est intéressante puisqu’elle rappelle les principes devant guider l’analyse du caractère raisonnable de la décision du donneur d’ouvrage de se prévaloir d’une clause de réserve. À cet effet, au moment de prendre sa décision, le donneur d’ouvrage doit agir de bonne foi et s’appuyer sur des motifs raisonnables. Par exemple, il pourrait être difficile pour un soumissionnaire se croyant lésé à la suite de l’annulation d’un appel d’offres de contester la décision si le motif justifiant l’annulation est un dépassement du budget. Un tel motif ayant été reconnu comme étant suffisant par les tribunaux. À l’inverse, en l’absence de motif valable, le donneur d’ouvrage s’expose au risque de devoir indemniser le soumissionnaire.

[1] ITR Acoustique Québec inc. c. Société québécoise des infrastructures, 2020 QCCS 3492 (CanLII)

Cet article est paru dans l’édition du 10 décembre 2020 du journal Constructo.

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