La COVID-19 est source de litiges, particulièrement des actions collectives. En 2020, des demandes d’autorisation d’exercer une action collective ont notamment été déposées à l’encontre de centres d’hébergement1, d’assureurs2 et de compagnies aériennes3.
Dans 9369-1426 Québec inc. (Restaurant Bâton Rouge)4, la partie défenderesse, Allianz Global Risks US Insurance Company (« Allianz »), a demandé à la Cour supérieure du Québec de décliner compétence en faveur d’une procédure de médiation et d’arbitrage, le tout conformément à la police.
Faits
La partie demanderesse, Bâton Rouge, voulait exercer une action collective en vue d’être indemnisée par Allianz des pertes d’exploitation subies par les membres du groupe et elle en raison de la crise sanitaire, qui a provoqué une interruption des activités économiques dans la province de Québec. En effet, Allianz avait rejeté la demande d’indemnisation au motif que la police ne couvrait pas ces pertes. Elle a ensuite fait valoir que les parties étaient liées par les modalités sur le règlement des différends de la police, qui interdisaient à Bâton Rouge d’intenter une action collective devant la Cour supérieure du Québec.
Analyse
La Cour supérieure du Québec devrait-elle refuser d’être saisie de l’affaire et déférer le litige à un médiateur et un arbitre nommés conformément au processus de règlement des différends prévu dans la police d’assurance en cause?
La Cour supérieure, sous la plume de l’honorable juge Gary D.D. Morrison, a conclu qu’elle devait refuser d’être saisie de l’affaire en raison des dispositions de la police. Bien que celle-ci contienne certaines modalités concernant la compétence et l’introduction d’une instance, dans le cas des assurés du Québec, c’est la clause [traduction] Dispositions légales applicables à la province de Québec seulement qui s’appliquait [traduction] :
5. Règlement de différends
Si l’assureur et le ou les assurés ne peuvent s’entendre au sujet de la garantie ou du montant prévus par la police, il est entendu que le différend sera réglé conformément au processus de règlement des différends décrit ci-après :
a. Médiation auprès d’un médiateur choisi d’un commun accord par les parties au différend. Si les parties sont incapables de s’entendre sur le choix d’un médiateur, un tribunal nomme un médiateur sur requête présentée par l’une des parties.
b. Si la médiation ne permet pas de parvenir à un règlement, le différend sera soumis à l’arbitrage conformément aux lois et aux règlements sur l’arbitrage applicables dans le territoire où la police a été émise. La sentence arbitrale lie toutes les parties au différend sans droit d’appel.
c. Chaque partie assume ses propres frais et débours dans le cadre du processus de règlement de différend. Tous les frais et débours liés à la médiation et à l’arbitrage sont assumés à parts égales par les parties au différend. Par voie d’accord écrit, l’assureur et le ou les assurés peuvent renoncer à l’application du présent article ou de toute partie de celui-ci à l’égard d’un différend précis.
Compte tenu de ce qui précède, et conformément au Code civil du Québec5, les tribunaux sont tenus de respecter les modalités du contrat. Le fait que le différend concerne l’interprétation d’une police d’assurance ne l’empêche pas d’être soumis à l’arbitrage6. Lorsque les parties sont liées par une clause d’arbitrage, les tribunaux doivent renvoyer le différend à l’arbitrage, à moins de preuve d’invalidité de la convention d’arbitrage7. L’honorable juge Gary D.D. Morrison a conclu que [traduction] « à première vue, le libellé de la clause de règlement des différends en fait une clause d’arbitrage obligatoire, claire, sans ambiguïté, définitive et contraignante8 ». Qui plus est, contrairement aux arguments invoqués par Bâton Rouge, les autres clauses de la police ne créent aucune confusion quant à sa validité et à son application.
La Cour supérieure a aussi rejeté l’argument de Bâton Rouge concernant la portée de la clause de compétence contenue dans la police. Cette clause stipule que [traduction] « Les tribunaux du district judiciaire dans lequel l’assuré désigné est situé ont compétence exclusive en cas de différend concernant la garantie. » La Cour a conclu que cette disposition ne concerne pas la compétence d’attribution, mais plutôt la compétence territoriale. Par conséquent, elle n’est pas incompatible avec les autres dispositions de la police.
La clause de règlement des différends, qui n’est ni illégale ni contraire à l’ordre public, limite donc les actions pouvant être intentées devant les tribunaux. De plus, la Cour s’est penchée sur la validité de la clause de règlement des différends étant donné la demande d’autorisation d’exercer une action collective introduite par la partie demanderesse [traduction] :
« [42] Le fait que la demande introductive d’instance initiale vise à obtenir l’autorisation d’exercer une action collective n’est pas pertinent sur le fond.
