Législation visant à accélérer le versement des paiements dans le cadre de projets de construction en Ontario et en Saskatchewan

29 mars 2019 | Jonathan Martin, Chad Eggerman, Troy Baril

Ontario

En 2015, le gouvernement de l’Ontario a procédé à un examen indépendant des lois de la construction de l’Ontario. À la suite de cet examen, un rapport intitulé Établir un juste équilibre – Rapport de l’Examen d’experts de la Loi sur le privilège dans l’industrie de la construction de l’Ontario a été produit.

Sur la base des recommandations de ce rapport, l’Ontario a modifié (et renommé en anglais) la Loi sur la construction, L.R.O. 1990, chap. C.30. Les changements visent à :

  1. Moderniser les règles sur les privilèges et sur les retenues dans l’industrie de la construction.
  2. Veiller à ce que les travailleurs et les entreprises soient payés à temps pour leur travail.
  3. Veiller à ce que les différends relatifs au paiement soient réglés rapidement et sans difficulté.

Les modifications apportées aux règles sur les privilèges et sur les fiducies de construction sont entrées en vigueur le 1er juillet 2018. Les nouveaux processus de paiement rapide et d’arbitrage intérimaire ainsi que les modifications relatives aux privilèges contre les municipalités entreront en vigueur le 1er octobre 2019.

Saskatchewan

Le projet de loi n° 152 visant à modifier le Builders’ Lien Act a été déposé par le gouvernement de la Saskatchewan le 20 novembre 2018. Ce projet de loi reprend presque mot pour mot les nouvelles dispositions de la Loi sur la construction de l’Ontario sur les paiements rapides et sur l’arbitrage intérimaire dont il sera question dans cet article.

Le projet de loi devrait bientôt faire l’objet d’une deuxième lecture avant d’être sanctionné par l’Assemblée législative vers la fin du printemps 2019. L’élaboration d’un cadre réglementaire suivra, et ce, bien que rien n’ait encore été rendu public. Cette loi pourrait entrer en vigueur d’ici janvier 2020. Elle peut toutefois toujours être modifiée, car le projet de loi n’a pas encore été adopté. Le gouvernement de la Saskatchewan a indiqué qu’il ne comptait pas demander l’entrée en vigueur du projet de loi avant la mise en place d’une autorité arbitrale. Pour le moment, aucune date n’est établie pour l’entrée en vigueur du projet de loi.

Survol des changements

De façon générale, les nouvelles lois pour ces deux provinces envisagent :

  1. La mise en place d’un cycle de paiement défini.
  2. L’instauration d’un système d’arbitrage intérimaire pour la résolution des différends.
  3. L’adoption du droit de suspendre les travaux.
  4. L’adoption du droit de facturer des intérêts sur tout paiement en souffrance.

Cycle de paiement défini et facture en bonne et due forme

Pour jouir du processus de paiement rapide, l’entrepreneur devra premièrement présenter au propriétaire une «?facture en bonne et due forme?». Celle-ci devra être déposée mensuellement (en l’absence d’indications contraires au contrat). Les notions de « facture en bonne et due forme » et de « remise de factures en bonne et due forme » sont définies dans le projet de loi.

La facture en bonne et due forme devra comprendre les informations suivantes :

  1. Le nom et l’adresse de l’entrepreneur.
  2. La date de la facture en bonne et due forme et la période au cours de laquelle les services ou les matériaux ont été fournis.
  3. L’indication de l’autorisation, contractuelle ou autre, en vertu de laquelle les services ou les matériaux ont été fournis.
  4. La description, y compris la quantité s’il y a lieu, des services ou des matériaux qui ont été fournis.
  5. Le montant dû pour les services ou les matériaux qui ont été fournis, ainsi que les conditions de paiement.
  6. Le nom, le titre, le numéro de téléphone et l’adresse postale de la personne à qui le paiement doit être envoyé.
  7. Tout autre renseignement prescrit.

Il n’y a présentement aucune autre information prescrite. Une fois présentée, la facture en bonne et due forme ne pourra être modifiée qu’avec le consentement préalable du propriétaire.

Les personnes qui connaissent bien les dispositions types des contrats du CCDC et qui comprennent le rôle important que joue la «?personne qui autorise le paiement?» dans les documents du CCDC doivent noter que les nouvelles lois stipulent que toute disposition prévue à un contrat (notamment aux documents du CCDC), qui rend la remise d’une «?facture en bonne et due forme?» conditionnelle à l’attestation préalable par la personne qui autorise le paiement ou à l’approbation préalable du propriétaire, est nulle ou sans effet. Par conséquent, pour respecter la Loi, d’autres changements devront être apportés aux conditions supplémentaires des documents du CCDC pour que ces derniers puissent être utilisés en Ontario ou en Saskatchewan.

