La situation engendrée par la propagation de la COVID-19 affectera de façon significative le flux de trésorerie de nombreuses entreprises en raison d’une baisse des ventes et, par conséquent, des comptes recevables et de l’encaisse. Les mesures gouvernementales adoptées pour les entreprises aident certes, mais d’autres sources de financement à court terme seront recherchées.

Au Québec, dans le cas des entreprises qui ont des sommes en dépôt de la part de leurs clients pour des biens et services à être fournis, cette source de financement existe. C’est le cas par exemple d’une entreprise qui vend des biens meubles et dont les clients ont fait des paiements anticipés sur un bien spécifique ou des biens en inventaire, tels des matériaux. La situation est aussi usuelle lorsque la somme remise constitue une avance de fonds pour la réalisation d’un service.

Dans les circonstances, la possibilité pour ces entreprises d’utiliser ou d’avoir accès à ces sommes dites « en dépôt » peut être alléchante. La question se pose à savoir si, en vertu du droit applicable au Québec, l’entreprise peut utiliser ces sommes même si le service ou le bien qui a fait l’objet du dépôt n’a pas été fourni.

En droit québécois, la personne en possession d’un bien meuble est présumée être le titulaire du droit de propriété[1]. En d’autres mots, la possession d’un bien meuble (telle une somme d’argent) vaut pour droit de propriété, à moins que ce droit ne soit contesté par un tiers. L’argent est, de plus, un bien fongible, c’est-à-dire un bien qui peut être remplacé par un autre bien d’une même nature. De par la loi, les sommes reçues en dépôt par une entreprise ne sont plus identifiables et font partie de son patrimoine à compter du moment où elles sont déposées dans un compte bancaire ouvert au nom de l’entreprise et dans lequel d’autres sommes étaient préalablement déposées[2]. La somme en dépôt est alors confondue avec les autres sommes de sorte qu’il devient impossible de la retracer et de l’identifier.

Lorsqu’un dépôt d’une somme d’argent est fait par un tiers à l’entreprise, l’entreprise devient propriétaire de la somme d’argent. Elle peut l’utiliser à sa guise pour payer ses employés et ses créanciers ou pour couvrir ses charges fixes[3], à moins que la législation applicable à cette entreprise ou cette industrie ne l’interdise ou prévoit que la somme doit être détenue en fidéicommis. À titre d’exemple, la Loi sur les agents de voyages[4] et la Loi sur les arrangements préalables de services funéraires et de sépulture[5] prévoient que les montants reçus devront être détenus en fidéicommis. De plus, la Loi sur la protection du consommateur[6] exige que si les sommes des consommateurs sont reçues par le commerçant avant la conclusion d’un contrat ou si l’obligation principale du commerçant est exécutée plus de deux mois après la conclusion du contrat, les sommes doivent être transférées en fiducie, à moins que le commençant soit exempté de cette obligation. Au contraire des provinces de common law, le droit québécois ne crée pas de détention implicite « in trust ». De plus, une réelle fiducie pourrait exister dans le cas où les critères sont réunis[7].

L’entreprise demeure toujours débitrice envers le tiers et a, envers ce dernier, une dette ou une obligation correspondant au montant de la somme d’argent qu’il lui a remise, et ce, jusqu’au moment où les biens et services auront été livrés.  Dans la plupart des cas, le tiers qui verse une somme en dépôt est un créancier ordinaire (ou chirographaire) de l’entreprise puisqu’il ne détient aucune sûreté sur les biens de cette dernière.

En conclusion, dans la plupart des cas au Québec, les entreprises peuvent utiliser les fonds, mais ces dernières auront une créance envers les tiers.

Situation des institutions financières

Dans l’éventualité où les sommes sont déposées dans un compte ouvert auprès de l’institution financière de l’emprunteur, ces sommes seraient-elles accessibles à l’institution financière en cas de réalisation? En d’autres mots, est-ce qu’un prêteur peut faire valoir son droit sur l’argent de tiers remis en dépôt et détenu par l’emprunteur?

En cas de réalisation d’une sûreté et à condition que l’institution financière dispose d’une sûreté valable sur les sommes (par voie de contrôle ou autrement) ou de droits de compensation, sous réserve de création de fiducies contractuelles ou légales évoquées ci-dessus, l’institution financière pourra saisir les sommes détenues par l’emprunteur ou effectuer compensation. Elle pourra ensuite les affecter au remboursement des obligations de l’emprunteur puisque ces sommes font partie du patrimoine de l’emprunteur.


[1] Code civil du Québec, art. 928.

[2] 9083-4185 Québec inc. (Syndic de), 2007 QCCA 1837. Voir également Colombie-Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., [1989] 2 RCS 24.

[3] Groupe Dufour inc. c. Thibeault, 2006 QCCQ 5740, par. 25.

[4] RLRQ., c. A-10, art. 33.

[5] RLRQ, c.  A-23.001, art. 19.

[6] RLRQ, c. P-40.1, art. 254 et suivants.

[7] Code civil du Québec, art. 1260.

 

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