La Cour supérieure du Québec considère que l’application déraisonnable ou excessive de la clause de modification prévue aux contrats constitue une mauvaise foi institutionnelle

28 mai 2021

Birtz Bastien Beaudoin Laforest Architectes c. Centre hospitalier de l’Université de Montréal, 2021 QCCS 795

Dans une décision rendue le 10 mars 2021, l’honorable Jeffrey Edwards, J.C.S., de la Cour supérieure du Québec, a donné raison à un consortium d’architectes (« BPYA ») et à un consortium d’ingénieurs (« BPTH »), qui avaient présenté une requête en dommages-intérêts pour rupture de contrat par le défendeur (le « CHUM »); ces derniers alléguaient que le CHUM avait violé leurs droits contractuels et s’était livré à une application déraisonnable et excessive de la clause de modification prévue au contrat.

BPYA et BPTH avaient conclu des conventions de services avec le CHUM à titre d’« équipes maîtres » d’architecture et de génie mécanique et électrique pour la construction de son nouvel hôpital, par suite de leur offre de service à un appel public de candidatures lancé par le CHUM. Au moment de l’appel de candidatures, le mode de réalisation de la construction, soit le mode conventionnel (contrat d’entreprise à forfait) ou le mode de partenariat public-privé (PPP), n’était pas encore décidé. Dans un cas comme dans l’autre, les mandats de BPTH et de BPYA allaient inclure notamment la conception du projet, qui comprenait la préparation des plans et des devis préliminaires.

Cependant, au cours du projet, le CHUM a modifié unilatéralement les conventions conclues avec BPYA et BPTH en transférant la conception du projet à des professionnels externes mandatés par les partenaires privés engagés par le CHUM. Ce faisant, le CHUM a modifié les paramètres essentiels des mandats de BPYA et de BPTH; il a réduit de 71 % celui de BPYA et de 66,4 % celui de BPTH. Bien que BPTH et BPYA soient demeurés les « équipes maîtres » responsables de la conception du projet, leurs mandats ont été réduits à ceux de simples conseillers. BPTH et BPYA sont malgré tout restés liés par les clauses d’exclusivité et de nombreuses autres contraintes prévues au contrat.

Après examen, la Cour a conclu ce qui suit :

  • les contrats conclus entre les demanderesses BPTH et BPYA et le CHUM par suite d’un appel public de candidatures constituent des contrats d’adhésion;
  • comme le CHUM savait que les mandats des demanderesses allaient être réduits, voire transférés à des tiers et qu’il ne les en a pas informés, il a violé ses obligations de renseignement et de collaboration;
  • en l’absence d’une clause contractuelle claire, le CHUM ne pouvait pas résilier partiellement le mandat des demanderesses;
  • la clause de modification prévue aux contrats ne permettait pas au CHUM de modifier la nature des mandats des demanderesses;
  • les modifications unilatérales imposées par le CHUM dépassaient les paramètres autorisés par la clause de modification (c’est-à-dire des « modifications » accessoires ou des « modifications » de nature secondaire);
  • le CHUM a abusé de ses droits contractuels en insistant sur le strict respect de certaines dispositions contractuelles (par exemple l’exclusivité des services) malgré la réduction majeure des mandats des demanderesses;
  • en tout état de cause, le comportement abusif du CHUM a constitué une fin de non-recevoir (semblable au principe d’irrecevabilité en common law) à l’application de la clause de modification;
  • le CHUM a fait preuve d’une « mauvaise foi manifeste » et d’une « mauvaise foi institutionnelle ».

La Cour a finalement condamné le CHUM à payer un montant de 7 512 433,30 $ à BPYA et de 4 824 454,50 $ à BPTH en dommages-intérêts, plus les intérêts et les frais de justice, ainsi que les honoraires de témoignages d’experts.

L’équipe de Miller Thomson qui a représenté les demanderesses dans cette affaire était composée de Guy Gilain, Gerry Argento, Jasmin Lefebvre, Stephan Trihey, Tania Pinheiro et Karine Carrier (litige dans le secteur de la construction).