Échéances de paiement

Le nouveau projet de loi établit plusieurs échéances dans le cadre du processus de paiement rapide. Toutes les parties – propriétaires, entrepreneurs et sous-traitants – doivent s’assurer de respecter ces échéances. Par exemple, un propriétaire a 28 jours pour payer une «?facture en bonne et due forme?» qu’il reçoit conformément au projet de loi. En outre, il dispose de 14 jours après la réception d’une facture en bonne et due forme pour indiquer son refus de payer celle-ci en partie ou en totalité. Lorsque le propriétaire a payé l’entrepreneur, celui-ci doit payer l’ensemble des sous-traitants et des fournisseurs avec lesquels il a un lien contractuel dans les 7 jours. Ceux-ci doivent ensuite payer leurs propres sous-traitants et fournisseurs dans les 7 jours et ainsi de suite. Il ne s’agit que de trois exemples des nombreux échéanciers à respecter.

Le refus de payer une facture en bonne et due forme doit être accompagné d’un « avis de non-paiement » qui doit indiquer l’ensemble des motifs de non-paiement. Un entrepreneur qui reçoit un avis de non-paiement doit en aviser ses sous-traitants et fournisseurs sans attendre. L’entrepreneur qui reçoit un paiement partiel de sa facture en bonne et due forme doit par la suite payer ses sous-traitants et fournisseurs au prorata du montant de leurs factures. Par contre, si le montant impayé par le propriétaire se rapporte à des services ou à des matériaux fournis par un ou par plusieurs sous-traitants en particulier, l’entrepreneur doit payer les autres sous-traitants intégralement. Il utilisera les fonds restants pour payer sur une base proportionnelle les sous-traitants en cause dans le différend.

Système d’arbitrage intérimaire

Le changement le plus important prévu par le projet de loi sera la mise en place d’un système d’arbitrage intérimaire. Les deux provinces sont présentement en train de mettre en place des processus de formation et de nomination des arbitres qui pourront agir dans le cadre de la nouvelle législation. Une Autorité de nomination sera désignée et celle-ci devra mettre en place un programme de formation continue, un code de déontologie et un Registre des arbitres intérimaires approuvés.

Pour être arbitre, un particulier devra :

  1. Posséder au moins 10 ans d’expérience professionnelle pertinente dans l’industrie de la construction.
  2. Réussir les programmes de formation exigés.
  3. Ne pas être un failli non libéré.
  4. Ne pas avoir été reconnu coupable d’un acte criminel au Canada ou d’un acte comparable à l’étranger.
  5. Payer à l’Autorité les droits applicables pour sa formation et sa qualification à titre d’arbitre intérimaire.
  6. Accepter par écrit de se conformer aux exigences applicables aux titulaires de certificat.

Le titulaire d’un certificat de qualification au poste d’arbitre intérimaire devra réussir les programmes de formation continue, respecter le code de déontologie, payer à l’Autorité les droits applicables pour sa formation et pour sa qualification au poste d’arbitre intérimaire et se conformer à la Loi et aux règlements, ainsi qu’aux autres directives ou exigences de l’Autorité.

En Ontario, pendant la période transitoire prévue après l’entrée en vigueur du projet de loi, un arbitre sera autorisé à agir, et ce, même s’il n’a pas suivi la formation obligatoire à condition qu’il soit autrement nommé par l’Autorité de nomination désignée et qu’il en ait reçu l’approbation.

Les parties pourront soumettre les questions suivantes à un arbitrage intérimaire :

  1. L’évaluation des services ou des matériaux fournis aux termes du contrat.
  2. Le paiement prévu par le contrat, y compris à l’égard d’un ordre de modification, approuvé ou non, ou d’un projet d’ordre de modification.
  3. Les différends qui font l’objet d’un avis de non-paiement.
  4. Les montants retenus en vertu d’une compensation par le fiduciaire ou en vertu d’une compensation relative au privilège.
  5. Le versement d’une retenue de base.
  6. Le non-versement de la retenue de base.
  7. Toute autre question sur laquelle s’entendent les parties à l’arbitrage intérimaire ou qui est prescrite.

Une partie à un contrat pourra ainsi présenter à l’arbitre des questions relatives à l’évaluation, au paiement, à la modification de commande, aux coûts, à l’attestation et de nombreuses autres questions. L’arbitre pourra ensuite rendre des décisions intérimaires. Une partie à un contrat ou à un contrat de sous-traitance peut soumettre une question à l’arbitrage, et ce, même si la question fait l’objet d’une action en justice ou d’une procédure d’arbitrage contractuelle.