[43] Les dispositions sur les actions collectives du Code de procédure civile sont de nature exclusivement procédurale. Elles ne modifient nullement le droit substantiel. Elles n’ont pas non plus pour effet de conférer à la Cour supérieure une compétence sur certains différends lorsque les parties ont légalement décidé d’exclure cette compétence9. »
De l’avis de la Cour, la nature de la réclamation n’est pas en dehors de la compétence du médiateur ou de l’arbitre. En effet, contrairement à l’argument avancé par Bâton Rouge selon lequel le déni de couverture d’Allianz constitue un abus de droit, la Cour a conclu qu’il n’y a pas lieu d’invalider la clause de règlement des différends.
Bâton Rouge a affirmé que si la Cour accueillait la demande d’Allianz, chaque assuré devrait suivre le processus de règlement des différends prévu dans la police. Or, la durée et les coûts liés à ce processus auraient un effet dissuasif. La Cour a indiqué qu’elle [traduction] « ne se prononcera pas sur tous les résultats possibles; toutefois, l’argument de l’équité invoqué par Bâton Rouge ne suffit pas à invalider un processus de règlement des différends tout à fait légitime. En fait, Bâton Rouge ne fait même pas valoir qu’il est invalide. Qui plus est, la compétence est une question d’ordre public, et non d’équité10. »
La Cour devrait-elle immédiatement se prononcer sur la compétence d’un médiateur et d’un arbitre pour la réclamation personnelle de Bâton Rouge?
La Cour a conclu qu’elle était compétente pour trancher cette question.
En général, selon le principe compétence-compétence, les tribunaux laissent les arbitres statuer sur leur propre compétence. Cependant, [traduction] « lorsque la question de la compétence est une question de droit ou une question combinant fait et droit, le tribunal peut, lorsqu’un examen sommaire et superficiel le permet, se prononcer immédiatement sur la compétence, pourvu qu’il respecte le principe de la proportionnalité11. »
En l’espèce, la Cour avait déjà été saisie de cette question étant donné le moyen déclinatoire présenté par Allianz. L’honorable juge Gary D.D. Morrison a conclu que cette solution était conforme au Code de procédure civile, qui autorise le tribunal à intervenir pour statuer sur le rôle du médiateur et la compétence de l’arbitre.. Pour cette raison, le médiateur et l’arbitre doivent être nommés conformément à la clause de règlement des différends de la police.
Conclusion
À la lumière de ce qui précède, la Cour supérieure du Québec a accueilli la demande d’Allianz et renvoyé les parties devant un médiateur et un arbitre conformément à la clause de règlement des différends de la police. La demande d’autorisation d’exercer une action collective a donc été rejetée.
En l’espèce, la Cour supérieure a conclu qu’en présence d’une clause d’arbitrage, les tribunaux doivent décliner compétence. Le point à retenir est que l’existence d’une clause d’arbitrage rend sans importance l’intention d’une partie d’exercer une action collective. En effet, les actions collectives sont un véhicule procédural qui n’a aucun effet sur le droit substantiel. De plus, un différend en matière d’assurance concernant l’interprétation d’une police peut être soumis à l’arbitrage.
Dans sa décision, la Cour supérieure a rejeté l’argument de la partie demanderesse selon lequel la durée et le coût des procédures de médiation et d’arbitrage empêcheraient l’assuré d’exercer ses droits. Bien que la Cour ait rejeté l’argument de Bâton Rouge fondé sur l’équité, elle a indiqué qu’elle s’abstenait de se prononcer sur tous les résultats possibles. Les clauses d’arbitrage doivent donc être appliquées, mais il sera intéressant de voir si des parties tenteront de les faire annuler en invoquant le principe de l’accessibilité à la justice.
1 Barbara Schneider, es qualité de liquidatrice de la succession de Feu Mary Schneider (Née Kaplan) c. Centre d’hébergement et de soins de longue durée Herron Inc., C.S.Q. 500-06-001060-207
2 Centre Dentaire Boulevard Galeries d’Anjou inc. c. L’Unique Assurances Générales inc., C.S.Q. 500-06-001054-200
3 Alain Lachance c. Transat A.T. inc. et Transat Tours Canada inc. et Air Canada et Société en commandite Touram (Vacances Air Canada), C.S.Q. 500-06-001052-204
4 9369-1426 Québec inc. (Restaurant Bâton Rouge) c. Allianz Global Risks US Insurance Company, 2021 QCCS 47
5 Article 2638 et paragraphe 3148(2°) C.c.Q.
6 Article 3150 C.c.Q.
7 Article 622 C.p.c.
8 9369-1426 Québec inc. (Restaurant Bâton Rouge) c. Allianz Global Risks US Insurance Company, supra, par. 27.
9 9369-1426 Québec inc. (Restaurant Bâton Rouge) c. Allianz Global Risks US Insurance Company, supra, par. 42-43.
10 9369-1426 Québec inc. (Restaurant Bâton Rouge) c. Allianz Global Risks US Insurance Company, supra, par. 55-56.
11 9369-1426 Québec inc. (Restaurant Bâton Rouge) c. Allianz Global Risks US Insurance Company, supra, par. 63.