L’obligation pour un entrepreneur en construction de détenir une licence d’entrepreneur comportant les catégories appropriées est généralement perçue par les tribunaux comme étant une condition de conformité ou d’admissibilité à soumissionner. Aussi, même dans les cas où les instructions aux soumissionnaires ne prévoient pas explicitement qu’il s’agit d’un cas de rejet, le défaut pour un entrepreneur de détenir les bonnes catégories de licence peut donner lieu au rejet de sa soumission.
S’il est relativement aisé, lorsqu’un entrepreneur ne détient aucune licence, de déclarer celui-ci non-conforme ou non admissible, l’expérience démontre qu’il n’est pas toujours facile d’évaluer, lorsque le soumissionnaire détient une licence, si les catégories que comporte la licence sont appropriées.
Dans la mesure où la Régie du bâtiment du Québec est l’organisme investi du pouvoir d’émettre des licences, on pourra être tenté d’obtenir l’opinion des représentants de la Régie afin d’évaluer quelles catégories de licences sont appropriées pour les fins de soumissionner un projet particulier. Toutefois, il faut se garder de croire que les opinions que la Régie peut émettre à ce sujet sont inattaquables. C’est ce que démontre un jugement rendu récemment par la Cour supérieure dans l’affaire Entreprise Marchand et Frères inc. c. Société d’énergie de la Baie James (SEBJ). Notons que ce jugement met en cause les catégories de licence qui existaient avant les modifications règlementaires survenues en juin 2008.
Les faits
En 2003, la SEBJ lance un appel d’offres invitant les entrepreneurs à déposer des soumissions en rapport avec un des lots de travaux prévus pour la réalisation du projet hydroélectrique de la rivière Eastmain. Ce lot de travaux vise la construction d’un tunnel à même une montagne lequel permettra de rediriger les eaux de la rivière vers le site du barrage à construire.
Trois soumissionnaires participeront à cet appel d’offres. En l’occurrence, la coentreprise Janin-BOT dont la soumission se classera la plus basse au montant de 26 047 995 $, la coentreprise ECC/EMF dont la soumission se classera deuxième au montant de 27 481 025 $ et enfin l’entrepreneur F. Gilbert Ltée dont la soumission se classera troisième au montant de 28 835 000 $. Peu après l’ouverture des soumissions, un litige se développe quant à la conformité de la soumission de la coentreprise Janin BOT.
En effet, ECC/EMF soutient que la licence émise au nom de la coentreprise Janin BOT, ne comporte pas les catégories de licence appropriées.
Dans les faits, bien que chacune des entreprises BOT et Janin formant l’entreprise conjointe détienne une licence individuelle, comportant plusieurs catégories de licences d’entrepreneur général, la licence émise au nom de l’entreprise conjointe Janin-BOT ne comporte qu’une seule catégorie d’entrepreneur général, soit la catégorie 4073 – ouvrage de génie civil souterrain (numérotation effective avant juin 2008). Or, ECC/EMF soutient que les sous-catégories requises par la Régie aux fins de soumissionner le projet devraient plutôt être la 4074 – Entrepreneur en ouvrage de génie civil immergé et 4092 – Entrepreneur en ouvrage relatif à la génération d’électricité.
Aussi, adressera-t-elle une mise en demeure à la SEBJ l’enjoignant de rejeter la soumission de Janin-BOT et ce, nonobstant le fait que tant Janin que Bot détiennent individuellement des licences comportant la catégorie 4092.
Vu la prétention de ECC/EMF, les représentants de la SEBJ entreront en contact avec ceux de la Régie du bâtiment, lesquels, aux termes d’une analyse, en viendront à la conclusion que la licence appropriée pour soumissionner en rapport avec le projet est la catégorie 4092 qui n’apparaît pas à la licence émise au nom de la coentreprise Janin BOT. Nonobstant cette conclusion, la SEBJ, après analyse, décide d’octroyer le contrat en faveur de Janin-BOT car elle est d’avis que les ouvrages requis aux termes des documents d’appel d’offres s’assimilent à un ouvrage de génie civil souterrain (catégorie 4073) plutôt qu’à un ouvrage relatif à la génération d’électricité (catégorie 4092).
ECC/EMF entreprendra donc une poursuite en dommages devant la Cour supérieure alléguant l’attribution fautive du contrat et réclamant des dommages puisqu’elle soutient être le plus bas soumissionnaire en lice conforme si bien que le contrat aurait dû lui être attribué. Cette poursuite sera contestée par SEBJ qui soutiendra au contraire que la catégorie de licence détenue par Janin-BOT est adéquate.
Le jugement
L’Honorable Juge Peacock qui sera saisi du différend. Il étudiera d’abord la nature des pouvoirs de la Régie pour en arriver à la conclusion que la décision rendue par la Régie quant aux catégories de licences requises est purement administrative. Le juge remarquera par ailleurs qu’en dépit de l’opinion qu’elle avait émise quant à la non conformité de la licence détenue par Janin BOT, la Régie n’avait entrepris aucun recours depuis l’octroi du contrat pour sanctionner ladite coentreprise. Aussi le juge émettra t’il sa propre opinion quant à la catégorie de licence appropriée. Pour ce faire, il examinera la nature des travaux en cause mais également la description des catégories de licences prévues au Guide d’application de la Régie et les descriptions de catégories prévues au règlement sur la qualification des entrepreneurs.
Pour identifier la nature des travaux le juge soulignera en outre la teneur des instructions aux soumissionnaires lesquelles indiquent sous le titre Objet du contrat : « Ce contrat a principalement pour objet l’exécution de travaux d’excavation de la galerie, de la dérivation provisoire et de bétonnage du portail amont de la galerie ». Pour le juge les travaux en cause sont donc des travaux préliminaires et non des travaux relatifs aux ouvrages hydroélectrique en tant que tels. Il en vient à la conclusion que la catégorie 4073 est la catégorie de licence appropriée pour réaliser les travaux en cause mettant ainsi à l’écart opinion des représentants de la Régie du bâtiment. La soumission de Janin-BOT sera donc jugée conforme. Le juge ajoutera par ailleurs que même dans l’hypothèse où il en était venu à une conclusion contraire, la poursuite ECC/EMF coentreprise aurait néanmoins été rejetée puisqu’il estime que celle-ci ne l’avait pas convaincu, par prépondérance de probabilité, qu’elle aurait obtenu le contrat n’eut été du rejet de la soumission de Janin-BOT. Faute de détenir les expériences concluantes en rapport avec la nature des travaux en cause, le juge retient les prétentions de SEBJ à l’effet que celle-ci n’aurait pas octroyé le contrat en faveur de ECC/EMF.