Une acceptation non conforme à la soumission ne constitue pas toujours une nouvelle offre

février 8, 2018 | Karine Carrier

Journal Constructo – 8 février 2018 

Il arrive régulièrement que des conflits surviennent à la suite de l’octroi d’un contrat dans le cadre d’un appel d’offres. En effet, les tribunaux sont souvent appelés à trancher des demandes en injonction et en ordonnance de sauvegarde ou des recours en dommages-intérêts. Ces recours sont le plus souvent intentés par des soumissionnaires dont les soumissions n’ont pas été retenues.

La Cour supérieure a récemment rendu une décision dans une affaire [1] où un conflit entre le donneur d’ouvrage et le soumissionnaire retenu découlait plutôt des négociations qui ont suivi l’octroi du contrat. Les parties n’arrivant pas à s’entendre, le donneur d’ouvrage a résilié unilatéralement le contrat, déclenchant ainsi ce litige.

Faits

Souhaitant faire exécuter un projet de réaménagement du secteur de la Traverse, la Ville de Lévis (ci-après la « Ville ») procède en mai 2014 à un appel d’offres. Le 7 juillet 2014, elle octroie, par voie de résolution, le contrat à Groupe Macadam (ci-après « Macadam »), le plus bas soumissionnaire, mais en modifiant et en soustrayant certains items du bordereau de soumission.

Macadam exprime son désaccord  avec les modifications proposées par la Ville et des négociations s’ensuivent. À la suite de plusieurs rencontres et échanges entre les parties, celles-ci ne s’entendent toujours pas. Macadam refuse d’ailleurs de signer l’ordre de commencer les travaux, bien qu’elle débute tout de même des travaux d’arpentage et d’archéologie sur le chantier.

La Ville met Macadam en demeure de confirmer qu’elle exécutera les travaux, et ce, en conformité avec la première résolution. Face à l’inaction de Macadam et devant l’impasse des négociations, la Ville adopte, en septembre 2014, une deuxième résolution qui annule la première et accorde le contrat à Macadam selon les termes exacts de sa soumission. Elle réitère également l’ordre de débuter les travaux.

Macadam refuse toutefois de se considérer liée par ce contrat et prétend qu’il ne s’agit pas d’une acceptation pure et simple de sa soumission. Elle refuse également de signer cet ordre et de débuter les travaux tant qu’une entente globale n’est pas convenue entre les parties.

Suivant le refus de Macadam, la Ville adopte, le 2 octobre 2014, une troisième résolution, par laquelle elle annule le contrat et l’attribue plutôt à JES Construction Inc. (ci-après « JES »), deuxième plus bas soumissionnaire. La Ville réclame donc à Macadam, ainsi qu’à sa caution, Intact, la différence entre le montant prévu à la soumission de Macadam et celui compris dans la soumission de JES.

Macadam estime que la Ville a agi de façon abusive en résiliant le contrat. Elle soutient que le contrat s’est formé suivant la deuxième résolution de la Ville, et qu’elle avait 15 jours à partir du 29 septembre 2014 pour fournir les garanties prévues à l’appel d’offres. Elle est donc d’avis qu’au moment où la Ville a résilié le contrat, le 8 octobre 2014, elle n’était pas en défaut.

De son côté, la Ville soutient qu’elle était en droit de résilier le contrat, en raison du comportement de Macadam, qui refusait de reconnaître qu’un contrat s’était formé et insistait pour qu’une entente globale soit signée.

Quant à Intact, celle-ci estime que la première résolution adoptée par la Ville ne constituait pas une acceptation pure et simple de la soumission de Macadam, mais bien une nouvelle offre, rendant ainsi caduque le cautionnement de soumission.

Décision

Le tribunal est d’avis qu’en refusant de reconnaître qu’un contrat s’était conclu à la suite de la deuxième résolution et en insistant pour qu’une entente globale soit convenue avant de débuter les travaux, Macadam a implicitement renoncé au délai de 15 jours qui lui était imparti. Elle a clairement exprimé son intention de ne pas exécuter les travaux, ce qui la mettait alors en demeure de plein droit. Le tribunal conclut que Macadam était, au moment de la résiliation du contrat par la Ville, en défaut de donner suite à sa soumission. Dès lors, la Ville était en droit de résilier unilatéralement le contrat.

Quant au cautionnement, le tribunal admet qu’il arrive parfois qu’une acceptation non substantiellement conforme à une soumission puisse constituer une nouvelle offre, mais que le cas présent n’en est pas un exemple. La Ville avait prévu, dans les instructions données aux soumissionnaires, son droit de modifier et de négocier certains items.

De plus, le tribunal retient de la preuve que les modifications suggérées par la Ville n’étaient fort probablement pas significatives pour Macadam.

Le tribunal déclara donc Macadam redevable à la Ville de la différence entre le montant des deux soumissions et la condamne, solidairement avec Intact, à verser à la Ville la somme de 1 006 911,60 $.

Conclusion

Lorsqu’une acceptation n’est pas substantiellement conforme à la soumission qui la précède, celle-ci peut parfois être considérée comme constituant une nouvelle offre et rend ainsi caduque la soumission initiale. Il faut toutefois retenir de cette décision qu’une telle situation ne constitue pas un automatisme et devra s’apprécier en fonction de la preuve inhérente à chaque dossier.

[1] Ville de Lévis c. Groupe Macadam inc., 2017 QCCS 5737.

Cet article est paru dans l’édition du 8 février 2018 du journal Constructo.

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