avec la collaboration de Gabrielle Shulman

Le 28 septembre dernier, la Cour supérieure rendait une décision dans le cadre d’une affaire opposant un distributeur de matériel électrique, Guillevin International (« Guillevin »), à l’un de ses fabricants, Schréder inc. (« Schréder »). Guillevin réclamait de Schréder le solde impayé de sa facture pour des services de fabrication et de livraison de matériaux auprès du sous-traitant en charge des travaux électriques, Tristar Electric Inc. (« Tristar »). À l’occasion de sa décision, la Cour était appelée à traiter de l’intensité de l’obligation de délivrance et de livraison des matériaux et de la notion de prévisibilité des dommages.

Les faits

Pour les fins du projet de construction d’un viaduc en Ontario (« Projet »), Guillevin s’est engagée, à l’été 2018, à fournir des luminaires devant être installés dans le viaduc auprès de Tristar. Guillevin a, à son tour, en date du 1er août 2018, retenu les services de Schréder pour les fins de la fabrication et de la livraison des luminaires au chantier.

Le bon de commande liant Tristar à Guillevin indiquait que la livraison devait être effectuée « as soon as possible ». Celui entre Guillevin et Schréder ne contenait, quant à lui, aucune indication quant au délai de la livraison des luminaires, se contentant de spécifier que des dessins d’atelier devaient être approuvés avant que la production soit lancée.

Les luminaires seront finalement livrés au chantier les 7 et 21 décembre 2018 ainsi que le 25 janvier 2019. Tristar, se voyant imposer une pénalité pour retards de 5 000 $ par jour par l’entrepreneur général, a opposé cette pénalité à Guillevin, laquelle a accepté de réduire sa facture d’autant. Guillevin a ensuite voulu reproduire le même scénario et a donc déduit, des sommes dues à Schréder, le montant de cette pénalité considérant que cette dernière était, de l’avis de Guillevin, responsable des délais. Guillevin alléguait également que la délivrance des luminaires était défectueuse et incomplète.

Schréder a donc institué un recours judiciaire à l’encontre de Guillevin en réclamation du solde impayé de sa facture, s’élevant au montant 152 473,73 $, lequel correspond à celui de la pénalité pour retards.

Le jugement

1. L’intensité des obligations dans le cadre d’un contrat de vente

En premier lieu, la Cour était appelée à déterminer l’intensité de l’obligation de Schréder quant à la délivrance des luminaires et quant à la livraison de ces derniers.

En effet, le contrat de vente emporte d’abord une obligation de délivrance, soit celle de transférer la détention du bien du vendeur à l’acheteur. L’obligation de délivrance en est une de résultat : le vendeur est donc tenu de délivrer, à l’acheteur, le bien qu’il s’était engagé à délivrer.

Le contrat de vente peut également prévoir un délai pour la livraison des biens visés. Celui-ci peut revêtir un caractère impératif ou indicatif. Pour qu’un délai soit considéré comme impératif, il doit être expressément ou implicitement stipulé par les parties lors de la formation du contrat ou encore, par le biais d’une modification ultérieure, écrite ou verbale. En l’absence d’une telle stipulation, la livraison devra alors être effectuée dans un délai raisonnable, ce qui relève davantage de l’obligation de moyens.

Dans cette affaire, Guillevin prétendait que les luminaires devaient être livrés dans un délai de douze semaines à compter de la commande passée le 1er août 2018 et soutenait ainsi que Schréder était tenue à une obligation de résultat à cet égard. Le tribunal a toutefois conclu que les parties n’avaient stipulé aucun tel délai, que ce soit avant, pendant ou après la conclusion du contrat. En conséquence, Schréder ne pouvait être tenue à une obligation de résultat en ce qui concerne le délai de livraison. La preuve a également révélé que Schréder avait agi de façon diligente en prenant les moyens raisonnables afin que la commande puisse être livrée dans les meilleurs délais.

De plus, Guillevin n’a pas été en mesure de faire la preuve que les biens fournis par Schréder n’étaient pas conformes à ceux prévus à la commande. Ce faisant, aucune faute ne pouvait être reprochée à Schréder, tant du point de vue de la délivrance que de la livraison des luminaires.

2. L’imposition de la pénalité pour retards

En second lieu, bien que la Cour en vienne à la conclusion qu’aucune faute n’avait été commise par Schréder à l’occasion de l’exécution de ses obligations contractuelles, elle s’est malgré tout penchée sur la question de l’imposition de la pénalité de retard à Schréder. Pour rappel, Guillevin avait accepté d’assumer les frais de cette pénalité vis-à-vis son cocontractant, Tristar, qui s’était vue retenir une telle pénalité par l’entrepreneur général.

Au terme de son analyse, la Cour conclut que même en cas de faute de la part de Schréder, la réclamation de Guillevin n’aurait pas été accueillie au motif que cette dernière n’a pas fait la preuve de ses dommages.

Premièrement, la pénalité imposée à Tristar ne peut être considérée comme un dommage prévisible pour Schréder au moment de la conclusion du contrat. L’article 1613 du Code civil du Québec prévoit qu’en matière contractuelle, un débiteur n’est responsable que des dommages qui étaient prévisibles au moment de la formation du contrat. Or, Schréder n’avait pas connaissance des termes et conditions de Tristar lors de la conclusion du contrat et elle n’était pas informée de la pénalité qui pouvait être imposée à Tristar.

Deuxièmement, la Cour conclut qu’en refusant le paiement des sommes dues à Schréder, Guillevin lui a indirectement imposé une pénalité et ce, bien que leur contrat ne prévoyait aucun terme à cet égard. En vertu de leur contrat, Guillevin ne pouvait donc pas imposer une telle pénalité à Schréder. Il lui appartenait alors de prouver les dommages causés par les fautes reprochées à Schréder et le lien de causalité. Or, la preuve présentée par Guillevin ne permettait pas de démontrer les conséquences réelles des retards reprochés à Schréder.

Conclusion

Cette décision met en lumière l’importance, en matière de contrat de fourniture de biens et de livraison, de stipuler expressément et clairement un délai de livraison au contrat et ce, d’autant plus lorsqu’une livraison tardive pourrait avoir d’importants impacts sur la progression des travaux. Il ressort également de l’analyse de la Cour qu’une pénalité pour retard pourra être imposée à une partie qui n’est pas visée par le contrat prévoyant l’imposition d’une telle pénalité que si cette pénalité était, à son égard, prévisible.

Cet article est paru dans l’édition du 19 octobre 2023 du journal Constructo.