La question à savoir si une facture est bel et bien une « facture en bonne et due forme », comme le prescrit la Loi, n’est pas expressément prévu dans la loi comme étant une question qui pourra être tranchée par l’arbitrage intérimaire. Par contre, en vertu des principes de la common law, l’arbitre jouira d’une déférence raisonnable lui permettant de déterminer les différends qu’il est en mesure d’entendre. Conséquemment, nous sommes d’avis que l’arbitre aura donc implicitement le droit de trancher la question, à savoir si une facture est une facture en « bonne et due forme » au sens de la Loi. Si l’arbitre avait à se prononcer sur ce genre de question afin d’établir sa compétence à régler un différend, nous prévoyons que les tribunaux montreraient une déférence eu égard à sa décision.

Il est prévu que cet arbitrage soit très rapide. Une fois l’arbitre choisi, par les parties ou par l’Autorité à défaut d’accord entre les parties, la partie qui entame la procédure d’arbitrage aura 5 jours pour présenter des copies de tous les documents pertinents à l’arbitre. Une fois les documents rendus, l’arbitre aura ensuite 30 jours pour produire une décision écrite. Si les parties y consentent, ce délai peut être rallongé de 14 jours à la demande de l’arbitre. Les parties peuvent aussi convenir d’un autre échéancier avec le consentement de l’arbitre. Une décision de l’arbitre rendue à l’extérieur des délais prescrits sera sans force ou effet.

Une fois la décision rendue, la partie qui est tenue de payer devra verser le montant ordonné dans les 10 jours suivant le prononcé de la décision. La partie qui n’a pas été payée pourra demander l’exécution judiciaire en déposant la décision à la cour.

La décision de l’arbitre et les paiements qui en découlent sont uniquement intérimaires. Si l’une des parties n’est pas satisfaite, elle pourra entamer un recours judiciaire ou arbitral ordinaire. Les circonstances lors desquelles une partie pourra en appeler de la décision d’un arbitre intérimaire sont limitées à des erreurs sérieuses de procédure, comme l’incapacité de l’une des parties, l’invalidité du contrat ou le défaut par l’arbitre de s’être enregistré. Tout désaccord avec la décision d’un arbitre intérimaire sur le fond devra attendre la décision de la cour ou du tribunal arbitral ordinaire.

Si un arbitre détermine que les agissements d’une partie sont frivoles ou vexatoires, qu’ils constituent un abus de procédure, ou qu’ils manquent autrement de bonne foi, l’arbitre peut prévoir, dans sa décision, que cette partie sera tenue de payer, en partie ou en totalité, les frais d’arbitrage de l’autre partie ainsi qu’une partie des honoraires d’avocats que l’autre partie pourrait autrement devoir payer, ou les deux, et ce, de façon à répondre aux préoccupations relatives à la mauvaise utilisation du système d’arbitrage. Par conséquent, il convient de prendre en considération bien des facteurs avant de refuser de verser un paiement ou de se lancer dans un processus d’arbitrage.

Droit de suspendre les travaux à la suite d’un arbitrage, d’une décision et d’un non-paiement

Lorsque le processus d’arbitrage est terminé et qu’une décision a été rendue, si un montant réputé payable n’est pas payé à l’intérieur de 10 jours, c’est à ce seul moment qu’un entrepreneur ou un sous-traitant peut suspendre les travaux. Un entrepreneur ou un sous-traitant ne détient aucun droit de suspendre les travaux du seul fait de l’envoi d’une facture, ou d’un défaut de paiement. Par contre, si un entrepreneur ou un sous-traitant respecte le processus à la lettre et suspend les travaux conformément au projet de loi, l’entrepreneur ou le sous-traitant aura alors droit à un remboursement des coûts engagés de manière raisonnable.

Intérêts sur les paiements en souffrance

Des intérêts commencent à courir sur un montant qui n’est pas payé lorsqu’il est exigible au taux d’intérêt antérieur au jugement établi en application de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario ou le Pre-judgment Interest Act de la Saskatchewan. Si le contrat ou le contrat de sous-traitance précise un taux d’intérêt différent à cette fin, ce taux sera applicable. Des intérêts courent également de manière similaire sur les montants réputés payables par l’arbitre.

La suite des choses

Miller Thomson continuera à suivre de près ces changements importants qui auront une incidence sur les projets de construction à travers le Canada, et ce, au fil de l’évolution du projet de loi et de la mise en place des règlements. Comme toujours, consultez l’un des avocats de l’équipe de droit de la construction afin d’en apprendre davantage sur ces changements et sur l’incidence qu’ils pourraient avoir sur vos projets.

Si vous avez des questions à propos de la Loi sur la construction de l’Ontario ou du projet de loi 152 de la Saskatchewan, ou si vous avez des questions portant sur le droit de la construction ou tout dossier connexe, n’hésitez pas à communiquer avec nous.

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