Appel d’offres public : pouvoir discrétionnaire du donneur d’ouvrage en présence d’une clause de rejet automatique

12 mai 2022 | Paola Camacho

Dans notre infolettre du mois de janvier 2022, ma collègue Me Evelyne Morin présentait un résumé du jugement rendu dans l’affaire Entreprises QMD inc. c. Ville de Montréal[1] par la Cour d’appel, qui a confirmé la décision du juge de première instance de ne pas appliquer rigoureusement la clause de rejet automatique prévue aux documents contractuels. En effet, la Cour a considéré que la soumission présentée par l’entreprise Norgéreq ltée (ci-après « Norgéreq ») était conforme, et ce, même si elle n’était pas accompagnée de l’Autorisation de l’Autorité des marchés financiers (ci-après l’« Autorisation de l’AMF ») qui, selon les documents d’appel d’offres, devait être transmise sous peine de rejet automatique.

Dans cette affaire, la Cour d’appel a conclu que le fait de ne pas détenir l’Autorisation de l’AMF constituait une dérogation majeure, mais que le défaut de transmettre la preuve de détention avec la soumission ne constituait qu’une dérogation mineure.

Ce faisant, la Cour d’appel distingue les faits de l’affaire précitée de ceux de l’affaire 9150-0124 Québec inc. (Groupe Diamantex) c. Procureure générale du Québec (ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports)[2]. Dans ce dernier cas, la Cour supérieure a considéré que le défaut de fournir l’Autorisation de I’AMF représentait une irrégularité majeure, puisqu’il s’agissait d’une condition exigée par la loi et par les documents contractuels. Le défaut créait ainsi un obstacle incontournable à l’obtention du contrat. Or, à la différence de Norgéreq, le soumissionnaire retenu ne détenait pas l’autorisation de contracter de l’AMF;  il ne s’agissait donc pas simplement d’avoir omis de transmettre la preuve de détention.

La distinction entre les irrégularités majeures et mineures est très importante. Cette qualification permet au donneur d’ouvrage de savoir s’il peut utiliser son pouvoir discrétionnaire pour passer outre à la présence d’une irrégularité. Ainsi, devant une irrégularité mineure, il peut décider de permettre au soumissionnaire de remédier à son défaut. Lorsque l’irrégularité est majeure, il doit absolument rejeter la soumission non conforme, sans quoi il pourrait briser l’égalité entre les soumissionnaires.

Qu’arrive-t-il lorsque l’irrégularité correspond à un cas de rejet automatique prévu par le donneur d’ouvrage?

Dans l’arrêt Entreprises QMD inc. c. Ville de Montréal[3], la Cour d’appel a examiné le dossier de soumission sans appliquer rigoureusement la clause de l’appel d’offres prévoyant le rejet automatique de toute soumission n’étant pas accompagnée de l’Autorisation de l’AMF. Or, dans l’affaire Steris Corporation c. Groupe d’approvisionnement en commun de l’Est-du-Québec[4], le tribunal a récemment rappelé que lorsque le donneur d’ouvrage décide de limiter sa discrétion en incluant une clause de rejet automatique, il n’est pas nécessaire de qualifier l’irrégularité, en déterminant si elle est mineure ou majeure, puisque la soumission devra d’emblée être rejetée :

[63]  Il ne fait pas de doute que le donneur d’ouvrage qui choisit de limiter sa discrétion en incluant une clause de rejet automatique aux documents d’appel d’offres doit respecter cette règle qu’il a lui-même établie :

Les principes développés en matière d’appréciation du caractère majeur ou mineur d’un vice « ne s’appliquent pas dès lors que l’appel d’offres mentionne expressément que ce vice entraîne le rejet automatique de la soumission ».

Cette conclusion est conforme aux enseignements des tribunaux en semblable matière. Ainsi, en 2018, dans l’affaire 9211-4560 Québec inc. c. Procureure générale du Québec[5], la Cour supérieure a considéré que les principes développés en matière d’appréciation objective d’une irrégularité sont inapplicables en présence d’une clause de rejet automatique.

Similairement, dans l’affaire Demix Constructions, Division de Holcim (Canada) inc. c. Québec (Procureur général)[6], la Cour d’appel a conclu que dans la mesure où le donneur d’ouvrage prévoit expressément qu’un certain type d’irrégularité entraînerait péremptoirement le rejet de la soumission, il importe peu que l’irrégularité soit qualifiée de mineure ou de majeure.

Finalement en 2019, dans l’affaire 9320-5318 Québec inc. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal[7], la Cour supérieure a rappelé qu’il est permis au donneur d’ouvrage de limiter sa discrétion en prévoyant certaines conditions ou formalités pouvant entraîner le rejet automatique d’une soumission.

De ce qui précède, il appert que les tribunaux étaient jusqu’ici d’avis que lorsque le donneur d’ouvrage limite son pouvoir discrétionnaire par l’insertion d’une clause de rejet automatique, la qualification de l’irrégularité (mineure ou majeure) ne revêt aucune importance. Dans l’arrêt Entreprises QMD inc. c. Ville de Montréal, la Cour d’appel semble vouloir s’éloigner de ce rigorisme.

Il faudra donc suivre les prochaines décisions en vue de déterminer la portée de clauses de rejet automatique incorporées dans les documents d’appel d’offres et limitant la discrétion du donneur d’ouvrage de passer outre à une irrégularité.


[1] Entreprises QMD inc. c. Ville de Montréal, 2021 QCCA 1775.

[2] 9150-0124 Québec inc. (Groupe Diamantex) c. Procureure générale du Québec (ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports), 2018 QCCS 5957 (confirmé en appel 2019 QCCA 879).

[3] Entreprises QMD inc. c. Ville de Montréal, préc. note 1.

[4] Steris Corporation c. Groupe d’approvisionnement en commun de l’Est-du-Québec, 2021 QCCS 5347.

[5] 9211-4560 Québec inc. c. Procureure générale du Québec2018 QCCS 588.

[6] Demix Constructions, Division de Holcim (Canada) inc. c. Québec (Procureur général)2010 QCCA 1871.

[7] 9320-5318 Québec inc. c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, 2019 QCCS 260.

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