Non-conformité majeure en matière d’appel d’offres : il n’y a pas que le prix qui compte

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March 14, 2017 | Marie-Catherine Ayotte

Journal Constructo – 14 mars 2017

Les municipalités jouissent d’une certaine latitude dans l’analyse de la conformité des soumissions qu’elles reçoivent dans le cadre d’appels d’offres publics [1]. Les tribunaux évitent de leur imposer un formalisme trop rigoureux dans l’analyse des soumissions afin de conserver les avantages du recours à la procédure d’appel d’offres. Ainsi, la jurisprudence constante est à l’effet que les irrégularités mineures ne justifient pas le rejet d’une soumission dans la mesure où les soumissionnaires sont traités équitablement. Cependant, les irrégularités dites « majeures », qui résultent d’un manquement à une exigence essentielle ou substantielle de l’appel d’offres, entraînent le rejet de la soumission.

Le 24 février dernier, la Cour d’appel nous a fourni un autre exemple de ce principe dans l’affaire Tapitec [2]. Dans cet arrêt, la Cour d’appel, infirmant un jugement de la Cour supérieure rendu en 2015, a accueilli une réclamation en dommages de l’entrepreneur Tapitec inc. (« Tapitec ») pour perte de profits à l’encontre de la Ville de Blainville (« Ville »). La Cour conclut que le fait pour un soumissionnaire de ne pas répondre à l’exigence d’expérience prévue aux documents d’appel d’offres constituait une irrégularité majeure.

Les faits

En avril 2011, la Ville lance un appel d’offres pour la fourniture et l’installation d’un revêtement synthétique sur un terrain de soccer au parc de Blainville. Les documents d’appel d’offres exigent que les soumissionnaires ait opéré leur entreprise au Québec depuis au moins cinq ans.

L’analyse des soumissions se fait par un système de pondération et d’évaluation selon lequel chaque soumissionnaire obtient un nombre de points en fonction de la qualité et de la quantité des biens, des services et travaux qu’il entend exécuter. Cette méthode vise à permettre à la Ville de faire un choix entre les différents produits offerts par les fabricants.

En réponse à l’appel d’offres, la ville reçoit six soumissions, dont celle de Tapitec au montant de 482 274,98 $ et celle de Les Sols Sportica inc. (« Sportica ») au montant de 485 055,13 $.

Dans sa soumission, Sportica indique que, bien qu’elle opère ses activités depuis moins de cinq ans, son président et actionnaire majoritaire possède une expérience de 25 ans et elle compte dans son équipe, des installateurs et contremaîtres avec plus de 20 ans d’expérience dans le domaine des surfaces sportives synthétiques.

Après l’évaluation des soumissions, le comité de sélection attribue 78,00 points à Tapitec et 78,83 points à Sportica, la classant au premier rang et classant Tapitec au second rang.

Tapitec soutient que la soumission de Sportica n’est pas conforme en ce qu’elle ne satisfait pas l’un des critères d’admissibilité, soit d’être en opération depuis au moins cinq ans. Selon Tapitec, ce manquement constitue une irrégularité majeure qui aurait dû entrainer le rejet de la soumission de Sportica avant même qu’elle ne se rende au comité de sélection.

Le jugement en première instance [3]

En première instance, la Cour conclut que, bien que la soumission de Sportica ne soit pas conforme en tous points aux exigences de l’appel d’offres, cette irrégularité est mineure et la municipalité pouvait passer outre cette exigence.

Dans son analyse, le juge retient qu’ « il est clair que l’expérience de l’entrepreneur est un élément important » pour la Ville, mais que, puisque la clause n’indique pas que cette condition est essentielle et ne prévoit pas le rejet automatique de la soumission en cas de défaut, il était raisonnable pour la Ville de ne pas exclure la soumission. Selon le juge, l’irrégularité n’a pas eu d’effet sur le prix des autres soumissionnaires et n’a pas rompu l’équilibre entre ceux-ci.

Le jugement en appel

La Cour d’appel doit répondre à une seule question : l’irrégularité est-elle majeure ou mineure ?

La Cour rappelle que la considération principale dans l’analyse des soumissions est le maintien de l’intégrité du processus d’appel d’offres, lequel peut être affecté même si la condition de qualification que le donneur d’ouvrage écarte n’a pas d’effet sur les prix proposés par les autres soumissionnaires. De plus, le système de pondération n’écarte pas l’obligation pour le donneur d’ouvrage d’en évaluer la conformité.

Bien que l’exigence ne soit ni d’ordre public, ni expressément stipulée comme étant essentielle, la Cour retient que le libellé même de la clause suggère que l’exigence d’expérience est impérative du fait que l’installation du revêtement « doit être faite par un entrepreneur ayant sa principale place d’affaires et opérant depuis au moins cinq (5) ans au Québec. ».

De plus, l’exigence est essentielle en ce qu’elle est « indissociable de l’intégrité et de l’efficacité du processus d’appel d’offres et le fait qu’elle ait ou non un impact sur le prix proposé n’est pas déterminant ». À la lecture même de la clause, une personne raisonnable y verrait une condition d’admissibilité essentielle : un entrepreneur ne satisfaisant pas le critère d’expérience risquerait fortement de ne pas déposer de soumission alors qu’un entrepreneur admissible tiendrait pour acquis que ses compétiteurs seraient des entreprises remplissant cette condition.

La Cour conclut donc que la soumission de Sportica est atteinte d’une irrégularité majeure qui commande le rejet de sa soumission et que Tapitec, dont la soumission est la soumission conforme ayant récolté le plus de points, a droit au profit dont elle a été privée, à savoir  78 389,43 $.

Conclusion

Il faut retenir de cet arrêt que le caractère mineur ou majeur de l’irrégularité d’une soumission doit être analysé en regard du principe du maintien de l’intégrité du processus d’appel d’offres dans son ensemble, et que celui-ci ne dépend pas uniquement de l’effet sur le prix de la soumission et de l’ordre des soumissionnaires.

Cet article est paru dans l’édition du 14 mars 2017 du journal Constructo.

[1] R.P.M. Tech inc. c. Gaspé (Ville),  2004 CanLII 76642 (QC CA).

[2] Tapitec c. Blainville (Ville de), 2017 QCCA 317.

[3] Tapitec c. Blainville (Ville de), 2015 QCCS 2380.

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